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Temps partiel vertical et conséquences négatives en sécurité sociale

Commentaire de C.J.U.E., 9 novembre 2017, Aff. n° C-98/15 (ESPADAS RECIO c/ SERVICIO PÚBLICO DE EMPLEO ESTATAL)

Mis en ligne le mardi 13 mars 2018


Cour de Justice de l’Union européenne., 9 novembre 2017, Aff. n° C-98/15 (ESPADAS RECIO c/ SERVICIO PÚBLICO DE EMPLEO ESTATAL)

Terra Laboris

Par arrêt du 9 novembre 2017, la Cour de Justice retient l’existence d’une discrimination indirecte dans la loi générale de sécurité sociale espagnole, en ce qui concerne le droit au chômage des travailleurs à temps partiel dit « vertical », la Cour constatant qu’il s’agit en général majoritairement de travailleuses.

Les faits

Une ouvrière (femme de ménage) occupée à temps partiel de manière ininterrompue pendant près de 14 ans a demandé à l’issue de son contrat (29 juillet 2013) le bénéfice des prestations de chômage. Elle prestait les lundi, mercredi et jeudi de chaque semaine, à raison de deux heures et demi, et une fois par mois le vendredi, à concurrence de quatre heures. Le bénéfice des allocations a été accordé pour une période de 120 jours, conformément à la loi espagnole. L’intéressée considérant qu’elle avait droit à 720 jours, un recours a été introduit et l’administration a revu sa décision, portant la durée à 420 jours. Le fondement de celle-ci reposait dans la loi générale de sécurité sociale espagnole en ce qu’elle réglemente les effets du temps partiel, étant que, si la durée de la prestation de chômage est déterminée en fonction des jours de cotisations au cours des 6 années qui précèdent, il n’y avait lieu de prendre en compte que les seuls jours effectivement travaillés et non les années de cotisations dans leur ensemble.

L’intéressée estima qu’elle avait cotisé pour l’ensemble des années et introduisit dès lors un recours devant le Juzgado de lo Social no 33 de Barcelona (Tribunal du travail no 33 de Barcelone).

Pour l’intéressée, des cotisations ont été payées pour 30 ou 31 jours par mois et ceci ouvre un droit à une prestation de chômage complète et non à concurrence des 3/5e de la durée maximale. Exclure les jours non travaillés dans le calcul de la prestation de chômage constitue, pour elle, une différence de traitement au détriment des temps partiels de type vertical, à savoir ceux qui prestent leur temps partiel sur quelques jours ouvrables de la semaine (le temps partiel horizontal étant celui qui vise tous les jours ouvrables de la semaine).

Le tribunal relève que les cotisations ont été calculées sur la base du salaire perçu au cours d’un mois pris dans sa totalité et non en fonction des heures ou des jours travaillés. Le tribunal constate une double pénalisation des travailleurs à temps partiel dans une telle situation, le principe du prorata temporis s’appliquant deux fois : d’abord le salaire mensuel moins élevé entraîne une prestation de chômage proportionnellement inférieure et, ensuite, la durée de cette prestation est réduite, puisque seuls les jours travaillés sont pris en compte alors même que la période de cotisations est plus étendue.

Par contre, les travailleurs prestant dans un temps partiel horizontal ou à temps plein se verraient reconnaître le bénéfice de la prestation de chômage pour la durée calculée sur la totalité des journées de cotisations.

En outre, cette réglementation touche davantage les femmes que les hommes.

Le tribunal pose dès lors trois questions à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

La première question porte sur le fait de savoir si la clause 4 de l’Accord-cadre doit être considérée comme applicable à la prestation contributive de chômage telle que celle en cause, à savoir qu’elle est financée exclusivement par les cotisations du travailleur et par les entreprises qui l’ont employée et est calculée en fonction des périodes d’emploi pour lesquelles des cotisations ont été versées au cours des 6 années précédant la situation de chômage.

La deuxième question (en cas de réponse affirmative à la première) est de savoir si cette clause s’oppose à une réglementation nationale telle que celle applicable en l’espèce, à savoir qu’en cas de temps partiel vertical, ne sont pas prises en compte les journées non travaillées aux fins du calcul de la durée de la prestation de chômage alors que les cotisations correspondant à ces jours ont été versées, situation qui entraîne un amoindrissement de la durée de la prestation de chômage.

Enfin, l’interdiction de discrimination (directe ou indirecte) fondée sur le genre prévue à l’article 4 de la Directive 79/7 s’oppose-t-elle à la réglementation en cause.

La décision de la Cour de Justice

La Cour rappelle que la clause 4.1 de l’Accord-cadre énonce une interdiction de traiter les travailleurs à temps partiel d’une manière moins favorable que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif du temps partiel. Relèvent de la notion des conditions d’emploi les pensions constituées du fait de la relation d’emploi entre le travailleur et l’employeur à l’exclusion des pensions légales. En l’occurrence, pour la Cour, les cotisations de chômage sont prévues par la législation nationale et ne sont pas régies par le contrat de travail. Les cotisations ne peuvent par conséquent relever de la notion de « conditions d’emploi ». La réponse à la première question est dès lors négative, ainsi que celle apportée à la deuxième.

Par contre, pour ce qui est de la troisième question, la Cour rappelle le principe général selon lequel, s’il est constant que le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des Etats pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et que les conditions d’octroi des prestations doivent être déterminées par les Etats, dans l’exercice de cette compétence, ils doivent respecter le droit de l’Union.

En l’occurrence, s’agissant de la possibilité de discrimination indirecte, la Cour rappelle sa définition de celle-ci, étant qu’elle existe lorsque l’application d’une mesure nationale, bien que formulée de manière neutre, désavantage en fait un nombre plus élevé de femmes que d’hommes. Les travailleurs à temps partiel sont, selon la Cour, d’après les constatations faites par la juridiction de renvoi, en très large majorité des femmes, et il faut répondre à la question posée à partir de ces constatations. La Cour fait ici un bref examen de la différence d’appréciation du cas présent avec l’affaire CACHALDORA FERNÁNDEZ du 14 avril 2015 (Aff. n° C-527/13), en matière de pension pour invalidité permanente totale, dans laquelle elle ne disposait pas d’informations statistiques irréfutables concernant le nombre de travailleurs à temps partiel visés et dans lequel, par ailleurs, elle avait constaté que la mesure en cause avait des effets aléatoires (certains groupes pouvant être aménagés par la mesure).

Dans la présente espèce, cependant, sur la base des données statistiques fournies par la juridiction nationale, il ressort que l’ensemble des travailleurs sont affectés négativement par la mesure, étant la réduction automatique de la prestation de chômage par rapport à celle dont bénéficient les travailleurs à temps partiel horizontal. En outre, 70 à 80% des travailleurs à temps partiel vertical sont des femmes et la même proportion se retrouve d’ailleurs dans les travailleurs à temps partiel horizontal. Il en découle pour la Cour qu’un nombre beaucoup plus important de femmes que d’hommes est affecté négativement par la mesure nationale en cause. Il y a dès lors une différence de traitement au détriment des femmes. Cette mesure est contraire à l’article 4, § 1er, de la Directive 79/7, sauf à être justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination. Ainsi, s’il y a un but légitime de politique sociale et que les moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif sont aptes et nécessaires à cet effet.

La Cour examine dès lors si ces critères sont réunis. Tel n’est pas le cas. Au contraire. Elle en conclut que l’article 4, § 1er, de la Directive s’oppose à une législation d’un Etat membre qui, dans le cas du travail à temps partiel vertical, exclut les jours non travaillés du calcul des jours pour lesquels les cotisations ont été payées et qui réduit ainsi la période de paiement de la prestation de chômage lorsqu’il est constaté que la majorité des travailleurs à temps partiel vertical sont des femmes qui sont affectées négativement par une telle législation.

Intérêt de la décision

Cette affaire, amenée devant la Cour de Justice par une juridiction espagnole, renvoie à une autre affaire du même droit national, étant l’affaire CACHALDORA FERNÁNDEZ, qui a fait l’objet d’un arrêt rendu le 14 avril 2015. Dans cette dernière affaire, la Cour de Justice avait constaté que les données statistiques sur lesquelles s’était fondée la juridiction nationale ne permettaient pas de considérer que la mesure visait majoritairement des travailleurs à temps partiel et en particulier des travailleuses. Il s’agissait d’une mesure touchant uniquement ceux qui avaient connu une interruption de cotisations au cours de la période de référence lorsque cette interruption avait suivi un temps partiel. La Cour de Justice avait jugé que n’était pas établi le fait que plus de femmes que d’hommes seraient touchés. Elle avait conclu à l’absence de discrimination indirecte au sens de la Directive 79/7.

En l’occurrence, dans la présente affaire de chômage, la Cour de Justice a considéré avoir été suffisamment documentée par le juge national sur le plan statistique. Elle a ainsi fait droit à la demande de reconnaissance de la discrimination indirecte.


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