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Activité d’administrateur exercée depuis l’étranger : assujettissement au statut social belge des travailleurs indépendants ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 juin 2017, R.G. 2014/AB/292

Mis en ligne le lundi 13 novembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 9 juin 2017, R.G. 2014/AB/292

Terra Laboris

Par arrêt du 9 juin 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les activités non salariées exercées dans plusieurs Etats de l’Union Européenne doivent faire l’objet des documents administratifs A1 (précédemment E101). En ce qui concerne la force probante de ceux-ci, l’affaire est l’occasion de rappeler à la fois l’important arrêt de la Cour de Justice du 27 avril 2017 ainsi que celui de la Cour de cassation du 18 avril 2017. Ces documents ne peuvent être contestés par les autorités de l’autre Etat, seuls pouvant être mis en œuvre les mécanismes de contrôle prévus par le droit européen lui-même.

Les faits

Suite à l’examen du dossier d’un mandataire de société (activité déclarée non rémunérée), l’INASTI informe la caisse à laquelle il est affilié que celui-ci a la qualité d’administrateur auprès de deux sociétés anonymes, outre celui-ci.

Lui sont alors réclamées les cotisations correspondant à cinq années.

L’intéressé rétorque que ces mandats étaient exercés à titre gratuit.

La position de l’INASTI est précisée dans un courrier du 18 septembre 2009, étant que l’intéressé a résidé en Belgique jusqu’en février 1998 (information donnée par le registre national des personnes physiques) et qu’il a ensuite dirigé une société depuis l’étranger, situation à laquelle doit s’appliquer la présomption d’assujettissement de l’article 3, §1er, alinéa 4 de l’arrêté royal n° 38. Il doit dès lors, en sa qualité de mandataire d’une société assujettie à l’impôt belge des sociétés, être considéré comme exerçant une activité professionnelle en Belgique en qualité de travailleur indépendant.

L’assujettissement est maintenu pour toute la période concernée.

En conséquence, la Caisse a entamé une procédure contre une des sociétés dans lesquelles le mandat d’administrateur rémunéré a été exercé, réclamant un montant de l’ordre de 16.000 € d’arriérés de cotisations, majorations et frais.

Elle a été déboutée par jugement du 16 décembre 2013 du Tribunal du travail de Bruxelles, au motif de la gratuité du mandat (gratuité en droit et en fait), le tribunal admettant également qu’il était établi qu’il y avait une absence d’activité en Belgique vu la domiciliation au Royaume-Uni.

La caisse interjette appel de cette décision.

Décision de la cour

La cour fait un rappel général des principes en la matière. Elle reprend, d’abord, le Règlement de coordination 883/2004 pour ce qui est de la loi applicable, ainsi que son règlement d’application 987/2009.

En cas d’activité exercée sur le territoire de plusieurs Etats membres, s’agissant d’activités non salariée, la législation applicable est celle de l’Etat de résidence. Pour la cour, il faut dès lors vérifier si pendant la période litigieuse l’intéressé exerçait une activité non salariée au Royaume-Uni et s’il y était assujetti au régime de sécurité sociale.

Le mode de preuve de l’exercice d’une activité dans un Etat membre et son affiliation au régime de sécurité sociale correspondant sont établis par les formulaires E.101 (avant 2010) ou actuellement A1.

La cour rappelle que ces documents sont les seuls qui peuvent être pris en compte pour établir l’assujettissement à un régime national de sécurité sociale, et ce à l’exclusion de tout autre.

En l’espèce, aucun document n’a pu être produit et il a été confirmé à l’INASTI, qui avait pris contact avec les autorités britanniques, que l’intéressé n’était pas inscrit comme indépendant au Royaume-Uni. Le document ne pouvait dès lors être délivré. Il faut considérer, en conséquence, qu’il y a absence d’activité professionnelle au Royaume-Uni et régler la question de l’assujettissement au regard de la seule législation belge.

La cour en vient ainsi à l’examen de la situation du détenteur d’un mandat dans une société de droit belge, reprenant les principes généraux dégagés par l’arrêté royal n° 38, étant la définition de l’activité professionnelle exercée ainsi que son lieu d’exercice.

Des présomptions d’assujettissement ont été prévues. La cour rappelle qu’il s’agit en l’espèce d’une période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 25 avril 2014 et qu’il faut appliquer le texte dans sa version à l’époque.

Le mandataire de société peut renverser la présomption légale en prouvant (i) soit que l’activité n’est pas habituelle (absence d’activité de la société elle-même), (ii) qu’elle est exercée sans but de lucre ou (iii) qu’elle n’est pas exercée en Belgique. L’absence de but de lucre implique la preuve de la gratuité en droit et en fait.

Examinant les éléments de la cause, étant essentiellement les attestations produites (d’un reviseur ainsi que d’un fiscaliste) et renvoyant aux statuts de la société (qui donnent compétence à l’assemblée générale lors de chaque nomination de dire si et dans quelle mesure le mandat d’administrateur sera rémunéré ou non), la cour conclut que la gratuité en droit n’est pas démontrée.

Pour ce qui est du lieu d’exercice de l’activité, elle reprend l’arrêt de la Cour de Justice du 27 septembre 2012 (C.J.U.E., 27 septembre 2012, n° C-137/2011, Tartes de Chaumont-Gistoux), qui a conclu à l’illicéité du caractère irréfragable de la présomption.

Eu égard à la jurisprudence européenne, la présomption de l’exercice de l’activité est réfragable. La preuve contraire peut être rapportée par le mandataire (ou la société). En l’espèce, ceci n’est pas fait. La présomption n’étant pas renversée, ceci justifie l’assujettissement. La cour relève que la société est solidairement tenue au paiement des cotisations de sécurité sociale et qu’elle peut dès lors y être condamnée.

Se pose, par ailleurs, une question de prescription, soulevée par celle-ci, élément que la cour rejette au motif qu’une sommation est intervenue dans le délai légal, sommation qui a eu un effet interruptif. Celle-ci a été adressée à la société. Pour la cour, l’effet interruptif à l’égard de cette dernière est bien réel même si aucun acte d’interruption n’a été posé vis-à-vis de l’administrateur (renvoyant à deux arrêts de la Cour de de cassation, étant Cass., 4 novembre 2013, n° S.12.0010.N et Cass., 28 mars 2011, n° S.10.0039.F).

Enfin, la cour répond à des derniers arguments, selon lesquels il y aurait une faute dans le chef de la caisse, faute de nature diverse (recours immédiat au mécanisme légal de solidarité, illégalité des majorations, qui seraient des astreintes (étant ainsi contraires au Code judiciaire et à la Convention Benelux), et encore dépassement du délai raisonnable.

La cour reprend les actes d’instruction du dossier et conclut à l’absence de faute. Le mécanisme de solidarité est prévu par la loi et la caisse pouvait choisir d’agir contre la société uniquement. C’est également l’enseignement des arrêts de la Cour de cassation ci-dessus. S’agissant d’un mécanisme légal, l’usage de celui-ci ne peut être considéré en tant que tel abusif.

Elle rejette par ailleurs que les majorations puissent être considérées comme des astreintes, ces dernières étant un moyen de pression destiné à assortir une condamnation, uniquement d’ailleurs où celle-ci porte sur une obligation de faire ou de ne pas faire.

Enfin, le délai raisonnable a été respecté.

Le jugement est dès lors réformé et la cour prononce la condamnation de la société au montant réclamé.

Intérêt de la décision

La question de l’exercice depuis l’étranger d’un mandat d’administrateur doit, s’agissant d’un autre Etat membre de l’Union Européenne, être appréhendée comme le fait à juste titre la cour du travail à partir des règlements de coordination.

Afin d’établir un assujettissement dans un autre Etat membre, du fait de l’exercice dans celui-ci d’une activité non salariée, le travailleur doit se voir délivrer par les institutions de celui-ci un document portable A.1. Celui-ci s’impose aux institutions de sécurité sociale de l’autre Etat. Ils font dès lors foi et, comme le rappelle la cour, seuls les mécanismes de loyauté de la coopération administrative peuvent être invoqués, s’agissant d’un des principes fondamentaux des règlements de coordination.

Dans son arrêt du 27 avril 2017 (C.J.U.E., 27 avril 2017, Aff. n° C-620/15 (A-ROSA FLUSSSCHIFF c/ URSSAF) – précédemment commenté), la Cour de Justice, répondant à une question posée par la Cour de cassation française, a rappelé que le but du certificat E 101 (de même que du document portable A1) est de faciliter la libre circulation des travailleurs et la libre prestation des services. Les travailleurs ne devant être affiliés qu’à un seul régime de sécurité sociale, le certificat – délivré par l’institution compétente de l’Etat membre où l’employeur est établi – implique que le régime de l’autre Etat n’est pas susceptible de s’appliquer. Le principe de coopération loyale inscrit dans le T.U.E. impose à l’institution émettrice de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents, et ce afin de garantir l’exactitude des mentions figurant dans le certificat. Aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E101 s’impose dans l’ordre juridique interne de l’Etat membre où le travailleur effectue son travail et, partant, lie les institutions de celui-ci.

Il en découle que les juridictions de l’Etat membre d’accueil ne peuvent vérifier la validité du certificat au regard des éléments qui ont conduit à sa délivrance. Le fait que les travailleurs concernés ne relèvent manifestement pas du champ d’application de l’article 14 du Règlement n° 1408/71 ne modifie en rien cette règle, les institutions et les juridictions étant liées.

Par ailleurs, par arrêt du 18 avril 2017 (Cass., 18 avril 2017, n° P.14.1858.N), la Cour de cassation a fait un rappel de la règle : les formulaires E101 et A1 créent une présomption que les travailleurs pour qui ils sont délivrés sont régulièrement assujettis au régime de sécurité sociale de l’Etat dans lequel ils ont été établis. Ils sont contraignants pour les institutions compétentes de l’Etat membre dans lequel le travailleur effectue son travail tant que ces documents n’ont pas été retirés ou déclarés non valables.


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