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Maintien de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 dans le temps

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 juin 2017, R.G. 2015/AB/593

Mis en ligne le mardi 19 décembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 28 juin 2017, R.G. 2015/AB/593

Terra Laboris

Par arrêt du 28 juin 2017, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle quant au maintien de l’article 63 dans le temps, rappelant que la Cour a fait un constat d’inconstitutionnalité mais qu’elle en a limité les effets dans le temps.

Les faits

Un contrat de travail pour ouvrier a été conclu entre une société et un travailleur en avril 2012. Il s’agit de tâches de technicien dans le secteur du conditionnement d’air.

Un an plus tard, la société licencie l’intéressé, moyennant l’annonce du paiement d’une indemnité. Le motif donné est une « réorganisation ».

Suite à la contestation de l’intéressé quant au motif de licenciement, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, le syndicat ayant par ailleurs fait valoir dans le cours des discussions que l’intéressé avait été débauché de son emploi. Il conteste essentiellement les motifs qui ont été donnés verbalement lors d’un entretien le jour du licenciement (difficultés de communication ayant donné lieu à des plaintes et insuffisances professionnelles).

La demande introduite porte sur l’indemnité prévue à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

L’intéressé a été débouté en première instance et il interjette appel.

Position de la cour

La cour fait un long rappel des principes sur le droit pour l’employeur de licencier les travailleurs engagés dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, rappelant qu’il peut y être mis fin si l’employeur respecte le préavis légal ou paie l’indemnité compensatoire.

Revenant sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui a donné lieu aux mesures de rapprochement des statuts, la cour rappelle que le droit de licenciement n’est pas discrétionnaire.

Elle reprend, dès lors, les travaux préparatoires de la disposition en cause ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 27 septembre 2010, n° S.09.0088.F et Cass., 22 novembre 2010, n° S.09.0092.N), relative au motif lui-même.

La cour rappelle encore d’autres interventions de la Cour suprême, étant ses arrêts des 18 février 2008 (sur l’aptitude – Cass., 18 février 2008, n° S.07.0010.F) et 16 février 2015 (sur les nécessités de fonctionnement – Cass., 16 février 2015, n° S.13.0085.F).

D’autres développements juridiques suivent, vu le maintien dans le temps de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978. En effet, dans un arrêt du 18 décembre 2014 (C. Const., 18 décembre 2014, n° 187/2014), la Cour constitutionnelle a considéré que l’article 63 violait les articles 10 et 11 de la Constitution, ses effets devant cependant être maintenus jusqu’au 1er avril 2014, au motif que le constat d’inconstitutionnalité, s’il n’était pas modulé, entraînerait une insécurité juridique considérable au détriment des travailleurs.

Ceci pose, pour la cour, la question de l’effet de l’arrêt en cause. Dès lors que les juridictions sociales statuent dans d’autres affaires que celle ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, elles ne peuvent s’arroger le droit de ne choisir de suivre qu’une partie de la décision, en l’occurrence le constat d’inconstitutionnalité – sans cependant tenir compte du maintien de la disposition dans le temps. Deux possibilités sont en effet prévues par la loi du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dans une telle situation, étant soit de se conformer à l’arrêt, soit de poser une nouvelle question. Il ne peut en aucun cas être décidé de choisir de n’en respecter qu’une partie.

Ceci a d’ailleurs été confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2016 (Cass., 5 février 2016, n° C.15.0011.F), arrêt relatif au maintien des effets d’un arrêt rendu au contentieux préjudiciel. L’arrêt préjudiciel qui a constaté l’inconstitutionnalité d’une décision sans en limiter les effets dans le temps est déclaratoire et s’impose tant à la juridiction qui a posé la question préjudicielle qu’à celle qui en est dispensée. Telle est également la solution donnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme, ainsi que par la Cour de Justice de l’Union européenne, et ce aux fins de veiller à la sécurité juridique.

Vu la date à laquelle le licenciement est intervenu (mai 2013), l’article 63 pouvait toujours être appliqué, l’arrêt de la Cour constitutionnelle en ayant maintenu les effets jusqu’au 1er avril 2014.

La cour en vient ainsi à l’examen des motifs invoqués, et ce conformément aux règles habituelles de cette disposition. Les pièces déposées par la société sont scrupuleusement examinées et la cour va conclure, suite à cet examen fouillé, que la société échoue à rapporter la preuve des motifs qu’elle invoque. Les motifs légitimes requis ne sont pas avérés et l’indemnité de six mois est due.

La cour retient, quant à la nature de celle-ci, qu’elle n’est pas rémunératoire et qu’elle ne donne, dès lors, pas lieu au paiement d’intérêts moratoires légaux. Elle alloue cependant les intérêts compensatoires, étant ceux destinés à compenser le préjudice résultant du paiement différé de l’indemnité. Ces intérêts compensatoires sont dus à partir du licenciement et sans mise en demeure préalable, celle-ci étant inutile, dans la mesure où l’obligation de ne pas licencier un travailleur pour un motif non admis ne peut plus être matériellement exécutée du fait du licenciement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, pour tous les licenciements de personnel ouvrier intervenus avant le 1er avril 2014, l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 peut être invoqué. L’arrêt fait un important rappel en droit des effets des arrêts de la Cour constitutionnelle statuant au préjudiciel. L’on constatera qu’il est également très documenté sur la jurisprudence des hautes cours européennes, puisqu’il renvoie à la fois à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ainsi qu’à celle de Luxembourg, qui ont toutes deux statué dans la perspective de la sécurité juridique.

Un deuxième point d’intérêt de la décision est l’octroi des intérêts compensatoires, étant ceux qui sont dus à dater du licenciement et qui viennent compenser le préjudice subi du fait du licenciement intervenu en-dehors des hypothèses légales. La cour y énonce que la mise en demeure préalable n’est pas exigée pour faire courir ces intérêts, dans la mesure où elle est inutile : l’obligation de ne pas licencier le travailleur en-dehors de l’article 63 ne peut en effet plus être matériellement exécutée du fait de la rupture, qui a un caractère définitif.


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