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Incapacité de travail, rupture pour force majeure, discrimination et harcèlement : une application combinée des mécanismes de protection

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 2 octobre 2017, R.G. 16/2.888/A

Mis en ligne le mardi 13 février 2018


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 2 octobre 2017, R.G. 16/2.888/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 2 octobre 2017 (non définitif), le Tribunal du travail francophone de Bruxelles reprend les principes applicables en cas de rupture consécutive à une incapacité de travail : sont abordés à la fois les mécanismes de la rupture pour force majeure (inaptitude définitive pour raison médicale), le licenciement manifestement déraisonnable (licenciement en représailles), la discrimination dans le motif de licenciement et le harcèlement à l’origine de l’incapacité de travail.

Les faits

Une employée de secrétariat tombe en incapacité de travail en octobre 2015. Elle suit cependant des cours à raison de trois soirs par semaine à l’Institut des Arts et Métiers. L’employeur s’informe auprès de cette école quant aux horaires des cours et adresse à l’intéressée un courrier confirmant avoir informé « le médecin-conseil » de l’incapacité de travail, celle-ci autorisant la poursuite des cours. Il fixe le trajet que l’intéressée devra suivre pour s’y rendre.

L’employeur fait, parallèlement, une démarche vis-à-vis de son secrétariat social en vue d’obtenir des informations relatives au licenciement. Il poste sur Facebook une offre d’emploi.

La période d’incapacité de travail se poursuivant, la secrétaire est rapidement licenciée moyennant un préavis. Son médecin confirme une prolongation et le médecin-contrôleur délégué par l’employeur conclut à l’inaptitude « définitive » de celle-ci.

Le conseil de l’intéressée prend alors contact avec l’employeur, relevant des faits graves de harcèlement, voire de violence au travail (minutage excessif des tâches, fixation d’objectifs irréalistes, mise sous pression constante, etc.). Est repris l’historique de la dégradation de la santé de celle-ci, devenue, selon son conseil, « totalement terrorisée » à l’idée de reprendre le travail.

Le caractère discriminatoire du licenciement est également pointé.

L’employeur, en possession de l’avis de son médecin-contrôleur quant à l’incapacité définitive, prend directement contact avec la secrétaire et lui soumet une convention de rupture du contrat de travail pour force majeure, lui demandant de renvoyer ce document après l’avoir signé.

L’intéressée dénonce, via son avocat, un « passage en force », celui-ci demandant à l’employeur de veiller à la tranquillité de sa cliente.

Ce dernier n’en fait rien, renvoyant, dans les jours qui suivent, un très long courriel au conseil de l’intéressée. Les échanges se poursuivent et l’employeur adresse alors un courrier mettant fin au contrat de travail au motif de l’incapacité définitive de l’intéressée. Il se fonde sur les certificats médicaux qu’elle a fait parvenir, précisant que l’incapacité définitive qui empêche le travailleur de reprendre le travail convenu constitue « en fait » une cause de force majeure qui rend définitivement impossible l’exécution du travail convenu. Il fait valoir qu’il ne peut reclasser l’intéressée, qui serait la seule employée administrative et non suffisamment diplômée pour occuper une autre fonction dans la structure. La rupture intervient sans versement d’une indemnité compensatoire.

La décision du tribunal

Le tribunal examine longuement les principes applicables, sur la force majeure d’abord, sur la discrimination et le licenciement manifestement déraisonnable ensuite et, in fine, sur le harcèlement.

Sur la première question, le tribunal relève que l’incapacité de travail peut être constatée en-dehors du cadre de la surveillance de la santé des travailleurs, cette constatation pouvant également se déduire de l’appréciation faite par un autre médecin. Cependant, la force probante du certificat médical relève de l’appréciation souveraine du juge du fond.

En l’espèce, le tribunal retient, sur la base des nombreux éléments concordants du dossier, que l’intéressée a été l’objet d’une mise sous pression constante et de remarques désobligeantes régulières, ce qui a conduit à son incapacité de travail. La société a dès lors mis fin de manière irrégulière au contrat et est redevable d’une indemnité compensatoire de préavis.

Il y a également discrimination au sens de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, le tribunal rappelant ici les principes européens et nationaux en la matière : la personne qui s’estime victime d’une discrimination doit invoquer des comportements ou des faits concrets et clairement définis émanant de personnes identifiables, desquels il est possible d’inférer qu’il y a bien eu discrimination. En l’espèce, tel est le cas et la société est en défaut de démontrer qu’elle ne s’est pas rendue coupable de discrimination en mettant fin au contrat.

Sur le plan de la C.C.T. n° 109, le tribunal – qui examine encore, sur le plan des principes, la portée des mécanismes mis en place par le texte de la convention collective – estime qu’il y a rupture irrégulière, preuve de faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination, et, vu la chronologie, conclut que l’on peut conclure à un licenciement décidé en représailles à l’intervention du conseil.

Enfin, sur le harcèlement, revenant au texte de l’article 32decies de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être au travail, le tribunal retient qu’il y a non seulement des conduites abusives, mais qu’elles sont répétées et que les autres critères de la définition sont rencontrés.

Diverses attestations sont en effet produites, permettant de considérer que l’intéressée a été régulièrement l’objet de reproches et d’une mise sous pression constants, avec publicité tant en interne qu’en externe. Ces faits permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral, l’employeur restant en défaut d’apporter la preuve qu’il n’y a pas eu de harcèlement.

Le tribunal fait dès lors droit à ce chef de demande également.

Il statue enfin sur une demande relative au libellé du C4, mais considère, sur cette dernière question, qu’aucun dommage n’est allégué.

Intérêt de la décision

Cette affaire mêle diverses notions : incapacité de travail, force majeure définitive, motif de la rupture et bien-être au travail.

L’on notera que l’intéressée avait, outre la contestation de l’existence d’une force majeure définitive, introduit une demande de contrôle du motif du licenciement (la rupture irrégulière devant s’analyser comme une rupture unilatérale dans le chef de l’employeur et, donc, comme un licenciement) et qu’elle postule la condamnation de la société aux deux indemnités spéciales prévues d’une part dans la loi anti-discrimination et, d’autre part, en cas de harcèlement.

L’on notera qu’il en autorise le cumul, avec, en outre, l’indemnité spéciale de la C.C.T. n° 109.


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