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Responsabilité personnelle des gérants d’entreprise en cas de non-paiement de rémunération

C. trav. Bruxelles, 20 juin 2017, R.G. 2015/AB/423

Mis en ligne le mardi 28 novembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 20 juin 2017, R.G. 2015/AB/423

Terra Laboris

Par arrêt du 20 juin 2017, la Cour du travail de Bruxelles confirme les conditions dans lesquelles des dirigeants d’entreprise peuvent être considérés responsables personnellement d’infractions en cas de non-paiement de rémunérations.

Les faits

Un employé réclame une régularisation salariale. Il a été occupé depuis octobre 1998 dans une société ayant pour activité l’importation et la vente de vanneries en gros.

L’employeur s’est affilié à un secrétariat social et en a changé fin 2006. La catégorie salariale de l’intéressé a évoluée au fil du temps, laissant cependant d’importants d’arriérés de rémunération, dans la mesure où il pouvait revendiquer la qualité de représentant de commerce. Il a été payé pendant plusieurs années en catégorie I. Il réclame, en conséquence, des arriérés pour toute la période d’occupation. Ceux-ci sont importants.

La société fait faillite et un dossier est introduit auprès du Fonds de fermeture, qui va indemniser à concurrence de 6.750€ brut pour ce qui est des salaires et 4.500€ pour des pécules de vacances.

La procédure a également été lancée contre les deux gérants successifs de la société, en personne physique.

Le Tribunal du travail de Nivelles condamne ceux-ci au paiement du solde (étant les montants dus sous déduction de l’intervention du Fonds de fermeture). Il retient la responsabilité pénale de ceux-ci et les condamne solidairement.

Appel et interjeté par l’un des deux gérants, l’autre formant un appel incident.

Le secrétariat social qui a géré le dossier jusqu’en 2006 est également à la cause, appelé en intervention et garantie (question faisant l’objet d’un autre commentaire).

Décision de la cour

La cour doit se prononcer sur l’importante question du délit constitué par l’absence de rémunération conforme à la classification professionnelle.

La première question sur laquelle elle se penche est la prescription de l’action fondée sur un tel délit.

Il s’agit d’appliquer à la question du non-paiement de la rémunération l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale.

La cour du travail en vient directement aux importants arrêts rendus par la Cour de cassation entre 2006 et 2008 (voir ci-après). Elle renvoie également à l’article 162, alinéa 1er du Code pénal social qui punit d’une sanction de niveau 2 (peine correctionnelle) l’employeur, son préposé ou son mandataire qui n’a pas payé la rémunération du travailleur ou ne l’a pas payée à la date à laquelle elle est exigible. La sanction de niveau 2 est, conformément à l’article 101, alinéa 3 du même Code, soit une amende pénale de 50 à 500€, soit une amende administrative de 25 à 250€.

Est également sanctionné par l’article 189 (sanction de niveau 1), l’employeur qui, en contravention à la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, commet une infraction à une convention collective rendue obligatoire qui n’est pas déjà sanctionnée par un autre article du même Code.

En ce qui concerne le non-paiement du pécule de vacances, il est passible d’une sanction de niveau 2 en vertu de l’article 162, alinéa 2, 3° du Code pénal social, étant une amende pénale de 50 à 500€ ou une amende administrative de 25 à 250€.

La cour constate dès lors que les infractions à une convention collective de travail rendue obligatoire par arrêté royal ne sont plus punies d’une sanction pénale conformément à l’article 189 du Code pénal social et qu’il n’est plus question d’appliquer ici l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale. L’action en dommages et intérêts fondée sur une telle infraction est cependant toujours susceptible d’être formée dans un délai de cinq ans en application de l’article 2262bis du Code civil.

Le non-paiement de la rémunération ou le non respect d’une convention collective rendue obligatoire par arrêté royal est en principe une infraction instantanée et la prescription prend dès lors cours dès la commission de celle-ci.

Cependant si les infractions instantanées sont reliées entre elles par une unité d’intention, elles vont constituer une infraction continuée (appelée également délit collectif). La prescription de l’action publique prendra cours dans ce cas à partir du dernier fait commis qui procède de la même intention. Il faut cependant qu’aucun d’entre eux ne soit séparé du suivant par un temps plus long que le délai de prescription applicable (sauf interruption ou suspension de la prescription).

La cour rappelle ensuite la définition donnée par la Cour de cassation à la notion d’unité d’intention délictueuse : les infractions doivent être liées entre elles par la poursuite d’un but unique et par sa réalisation et constituer dans cette acception un seul fait, à savoir un comportement complexe. Le juge va apprécier en fait et de manière souveraine si différents infractions constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse. La Cour de cassation pourra ensuite vérifier si, à partir des faits qu’il a constatés, le juge a pu légalement déduire l’existence ou l’absence de cette unité d’intention.

Il ne suffit dès lors pas qu’il y ait une simple répétition de l’infraction pour que soit établie la poursuite d’un but unique.

La cour en vient ensuite à plusieurs arrêts de fond qui ont exposé des éléments permettant au juge d’asseoir sa conviction.

Pour ce qui est de l’élément moral, celui-ci peut être déduit du simple fait matériel commis et de la constatation que ce fait est imputable au prévenu, étant entendu que l’auteur est mis hors cause en cas de force majeure, d’erreur invincible ou d’une autre cause d’excuse (éléments établis ou à tout le moins non dénués de crédibilité).

Pour ce qui est de la responsabilité des dirigeants d’entreprise, ceux-ci bénéficient d’une quasi-immunité à l’égard des tiers, sur le plan contractuel ou quasi-délictuel sauf si leur responsabilité pénale est engagée. En matière d’infraction de non-paiement de la rémunération, il a été décidé, toujours par la Cour de cassation, que la demande tendant au paiement d’arriérés de salaire au titre de réparation en nature du dommage résultant de l’infraction « de na pas payer la rémunération convenue » peut être introduite non seulement à l’égard de l’employeur mais aussi à l’égard du préposé ou du mandataire qui s’est rendu coupable de cette infraction au sens de l’article 42 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération. La jurisprudence admet, ainsi, que peuvent être condamnés au paiement d’arriérés de rémunération des administrateurs et gérants si leur responsabilité pénale est engagée.

Après ce rappel très complet des principes dégagés par la Cour de cassation et diverses juridictions de fond, la cour en vient à la détermination du préjudice. Il s’agit en effet de déterminer la base des dommages et intérêts.

Le travailleur n’adopte pas une position claire, pour la cour, dans la mesure où il postule à la fois une réparation en nature et des dommages et intérêts. La cour précise qu’il s’agit de deux choses distinctes : si sont réclamés des dommages et intérêts correspondant à la rémunération impayée, il n’y a pas d’obligation de payer des cotisations de sécurité sociale. En outre, se pose la question de savoir si, en réclamant des dommages et intérêts et non la réparation en nature, le travailleur est en droit de prétendre au montant brut de la rémunération.

Pour la cour, le préjudice subi est non seulement la perte du net et celle du pécule de vacances mais également la perte des avantages sociaux qui devaient résulter du versement des cotisations de sécurité sociale. La cour constate que ce calcul est impossible à faire mais que de toute manière l’octroi d’une rémunération nette ne couvrirait que partiellement le dommage subi. Elle estime dès lors qu’il faut se rapprocher « le plus possible » du dommage effectivement subi. Elle confirme le droit de l’intéressé au titre de dommages et intérêts à la rémunération brute et aux pécules de vacances bruts (sauf pour une période de treize mois entre 2008 et 2009, pendant laquelle le gérant avait été en incapacité de travail et ne peut dès lors se voir mettre à charge un comportement délictueux).

La réouverture des débats est ordonnée sur les montants.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est un véritable florilège de jurisprudences.

Il reprend méthodiquement les arrêts rendus par la Cour de cassation sur chacun des points de droit abordés.

Leur nombre fait que nous n’entreprendrons pas de les mentionner, renvoyant à la décision elle-même, véritable œuvre de doctrine.

Cet arrêt fait également l’objet d’un second commentaire pour ce qui est de la question de la mise en cause de la responsabilité du secrétariat social.


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