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Responsabilité de l’organisme de paiement en cas d’erreur dans le montant de l’allocation de chômage

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 février 2017, R.G. 2016/AL/312

Mis en ligne le vendredi 10 novembre 2017


Cour du travail de Liège, division Liège, 13 février 2017, R.G. 2016/AL/312

Terra Laboris

Par arrêt du 13 février 2017, la Cour du travail de Liège (div. Liège) examine les conséquences d’une erreur commise par l’organisme de paiement à partir des dispositions de la Charte ainsi qu’en application des principes généraux de la responsabilité civile figurant aux articles 1382 et 1383 du Code civil.

Les faits

Après avoir bénéficié d’allocations de chômage (forfait – s’agissant d’une cohabitante non privilégiée), une travailleuse retrouve un emploi à temps partiel et demande le maintien des droits. A l’issue de sa période d’occupation, étant environ seize mois plus tard, elle introduit une nouvelle demande d’allocations auprès de l’organisme de paiement. Lui est alors octroyé le taux cohabitant non privilégié en première période d’indemnisation. Après vérification par l’ONEm, il s’avère qu’elle aurait dû percevoir un montant de l’ordre de 19€ par jour et non 43€, comme payé.

L’organisme de paiement l’informe, en conséquence, du fait de la réduction de son allocation pour l’avenir et réclame un trop perçu pour trois mois, donnant comme motif de la rectification qu’une « erreur de consultation des barèmes de paiement a suscité une indemnisation trop élevée ». L’organisme de paiement récupère l’indu progressivement.

L’intéressée introduit un recours devant le tribunal du travail de Liège.

Sur avis contraire de l’auditeur, le tribunal accueille la demande à l’égard de l’organisme de paiement, celle-ci n’étant cependant pas fondée pour ce qui est de l’ONEm.

Appel est interjeté par l’organisme de paiement (l’ONEm n’étant pas à la cause en appel).

La décision de la cour

La cour circonscrit le litige : l’erreur de calcul n’est pas contestée, étant uniquement en discussion la récupération de l’indu.

Deux angles d’approche peuvent être envisagés, étant d’une part l’article 17 de la Charte de l’assuré social et de l’autre l’article 1382 du Code civil.

Pour ce qui est de la Charte, la question des conséquences de l’erreur d’un organisme de paiement est prévue à l’article 167 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui énumère les situations dans lesquelles la responsabilité de celui-ci peut être mise en cause, hypothèses parmi lesquelles se trouve la situation examinée.

Il peut s’agir du cas de paiements effectués par l’organisme de paiement en ne se conformant pas aux dispositions légales et réglementaires (3°) ou encore de paiements effectués (ou rejetés/éliminés) par le bureau de chômage exclusivement en raison d’une faute ou d’une négligence lui imputable notamment lorsque les pièces ont été transmises en dehors du délai (4°). Il peut également s’agir d’erreurs commises dans le calcul du montant des allocations revenant au chômeur (1°).

Il n’est pas contesté que l’intéressée n’est pas responsable du paiement erroné.

La possibilité pour l’organisme de paiement de poursuivre la récupération des sommes payées à charge du chômeur existe dans l’hypothèse d’erreurs commises dans le calcul (1°) ou de paiements effectués par l’organisme de paiement en ne se conformant pas aux dispositions légales et réglementaires (3°). Cette possibilité existe également dans deux cas non rencontrés, étant les paiements effectués sans carte d’allocations valable qui accorde le droit à celles-ci (2°) ou encore en cas de paiements auxquels le chômeur n’a pas droit et qui ont été effectués par l’organisme de paiement en ne se conformant pas aux obligations de l’article 134ter (5°).

Cependant, s’il s’agit de paiements rejetés ou éliminés par le bureau de chômage en raison d’une faute, la récupération de l’indu n’est interdite que lorsque le droit du travailleur aux allocations de chômage auquel correspond la dépense rejetée ou éliminée existe indépendamment de la faute ou de la négligence de l’organisme de paiement.

En l’espèce, l’intéressée n’avait pas droit au montant de 43€, de telle sorte que la récupération de l’indu peut intervenir. La Charte ne fait dès lors pas obstacle à ce que l’organisme de paiement réclame cet indu.

Par contre, la situation examinée à partir des articles 1382 et 1383 du Code civil aboutit à une autre conclusion. Les organismes de paiement sont en effet soumis au droit commun de la responsabilité civile. La faute au sens de ces dispositions vise un comportement qui soit s’analyse en une erreur de conduite (devant être appréciée suivant le critère de l’organisme de paiement normalement soigneux et prudent placé dans la même situation) soit - sous réserve d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification - viole une norme légale (interne ou de droit international) qui lui impose de s’abstenir ou d’agir d’une manière déterminée.

La cour examine, en conséquence, les missions des organismes de paiement (outre celles qui pourraient découler de la Charte), missions énumérées à l’article 24 de l’arrêté royal. Ceux-ci doivent notamment conseiller gratuitement le travailleur et lui fournir toutes informations utiles concernant ses droits et ses devoirs à l’égard de l’assurance-chômage. Par « informations utiles » figure notamment le régime d’indemnisation, le mode de calcul et le montant de l’allocation. Les organismes de paiement doivent également payer les allocations et autres prestations en se conformant aux dispositions légales et réglementaires. La cour renvoie également à l’article 160 de l’arrêté royal, qui prévoit que l’organisme de paiement paie les allocations en se conformant à celles-ci.

Dans la mesure où il y a eu une erreur, il y a lieu en vertu des principes généraux de la responsabilité civile de rétablir le préjudicié dans l’état où il serait demeuré si l’acte litigieux n’avait pas été commis. La réparation doit être intégrale. Si l’organisme de paiement n’avait pas commis cette erreur, l’indu ne serait pas né. L’intéressée ne peut dès lors conserver cet indu.

Cependant, elle a subi un dommage lié à la faute en cause et la cour du travail reprend les éléments de celui-ci : choc, angoisse (vu l’obligation de remboursement, dans une situation familiale très difficile, etc.). Ce dommage est pour la cour distinct du simple désagrément de voir le patrimoine de l’intéressée amputée d’une somme à laquelle elle n’avait pas droit.

La cour fixe dès lors celui-ci au montant réclamé et ordonne la compensation.

Intérêt de la décision

C’est surtout pour les liens entre l’article 17 de la Charte de l’assuré social et l’article 167, §1er de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 que cet arrêt est important.

Outre qu’il rappelle les hypothèses dans lesquelles l’organisme de paiement peut poursuivre à charge du chômeur la récupération d’un indu, il reprend la jurisprudence récente de la Cour de cassation, étant l’arrêt du 6 juin 2016 (S.12.0028.F) dont des extraits figurent dans la décision de la cour du travail ainsi que deux autres arrêts, respectivement du 27 septembre 2010 (Cass., 27 septembre 2010, R.G. S.09.0055.F) et du 9 juin 2008 (Cass., 9 juin 2008, R.G. S.07.0113.F) sur la même problématique.

La conclusion de la cour du travail est dès lors que la Charte de l’assuré social ne fait pas obstacle à ce que l’organisme de paiement réclame un indu, dans l’hypothèse visée, dans la mesure où l’article 17 implique qu’il y ait une nouvelle décision prise, ce qui n’est pas le cas. Comme on le voit, faire appel à cette disposition n’est dès lors pas possible en l’absence d’une décision nouvelle, ainsi que confirmé dans les divers arrêts de la Cour de cassation.

En dehors de cette hypothèse, le recours aux principes généraux de la responsabilité civile reste le meilleur atout.


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