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Accident du travail : la limitation de 25% prévue dans le secteur public peut-elle tenir compte d’une indemnisation existant dans le secteur privé ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 27 juin 2017, R.G. 16/761/A

Mis en ligne le vendredi 10 novembre 2017


Tribunal du travail de Liège, division Dinant, 27 juin 2017, R.G. n° 16/761/A

Terra Laboris

Par jugement du 27 juin 2017, le Tribunal du travail de Liège (div. Dinant) rejette la demande d’un employeur public de voir appliquer l’article 6, §1er de la loi du 3 juillet 1967 dans l’hypothèse où l’intéressée a été précédemment victime d’un accident dans le secteur privé et qu’elle perçoit suite à celui-ci une première rente : les deux ne peuvent s’additionner pour se voir appliquer la limitation au 25%.

Les faits

Suite à un accident du travail, une employée (secteur public) voit les séquelles de celui-ci consolidées avec une I.P.P. de 12%. Préalablement, alors qu’elle travaillait dans le secteur privé, elle fut victime d’un premier accident du travail, et ce dix ans auparavant. Cet accident avait donné lieu à une I.P.P. de 19%.

Son employeur - sur impulsion de son réassureur – estime qu’il y a lieu de réduire le paiement de la rente, en application de l’article 6, § 1er de la loi du 3 juillet 1967 (réparation dans le secteur public). Il prend en effet en compte le premier taux de 19% alloué suite au premier accident pour limiter l’indemnisation du second à 6% (aboutissant ainsi à la limitation des 25% prévue à la disposition ci-dessus).

Il n’y a par ailleurs pas de contestation sur le taux des séquelles lui-même.

Une procédure est cependant introduite sur la question du paiement de la totalité de la rente liée au second accident.

Le Fonds des accidents du travail (actuellement Fedris) avait un remis un avis, sur la question, étant que la limitation à 25% ne vaut que pour les rentes accordées en vertu de la loi du 3 juillet 1967 et qu’appliquer de telles règles de cumul dans les deux secteurs serait un cumul des désavantages, puisqu’il aboutirait à appliquer la règle des 25% en tenant d’un accident du travail qui n’est pas soumis à cette limitation.

La position du tribunal

Le tribunal reprend dès lors les règles à appliquer, étant entendu que l’intéressée est en mesure de poursuivre l’exercice normal de ses fonctions, ce qu’elle fait d’ailleurs.

L’article 6 de la loi du 3 juillet 1967 prévoit que, aussi longtemps que la victime conserve l’exercice de fonctions, la rente ne peut dépasser 25% de la rémunération sur la base de laquelle elle a été établie (§1). Ceci vise à la fois la rente due en cas d’incapacité permanente et l’allocation d’aggravation après le délai de revision.

Le tribunal renvoie aux travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1967 (Doc. parl. Ch., 1964-1965, n° 1023/1, p.5) où il est précisé que la perte subie dans l’hypothèse de l’existence d’une incapacité permanente est limitée par le fait que la victime peut continuer à remplir les devoirs qui lui sont confiés et jouit dès lors des avantages pécuniaires qui y sont attachés.

La Cour constitutionnelle a également été saisie de la question et elle a considéré dans un arrêt du 5 décembre 2002 (C. Const., 5 décembre 2002, arrêt n° 176/2002) que le plafond trouvait à s’appliquer non seulement dans le cadre d’un seul accident mais également en cas d’accidents successifs. La limite fixée par la disposition est indépendante du nombre d’accidents justifiant l’octroi d’une rente (B.8.).

La question posée à la Cour constitutionnelle ne portait pas sur la différence de traitement entre les travailleurs du secteur public (soumis au plafonnement du cumul) et les travailleurs du secteur privé (qui ne le sont pas).

Cependant, dans de nombreux arrêts, rappelés par le tribunal, la Cour constitutionnelle a eu l’occasion d’exposer les différences objectives entre les deux régimes, chacun ayant sa logique propre, qui peut justifier des différences de traitement.

Se référant encore aux travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1967, le tribunal souligne que le législateur a estimé que, à la fois la possibilité de poursuivre l’exercice normal des fonctions ainsi que celle de réaffectation à une autre fonction dès lors que l’agent n’est plus en mesure d’exercer la première, constituent des garanties qui, ajoutées à la stabilité de l’emploi du secteur public, limitent le dommage consécutif à l’accident.

C’est dès lors la spécificité du secteur public qui a expliqué l’adoption de cette mesure.

En l’espèce, il y a eu plusieurs accidents, étant que l’un est survenu dans le secteur privé et l’autre dans le secteur public.

Le tribunal considère ne pas pouvoir suivre la position de l’employeur public, qui entend limiter le montant de la rente au taux de 25%, dans la mesure où cette façon de voir se heurte au texte même de la disposition visée. L’article 6, §1er limite en effet le paiement de la rente visée à l’article 3, alinéa 1er, 1°, b) (rente consécutive à l’existence d’une I.P.P.) et de l’allocation prévue à l’article 3, 1°, alinéa 1er, 1°, c) (allocation d’aggravation après le délai de revision). Aucune autre limitation n’est prévue.

Si la disposition trouve dès lors à s’appliquer au cas où plusieurs accidents sont survenus, il est évident (et le tribunal souligne) qu’il doit s’agit des rentes visées à l’article 6, §1er, qui renvoie aux rentes ci-dessus.

La rente allouée dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 n’est dès lors pas visée.

En l’occurrence l’intéressée, même si elle a été victime de plusieurs accidents, ne perçoit qu’une seule rente dans le secteur public et celle-ci est inférieure à 25%. Elle doit dès lors être payée en totalité, le tribunal constatant que raisonner autrement imposerait de poser une nouvelle question à la Cour constitutionnelle dans l’hypothèse où deux travailleurs du secteur public qui se trouvent dans une situation différente (succession d’accidents dans le secteur public d’une part et succession d’accidents « mixtes » d’autre part) se verraient traiter de la même manière par application de la même règle de limitation du cumul.

Le tribunal conclut dès lors que l’article 6, §1er ne vise pas d’autres rentes que celles auxquelles il se réfère, étant celles prévues par le même texte et qu’il ne vise pas les rentes dues en exécution de la loi du 10 avril 1971.

Une réouverture des débats est ordonnée sur des éléments de l’indemnisation.

Intérêt de la décision

C’est - à notre connaissance – la première décision qui est rendue en la matière.

Si la solution semble évidente, étant que – s’agissant d’une législation d’ordre public – les dispositions prévues dans la loi du 3 juillet 1967 ne doivent pas (à défaut de texte) inclure des points relatifs à l’indemnisation dans le secteur privé, il n’échappera pas que l’employeur, dans cette espèce, et ce sur impulsion de son réassureur (ainsi que souligné par le tribunal) a posé cette question inédite, étant d’envisager la limitation de cumul avec une indemnisation prévue dans la loi du 10 avril 1971.

La décision du Tribunal du travail de Liège est strictement conforme aux principes, le jugement renvoyant d’ailleurs expressément au texte même de l’article 6, §1er, qui ne vise que les rentes allouées dans le cadre de ce système de réparation. Le tribunal a également renvoyé aux nombreux arrêts rendus par la Cour constitutionnelle, lorsqu’elle a été interrogée sur des distinctions entre les deux régimes, la haute juridiction rappelant chaque fois qu’il s’agit de régimes qui ont leurs spécificités propres et que celles-ci sont dès lors susceptibles d’entraîner des différences de traitement, sans qu’il ne puisse y avoir de violation des articles 10 e 11 de la Constitution.


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