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Indu en AMI : point de départ du délai de prescription

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 février 2017, R.G. 2014/AL/659

Mis en ligne le jeudi 26 octobre 2017


Cour du travail de Liège, division de Liège, 13 février 2017, R.G. 2014/AL/659

Terra Laboris

Par arrêt du 13 février 2017, la Cour du travail de Liège (division Liège) aborde une question délicate, en matière de paiement d’indemnités AMI : le caractère indu ou non des prestations versées dès lors que l’assuré social peut prétendre à un avantage dont la nature est incompatible avec celles-ci.

Les faits

Un travailleur, indemnisé par sa mutuelle, reçoit un montant de l’ordre de 3.000 euros du Fonds de Fermeture des Entreprises, en règlement de l’intervention de cet organisme dans la faillite de son ex-employeur. Ce versement est effectué en mars 2011.

En octobre 2012, la mutuelle informe l’intéressé de l’existence d’un indu pour la période couverte par l’intervention du Fonds.

Un jugement est demandé par l’organisme assureur vu l’absence de réaction de ce dernier.

Par jugement du 10 novembre 2014, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) considère qu’il y a prescription.

Appel est interjeté de ce jugement.

La décision de la cour

La cour examine dans cet arrêt du 13 février 2017 la question de la prescription. Elle ne vide cependant pas complétement sa saisine, ordonnant la réouverture des débats sur la question de l’indu lui-même.

Elle rappelle les conditions du droit aux indemnités en AMI, étant que le travailleur ne peut prétendre à celles-ci pour la période pour laquelle il a droit à une rémunération ou à une indemnité compensatoire de préavis (article 103, § 1er, de la loi coordonnée). Il peut cependant en bénéficier dès lors qu’il y a droit ou, en attendant de les recevoir, à la condition d’informer son organisme assureur. Cette information est double : il s’agit de donner tout élément de nature à établir le droit en cause ainsi que d’informer de toute action engagée ou de toute autre procédure en vue d’obtenir l’avantage en question.

La cour insiste dès lors sur le fait que l’exception vise la personne qui a averti son organisme assureur qu’elle fait le nécessaire pour faire valoir son droit. Il y a une obligation de déclaration préalable. A défaut de respecter celle-ci, les indemnités sont versées indûment.

A la question de la nature du paiement (indu ou non), s’ajoute celle du délai de récupération et la cour précise ici que, même en cas de bonne foi, le paiement reste indu dès lors qu’une condition d’octroi n’est pas présente.

En ce qui concerne la prescription elle-même, il s’agit d’une question d’ordre public et le juge doit la soulever d’office, et ce par dérogation à l’article 2223 du Code civil (la cour rappelant un arrêt de la Cour de cassation du 28 octobre 2013, n° S.11.0054.F – rendu en matière d’aide sociale). L’action en récupération de l’indu se prescrit pas deux ans à compter de la fin du mois au cours duquel le paiement a été effectué. Ce délai est de cinq ans en cas de manœuvres frauduleuses.

Ces règles figurent à l’article 174 de la loi coordonnée, qui précise également que, pour interrompre la prescription, une lettre recommandée suffit.

Quant à la prise de cours, la cour rappelle que cette question a donné lieu à une jurisprudence variée, « même si elle n’est pas réellement abondante », ainsi qu’à des réflexions doctrinales approfondies. Elle renvoie notamment à la doctrine de M. MORSA (M. MORSA, De la prescription de l’action en récupération en matière d’assurance maladie-invalidité, Chron. Dr. Soc., 2013, pp. 513-515). Elle examine également la jurisprudence de la Cour de cassation dans plusieurs arrêts. Ainsi, dans une décision du 4 janvier 1993 (Cass., 4 janvier 1993, n° 8.091), s’agissant également d’une hypothèse où était intervenue par après un paiement du FFE, elle a considéré que l’absence d’information par l’intéressé de sa mutuelle de la demande d’indemnisation au Fonds n’était pas un acte frauduleux et ne pouvait dès lors entraîner la règle de prescription de cinq ans. Cependant, la prestation avait été octroyée indûment vu cette omission d’information et le paiement avait un caractère indu. Il en résulte que l’organisme assureur a droit au remboursement (immédiatement), cette action se prescrivant par deux ans à compter du paiement indu.

Dans un autre arrêt du 26 juin 1995 (Cass., 26 juin 1995, n° S.95.0037.N), s’agissant d’une question d’indemnité de rupture du contrat de travail, la Cour a également rappelé l’interdiction de cumul mais la possibilité de bénéficier de la prestation si l’organisme assureur a été informé de toute procédure engagée aux fins de l’obtenir. Si la déclaration préalable a été faite et qu’il n’est apparu qu’en cours d’instance si l’organisme assureur avait droit ou non au remboursement, le paiement est intervenu régulièrement. Se posait cependant la question du caractère régulier du paiement effectué, dans la mesure où la déclaration préalable requise avait été faite et où la cour du travail n’excluait pas l’absence d’indu. Pour la Cour de cassation, cependant, l’arrêt devait être cassé, vu qu’il avait retenu comme point de départ de la prescription la fin du mois auquel se rapportaient les indemnités en cause.

Pour la Cour du travail de Liège, dans l’arrêt annoté, l’indu ne naît qu’avec le second paiement et, tant que le tiers n’a pas effectué celui-ci, le droit pour l’organisme assureur de répéter l’indu est suspendu, ainsi que, par voie de conséquence, l’exercice de l’action en récupération qui y est attaché. Renvoyant ici à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 19 janvier 2012 (C. trav. Bruxelles, 19 janvier 2012, R.G. 2009/AB/52.221, Juridat), la cour rappelle qu’aucun délai de prescription ne court avant que le droit prescriptible ne puisse être exercé. Telles sont les raisons pour lesquelles elle considère qu’avant de discuter de la prescription, il faut savoir si la somme litigieuse était réellement indue au moment du paiement.

La réponse à cette question doit passer par la vérification de la déclaration préalable.

Vu le caractère d’ordre public de la matière, la cour soulève le point d’office et invite les parties à déposer un dossier complet.

Elle précise cependant déjà que, si la déclaration est absente au dossier, il faudra conclure à l’indu dès le versement de l’indemnité, de telle sorte que le délai de prescription devra se calculer dès la fin du mois au cours duquel le paiement a eu lieu.

Si une telle déclaration figure au dossier, les indemnités auront été versées régulièrement et ce n’est qu’au moment du second paiement que le caractère indu apparaîtrait et pourrait donner lieu à prescription.

Dans la première hypothèse, la cour signale d’ores et déjà qu’il y aurait peut-être matière à s’interroger sur une éventuelle manœuvre frauduleuse, qui porterait le délai de prescription à cinq ans.

Intérêt de la décision

Le raisonnement de la cour à propos du point de départ de l’indu en la matière aboutit à une conclusion qui peut poser question :

  • Dès lors que l’assuré social n’aurait pas respecté ses obligations de déclaration préalable, il y aurait indu dès le départ, faisant courir un délai de prescription à calculer dès la fin du mois au cours duquel le paiement a eu lieu. Il s’agit du paiement des indemnités.
  • Par contre, s’il a respecté ses obligations et qu’il y a une déclaration au dossier, il n’y a pas d’indu au départ et ce n’est qu’au moment où intervient le second paiement (en l’occurrence par le FFE) que l’indu apparaît et que le point de départ de la prescription va naître.

Il y aurait dès lors une règle plus favorable à l’assuré social s’il n’a pas respecté ses obligations que dans le cas contraire.

La cour tente de corriger les effets de cette situation par le biais du recours aux « manœuvres frauduleuses », et ce aux fins d’étendre le délai lui-même de deux à cinq ans.

Or, l’absence de déclaration ne pourra pas systématiquement et dans tous les cas être considérée comme une telle manœuvre frauduleuse.


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