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La responsabilité du secrétariat social peut-elle être engagée en cas de paiement d’une rémunération insuffisante ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 juin 2017, R.G. 2015/AB/423

Mis en ligne le mardi 28 novembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 20 juin 2017, R.G. 2015/AB/423

Terra Laboris

Par arrêt du 20 juin 2017, la Cour du travail de Bruxelles examine notamment la question de la mise en cause de la responsabilité du secrétariat social, dans l’hypothèse de l’application d’un barème inexact pendant de nombreuses années : c’est à l’employeur à établir l’existence d’une faute dans son chef, étant qu’il lui avait confié la mission de déterminer le barème applicable.

Les faits

Dans le cadre d’un litige portant notamment sur une régularisation salariale et de pécules de vacances, le secrétariat social est appelé en intervention forcée et garantie par l’employeur, qui demande que sa responsabilité soit engagée et qu’il soit condamné à rembourser à ce dernier toutes sommes qu’il serait contraint de payer à l’employée demandeur de régularisation.

Il sollicite également à titre subsidiaire que si la juge devait estimer que la responsabilité est partagée entre le secrétariat social et les gérants de la société, de dire dans quelle proportion et de condamner dans cette même proportion le secrétariat social au remboursement des sommes qu’il a été contraint de payer.

La société employeur a en cours d’instance été déclarée en faillite. Le tribunal a cependant condamné solidairement deux anciens gérants au paiement des sommes dues (après déduction de ce qui fut payé par le Fonds d’indemnisation).

Le litige est complexe, dans la mesure où les deux gérants se sont succédé. Le dernier des deux invoque la solidarité, sur la base de l’article 1214, alinéa 1er du Code civil et il fait également valoir que le secrétariat social a commis une faute dans le calcul de la rémunération, précisant que la société faillie avait laissé le soin au secrétariat social de déterminer la catégorie professionnelle sur la base des informations communiquées (nature de la fonction, prospection et ventes d’articles).

Le secrétariat social conteste avoir commis une quelconque faute. Il plaide que, eu égard aux documents transmis, il ignorait que l’employé avait la qualité de représentant de commerce. Il fait également valoir qu’il y a prescription de la demande, renvoyant à son règlement organique. Il entend par ailleurs limiter la période où sa responsabilité pouvait être engagée, vu la fin du contrat (décembre 2006) et la date de la citation introductive (février 2011). Cette période devrait, ainsi, dans l’hypothèse où sa responsabilité serait engagée, être limitée (février – décembre 2006).

Décision de la cour

La cour examine en premier lieu la prescription de l’action fondée sur un délit et consacre à cette question de très longs développements particulièrement documentés (ceux-ci font l’objet d’un autre commentaire) ainsi que sur l’élément moral et la cause de justification et, enfin, la responsabilité des dirigeants d’entreprise.

Pour ce qui est de la mise en cause du secrétariat social, la cour du travail rappelle que, en vertu des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, l’employeur doit prouver que le secrétariat social a commis la faute qu’il lui reproche.

La cour reprend ensuite la mission légale de ces organismes, qui est de remplir au nom et pour le compte de leurs affiliés certaines formalités auxquelles ceux-ci sont tenus vu leur qualité d’employeur (renvoyant à l’article 27, alinéa 1er de la loi du 27 juin 1969). Il s’agit de l’envoi à l’ONSS des déclarations justificatives du montant des cotisations sociales ainsi que du paiement de ces cotisations dans le délai légal.

La cour renvoie à la doctrine sur la matière, étant celle de R. CAPART (R. CAPART, « La responsabilité civile et pénale du secrétariat social », in La sécurité sociale des travailleurs salariés, Larcier, 2010, pp. 564 à 593. Au-delà de cette mission, l’employeur doit prouver qu’il a donné un mandat au secrétariat social ainsi s’il s’agit de déterminer la catégorie professionnelle du travailleur. Si ce mandat était prouvé, sa responsabilité ne pourrait cependant être mise en cause en cas de faute qui serait la conséquence d’une information inexacte ou incomplète de l’employeur (renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 15 janvier 2009, J.T.T., 2009, p. 113).

Le mandat reçu des affiliés fait l’objet d’un règlement organique et il ressort en l’espèce de celui-ci qu’il comporte la mission d’accomplir les formalités légales et réglementaires vis-à-vis des administrations sociales (ONSS, SPF Finances, ONP et INAMI). La possibilité de conclure une convention complémentaire existe, pour d’autres tâches en rapport avec ces missions.

La cour examine encore longuement les mentions du règlement organique, qui sont claires et qui prévoient notamment que le secrétariat social n’est pas tenu de contrôler le contenu, le caractère complet ou exact des données fournies par l’affilié.

Par ailleurs, le gérant doit prouver que le secrétariat social aurait pris l’engagement de déterminer la catégorie professionnelle. Or, les éléments produits, essentiellement la fiche de travailleur ne contiennent aucune information spéciale, étant repris qu’il s’agit d’un employé (et non d’un représentant de commerce) et que sa fonction consistait dans la « prospection et vente articles ». Sur des feuilles de paie figure cependant la référence à une fonction de délégué commercial.

La société ayant changé de secrétariat social à la date du 31 décembre 2006, celui qui l’a remplacé a continué à gérer le dossier sur la base de la situation antérieure.

Pour ce qui est de la rémunération elle-même, a été appliquée la première catégorie jusque fin octobre 1999, la deuxième catégorie jusqu’au 31 décembre 2006 et, ensuite, la troisième catégorie. Examinant l’ensemble des éléments qui lui sont soumis et soulignant que la fiche d’identification du travailleur ne vise pas un représentant de commerce mais un employé, la cour conclut que la faute n’est pas établie et que, en conséquence, l’on ne peut reprocher au secrétariat social d’avoir calculé une rémunération relevant de la catégorie professionnelle II/2. La seule référence à une activité de prospection et de vente d’articles en pouvant suffire.

La cour relève encore que lorsqu’elle a changé de secrétariat social, et que la rémunération payée a été celle de la troisième catégorie, la société a accepté le fait et les fiches de paie délivrées pour cette période se réfèrent d’ailleurs à un travail de représentant.

La demande est dès lors rejetée.

Intérêt de la décision

Cet aspect du litige (en réalité beaucoup plus complexe) est l’occasion de rappeler que dans le cadre du mandat qui leur est confié par leurs affiliés, les secrétariats sociaux remplissent des missions de deux types étant, d’une part leur mission légale qui est de remplir pour leurs affiliés certaines formalités dans le cadre de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs : les secrétariats sociaux agréés sont des prestataires de services sociaux (visés à l’article 31ter, § 2, 1° de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés) ainsi que d’autres tâches en lien avec les obligations légales des employeurs. Celles-ci peuvent être confiées au secrétariat social, qui peut les assumer, toujours dans le cadre d’un mandat. En l’espèce, leur règlement organique prévoit expressément la nécessité de conclure une convention complémentaire en vue de déterminer limitativement ses tâches.

A défaut, seules les missions légales doivent être remplies. Ainsi que judicieusement soulevé par la cour du travail, si la responsabilité du secrétariat social doit être mise en cause, il appartient à l’employeur d’établir, conformément aux règles générales en matière de charge de la preuve, l’existence d’une telle faute.


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