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Démission : conditions pour qu’il y ait violence morale injuste susceptible d’entraîner l’annulation de l’acte

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 juin 2017, R.G. 2015/AB/406

Mis en ligne le jeudi 25 janvier 2018


Cour du travail de Bruxelles, 27 juin 2017, R.G. 2015/AB/406

Terra Laboris

Par arrêt du 27 juin 2017, synthétisant les conditions requises par le Code civil pour qu’il y ait vice de consentement, en l’occurrence une violence morale injuste, la Cour du travail de Bruxelles reprend les critères d’appréciation de celle-ci, s’agissant en l’espèce de savoir si une jeune vendeuse, ayant 5 ans d’ancienneté dans un magasin, a eu son consentement vicié lorsqu’elle a présenté sa démission suite à des faits d’ordre commercial non admis par la direction.

Les faits

Une vendeuse – esthéticienne – travaille pour le compte d’une société, qui exploite essentiellement un commerce de distribution de parfums. Elle est au service de celle-ci depuis 2007.

En 2012, elle reçoit un avertissement verbal (non confirmé par écrit) suite à l’octroi de sa propre initiative d’un soin de pédicure gratuit à une cliente insatisfaite. Elle prodigue, ultérieurement, des soins à une ancienne collègue, ne lui faisant payer que partiellement ceux-ci.

Elle est mise en présence de deux responsables de la société, qui lui annoncent qu’il s’agit d’un comportement constitutif de motif grave. Le choix est donné à l’intéressée soit de démissionner, soit d’être licenciée pour motif grave. Elle remet dès lors sa démission, dans un texte qu’elle rédige et dans lequel elle précise qu’elle ne souhaite pas prester de préavis.

Elle interjettera, ultérieurement, un recours devant le tribunal du travail, suite à cette démission, qu’elle considère comme une démission forcée. Dans le cadre de la procédure, elle demande, outre une indemnité compensatoire de préavis, des dommages et intérêts pour licenciement abusif (ainsi que la prime de fin d’année).

Le tribunal fait droit à sa demande d’indemnité compensatoire mais la déboute pour ce qui est du caractère abusif du licenciement. La prime de fin d’année est également allouée.

La société interjette appel du jugement rendu par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

La question se pose, dès lors, devant la cour de vérifier s’il y a eu une violence morale, comme le plaide l’intimée à l’appui de sa demande de confirmation du jugement. Si celle-ci existe, il y a un vice de consentement qui entraîne la nullité de la démission, de telle sorte que l’initiative de la rupture émane de l’employeur, celui-ci restant redevable de l’indemnité compensatoire de préavis.

La décision de la cour

La cour rend un bref arrêt, dans lequel elle rappelle les articles 1109 et suivants du Code civil, relatifs aux vices de consentement et, particulièrement, à la violence.

L’article 1111 C.C. dispose que la violence exercée contre celui qui a contracté l’obligation est une cause de nullité, encore qu’elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite.

La violence est définie à l’article 1112 C.C. : celle-ci doit être de nature à faire impression sur une personne raisonnable et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent. La même disposition donne les éléments d’appréciation : l’âge, le sexe et la condition des personnes.

La violence consiste dans le fait d’inspirer à une personne la crainte d’un mal considérable, en vue de la déterminer à poser un acte juridique. Dans l’acte posé, et ce par l’effet de la crainte, la volonté n’est pas libre et le consentement est considéré comme n’ayant jamais été donné.

La cour précise encore les diverses formes de violence, celle-ci pouvant être physique ou morale. La menace peut viser l’intégrité corporelle, la vie, la santé, mais également la liberté, l’honneur, la réputation ou le patrimoine. Il faut cependant – tempérament rappelé dans l’arrêt – que la violence soit injuste ou illicite.

Sur le plan de la preuve, c’est celui qui prétend que son consentement a été vicié qui doit démontrer l’existence d’une contrainte injuste.

Dans l’hypothèse d’un choix fait à un travailleur entre le licenciement pour motif grave ou la démission volontaire, la cour rappelle, en renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 1977 (Cass., 7 novembre 1977, Pas., 1978, I, p. 275), que ceci n’est pas en règle une violence morale injuste entraînant un vice de consentement. La seule menace de licenciement pour motif grave n’est pas, en soi, constitutive de telle violence, sauf si les faits reprochés sont réellement anodins ou factices.

En l’espèce, la cour considère que – en service depuis 5 ans – l’intéressée devait être au courant des procédures internes, et ce d’autant plus qu’un premier incident était survenu peu de temps auparavant. Ne sont pas établis des pressions, des paroles ou des actes particulièrement menaçants. La circonstance de l’âge (ainsi que du sexe) ne peut être retenue comme susceptible de faire naître la crainte d’un mal considérable déterminant du consentement.

La cour rappelle encore un point important, étant que, s’agissant ici d’examiner l’existence ou non d’une violence morale injuste, il n’y pas lieu de vérifier si un motif grave aurait été admis. Le critère d’examen est de savoir si la menace invoquée présentait ou non une cause légitime ou encore si elle était totalement disproportionnée.

Elle va conclure par la négative et réformer le jugement du tribunal du travail.

Intérêt de la décision

Ce bref arrêt, rendu dans des faits à l’exposé simple et non contestés, rappelle en les synthétisant les principes en la matière. Il est important de relever – comme la cour l’a fait – que l’examen auquel le juge doit se livrer n’est pas celui de l’existence d’un motif grave justifiant la rupture du contrat sur le champ sans préavis ni indemnité, mais le fait de savoir si, en remettant sa démission, le travailleur a agi avec son consentement libre et complet ou si n’ont pas été exercées sur lui des pressions ou des menaces l’ayant amené à poser cet acte, dans la crainte d’un mal considérable et actuel.

La cour a par ailleurs rappelé les conditions pour qu’un acte constitue une violence injuste de nature à permettre l’annulation de celui-ci, étant qu’elle doit avoir été de nature à impressionner une personne raisonnable compte tenu des circonstances de l’espèce (appréciation se faisant en tenant compte des qualités personnelles de la victime : âge, sexe, etc.), avoir engendré dans le chef de l’auteur de l’acte, de façon concomitante à la formation de celui-ci, la crainte d’un mal considérable et actuel, qu’elle ait été déterminante du consentement (étant qu’elle ne doit pas l’avoir simplement influencé) et, enfin, que son caractère injuste ou illicite apparaisse.


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