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Rétroactivité d’une décision de récupération d’allocations de chômage : portée de la Charte de l’assuré social

Commentaire de Cass. (3e ch.), 29 mai 2017, n° S.15.0131.F

Mis en ligne le mardi 28 novembre 2017


Cour de cassation (3e ch.), 29 mai 2017, n° S.15.0131.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 29 mai 2017, la Cour de cassation se prononce sur les relations entre les manquements aux devoirs d’information et de conseil prévus par les articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social par les services de contrôle de l’ONEm dans la vérification des conditions de l’exercice d’une activité accessoire autorisée et l’article 17, alinéa 2, de cette charte.

Les faits de la cause

Mr G.K. a demandé le bénéfice des allocations de chômage après la perte de son emploi à temps plein. Il a déclaré le 30 août 1998, au moyen d’un formulaire C1A, qu’il exerçait, à un endroit et depuis le 20 septembre 1992, une activité indépendante de professeur de danse du lundi au samedi après 18h00 et que le revenu imposable de cette activité en 1997 correspondait à 3.074 €. Il a été autorisé à poursuivre cette activité tout en percevant des allocations de chômage.

Mr G.K. a fait l’objet d’un premier contrôle administratif par les services de l’ONEm. Il a été entendu le 9 juin 2006 sur l’horaire des cours de danse et le lieu où cette activité se déroulait (Liège et Seraing). A la suite de ce contrôle, le dossier a été classé sans suite.

En 2008, l’ONEm a ordonné une enquête afin de vérifier si l’activité ne devait pas être assimilée à une activité principale compte tenu du montant important du bénéfice brut généré entre 2001 et 2006. L’agent administratif a conclu que le caractère accessoire de son activité était identique à celui constaté en août 1998.

Le 14 décembre 2009, le service d’inspection a diligenté une nouvelle enquête et demandé la production des facturiers d’entrées et de sorties depuis 2005 ainsi que le bilan détaillé des frais depuis 2005. Il fut constaté que les revenus de l’activité étaient passés de 3.074 € en 1997 à 38.386 € en 2005 avec des frais de 35.332 € considérés comme exorbitants par l’ONEm. Mr G.K. est entendu le 7 janvier 2010. Dans sa déclaration, il indique produire la déclaration fiscale des revenus de 2008. Il est informé que le chiffre d’affaire mentionné dans cette déclaration, soit 33.759,51 €, ne peut être considéré comme conciliable avec une activité accessoire. En outre, ces documents mentionnent des « recettes bar », activité qui n’a jamais été déclarée et qui est une activité qui ne peut être exercée pendant le chômage.

L’ONEm prend une première décision notifiée le 14 janvier 2010, par laquelle Mr G.K. est exclu du droit aux allocations de chômage à partir du 1er décembre 2009. Cette décision ajoute aux éléments précités que le formulaire C1A mentionne l’exercice de l’activité à un endroit alors que le chômeur l’exerce également à quatre autres endroits, et ce sans qu’il ait procédé auprès de son organisme de paiement à des déclarations modificatives du formulaire C1A.

L’ONEm prend ensuite une décision notifiée le 4 mars 2010 qui, cette fois, fixe la date du début de l’exclusion au 1er janvier 2005 et décide de la récupération des allocations obtenues frauduleusement depuis cette date. Cette décision précise que la mise à jour des recettes de bar n’a pu être effectuée que sur la base du bilan précis et détaillé dont l’intéressé devait se munir pour l’audition du 7 janvier 2010 et que ce bilan – qui reprend des frais de voiture très important – a permis de mettre à jour la discordance entre la déclaration faite dans le formulaire C1A du 4 août 1998 qui n’a jamais été modifié et la réalité, soit des cours de danse donnés dans d’autres communes.

Mr G.K. a introduit contre ces décisions des recours recevables.

Par jugement du 26 mai 2014, le Tribunal du travail de Liège confirme les décisions de l’ONEm sous la seule émendation qu’il applique la prescription de trois ans à la récupération.

L’arrêt attaqué

Sur l’appel de Mr G.K., l’arrêt soumis à la censure de la Cour de cassation, prononcé le 11 septembre 2015, confirme les décisions de l’ONEm en ce qu’elles ont constaté que l’activité exercée par le chômeur ne satisfaisait plus aux conditions réglementaires de l’activité accessoire depuis le 1er janvier 2005 compte tenu de ce que l’activité initialement déclarée avait considérablement évolué notamment au point de vue du nombre de sites sur lesquels les cours sont donnés, de l’augmentation importante du chiffre d’affaire et des frais professionnels et de l’installation d’un service de bar. Il annule les décisions en ce qu’elles ont conféré à l’exclusion du bénéfice des allocations de chômage et à la récupération de l’indu un caractère rétroactif.

L’arrêt attaqué s’interroge tout d’abord sur le respect par les services de contrôle de l’ONEm des devoirs d’information et de conseil que lui imposent les articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social compte tenu des contrôles effectués en 2006 et 2008 ayant abouti à des classements sans suite. Il décide qu’il n’est pas démontré que Mr G.K. aurait en 2006 tenté de celer les conditions dans lesquelles il exerçait son activité. En effet, lors de son audition du 9 juin 2006 il « a clairement mentionné qu’elle n’était pas exercée que dans une salle ». Il a régulièrement produit les avertissements-extraits de rôle dont celui de l’exercice d’imposition 2005 faisant état d’un bénéfice brut de 38.068,61 € amputé de charges professionnelles de 33.270,42 €.

Lors de l’enquête de 2008, « les inspecteurs sociaux avaient à leur disposition l’évolution complète du chiffre d’affaires de l’activité en question, qui a varié, selon les années, dans une fourchette comprise entre 31.000 et 38.000 euros ». Or, ils ont continué à considérer l’activité comme accessoire.

A cet égard, l’arrêt décide qu’il ne peut être tenu pour acquis que Mr G.K. aurait caché l’existence du service bar connexe à l’exercice de son activité. La convocation l’invitait à se munir de tous documents permettant d’établir le détail des frais. Ni la copie ni l’inventaire des documents remis lors du contrôle ne figurent au dossier de l’ONEm mais s’ils n’avaient pas été produits, l’ONEm n’aurait pas manqué d’en tirer les conséquences.

En 2006 et 2008, les contrôleurs ont mal apprécié l’évolution de l’activité, ce qui n’a pu que conforter Mr G.K. dans l’idée qu’il était en règle par rapport à la réglementation de l’activité accessoire.

L’arrêt attaqué examine alors les conséquences du caractère lacunaire des contrôles au regard de l’article 17 de la charte de l’assuré social.

Il décide que les services d’inspection de l’ONEm ont commis une faute dont la conséquence est que Mr G.K. ne savait pas et ne devait pas savoir que l’évolution et le développement de son activité avaient fait obstacle au maintien du caractère accessoire de ses cours de danse. Les décisions d’exclusion et de récupération ne pouvaient en conséquence prendre effet au plus tôt que le premier jour du mois suivant leur notification en application de l’article 17, al. 2, de la Charte.

La requête en cassation

Seule la deuxième branche, accueillie par la Cour de cassation, fait l’objet du commentaire.

Elle est prise, plus spécialement, de la violation des articles 3, al. 1er, et 3 et 17, al. 2, de la Charte de l’assuré social, ainsi que des articles 48, § 3, et 149, § 1er, 3°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation chômage.

L’ONEm soutient tout d’abord que l’institution de sécurité sociale qui ne prend pas la décision de retirer à l’assuré social les allocations auxquelles ce dernier n’a plus droit dès le moment où elle aurait pu théoriquement le constater dans le cadre des contrôles auxquels elle a procédé ne manque pas à ses devoirs d’information et de conseil. L’arrêt attaqué méconnaît donc la portée de ces dispositions.

Il soutient ensuite que le fait qu’en raison d’un manque de diligence dans les contrôles qu’il a opérés, l’ONEm n’ait pas aperçu une modification de la situation du chômeur que celui-ci a omis de déclarer conformément aux articles 134 et 1er, al. 2, de l’arrêté royal du 31 mai 1933 ne constitue pas une erreur de droit ou matérielle due à l’institution de sécurité sociale et commise lors de l’adoption de la décision qui a fait l’objet d’une révision au sens de l’article 17, al. 2, de la Charte et 149, § 1er, 2°, de l’A.R.

L’arrêt commenté

La Cour de cassation rappelle le contenu de l’article 17, al. 1er et 2, de la Charte qui régit la révision des décisions des institutions de sécurité sociale et des articles 133, §1er, 139 et 142 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 qui prévoient l’introduction d’un dossier par le chômeur auprès de son organisme de paiement et le contenu de celui-ci, la prise de décision par le directeur sur le droit aux allocations et la possibilité pour le bureau du chômage de vérifier à tout moment les documents et déclarations et le respect des conditions requises pour prétendre aux allocations.

Elle retient que : « L’erreur d’appréciation commise par l’Office national de l’emploi dans la vérification des déclarations et documents et des conditions requises pour prétendre aux allocations ne constitue pas une erreur de droit ou matérielle entachant la décision de l’Office sur le droit aux allocations de chômage, au sens de l’article 17, alinéa 2, de la charte de l’assuré social », rappelant que l’arrêt attaqué constate qu’en 1998, le directeur a décidé que les conditions requises pour la reconnaissance du caractère accessoire de l’activité déclarée par Mr G.K. étaient remplies.

La circonstance que le service d’inspection aurait, en 2006 et 2008, « commis sur le caractère accessoire de (l’activité de Mr G.K.) une erreur d’appréciation que n’aurait pas commise une administration normalement prudente et raisonnable placée dans les mêmes conditions et confrontée aux mêmes résultats d’exploitation et que cette erreur constitue une faute » ne justifie donc pas légalement la décision que l’exclusion ne peut rétroagir en application de l’article 17, al. 2, de la Charte.

Intérêt de la décision

Ce cas d’espèce permet de souligner que l’exercice par le chômeur d’une activité en cumul avec les allocations de chômage peut être un parcours semé d’embûches.

L’article 48, § 3, de l’A.R. du 25 novembre 1991 pose la règle que cette activité doit avoir un caractère accessoire et que le directeur peut refuser de donner son autorisation à cet exercice lorsqu’il estime que l’activité n’est pas accessoire eu égard aux revenus et/ou au nombre d’heures pendant lesquelles elle est exercée. Lorsqu’il a initialement autorisé cette activité, il peut vérifier à tout moment si celle-ci conserve son caractère accessoire. Le refus ou dans ce cas d’espèce le retrait de l’autorisation a pour conséquence que le chômeur n’a plus droit aux allocations même pour les jours où il n’exerce pas l’activité.

Les critères de l’article 48, § 3, laissent au directeur et aux juridictions du travail une grande marge d’appréciation et il n’est pas toujours aisé pour le chômeur de déterminer à quel moment une évolution de ses revenus et/ou de ses heures de travail a une incidence sur son droit aux allocations. En outre, le caractère formaliste de la réglementation ne permet pas de remplacer par autre chose, comme par exemple des informations données lors d’un contrôle, le formulaire requis pour chaque cas de figure. En outre ces formulaires doivent transiter par l’organisme de paiement.

Il est donc important que, lorsque des contrôles sont réalisés, ils permettent au chômeur de déterminer si l’ONEm est en possession de tous les éléments pertinents pour maintenir à l’activité son caractère accessoire et quelle est exactement la frontière entre l’activité accessoire et l’activité qui ne l’est plus. Il en va de la sécurité juridique, de la légitime confiance du chômeur.

L’arrêt cassé tranche la question de la rétroactivité sous l’angle de la charte de l’assuré social.

Il décide d’abord que la faute de l’institution de sécurité sociale consiste dans le caractère lacunaire des contrôles effectués en 2006 et 2008. Il s’agit d’un manquement aux devoirs d’information et de conseil imposés aux institutions de sécurité sociale par les articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social.

Le problème est que la Charte ne prévoit pas de sanction aux manquements à ces articles en sorte que le juge est confronté à la règle de principe qui est que, dans cette matière d’ordre public, il ne peut être question de réparer la faute en supprimant la récupération de l’indu. On se référera à cet égard à la jurisprudence constante de la Cour de cassation (et notamment à l’arrêt du 14 octobre 2011, Chron.D.S., 2011, p.49) et à J.-F. Neven (« Les principes de bonne administration, La charte de l’assuré social et la réglementation du chômage », in La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, E.P.D.S., 2011/5, p. 607). Par contre, ainsi que le souligne cet auteur (eodem cit. p. 601), le grand intérêt de l’article 17, al. 2, de la Charte est de préciser dans quels cas le principe de confiance légitime justifie que la décision ne produise ses effets que pour l’avenir.

Mais la révision au sens de cette disposition implique une erreur de droit ou matérielle entachant la décision de l’Office sur le droit aux allocations. Comme le souligne un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 10 décembre 2014 (R.G. 2013/AB/322, publié et commenté sur www.terralaboris.be), l’alinéa 2 de l’article 17 de la Charte ne vise pas toute faute de l’institution de sécurité sociale mais uniquement la situation où une erreur imputable à l’institution de sécurité sociale est à l’origine de la décision rectifiée.

Or, la décision initiale de 1998 accordait à Mr G.K., compte tenu de ses déclarations dans le formulaire C1A rempli à l’époque, le droit de cumuler, dans les limites prévues par l’article 130 de l’A.R., ses allocations et les revenus de son activité autorisée. Le litige ne se situe donc pas dans le cadre limité de cet article 17, al. 2, et telle est à notre estime la portée de l’arrêt de la Cour de cassation.


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