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Notion d’invalidité en droit belge et en droit français

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Arlon), 16 août 2017, R.G. 16/182/A

Mis en ligne le jeudi 15 mars 2018


Tribunal du travail de Liège, division Arlon, 16 août 2017, R.G. 16/182/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 16 août 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Arlon) est saisi d’un recours contre un refus de l’I.N.A.M.I. de donner suite à une demande d’intervention émanant de l’institution de sécurité sociale française compétente pour l’octroi d’une pension d’invalidité.

Les faits

Un assuré social domicilié en France a été assuré à la fois en Belgique, au Luxembourg et en France. Il tombe en incapacité de travail en septembre 2011, époque à laquelle il est assuré en France.

Pendant certaines périodes, il va être indemnisé en chômage par Pôle Emploi. Il retombe en incapacité pendant une période d’environ trois mois en 2014. Il reprend alors le travail, exposant qu’il a été contraint de reprendre des intérims, vu la dégradation de sa situation financière (fin de droit en matière de chômage et fin d’incapacité primaire). Il réintroduit, fin 2014, une demande de prestations d’invalidité en France, demande qui est admise. Lui est reconnue par la sécurité sociale française (C.P.A.M.) un état d’invalidité qui réduit des deux tiers au moins sa capacité de travail ou de gain. Conformément au droit français, il bénéficie d’une indemnisation dans une catégorie déterminée, en l’occurrence la catégorie 1.

L’Institution française transmet dès lors à la fois à la Belgique et au Luxembourg un dossier européen de demande de prestations d’invalidité, conformément à l’article 46 du Règlement n° 883/2004. Une décision est prise par l’I.N.A.M.I. le 20 janvier 2016, décision de refus vu la constatation de la reprise du travail de juin 2014 à décembre 2014.

Recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Arlon) en date du 18 avril 2016.

Position des parties devant le tribunal

Le demandeur considère que l’I.N.A.M.I. devait vérifier s’il entrait ou non dans les conditions d’application de l’article 100, § 2. Par ailleurs, il invoque l’article 46, § 3, du Règlement CE 883/2004, qui prévoit la concordance entre les régimes belge et français en matière d’invalidité. Il plaide la possibilité d’une discrimination et d’une contrariété à l’article 48 du T.F.U.E., si tel n’était pas le cas. Il demande, à titre subsidiaire, au tribunal de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice sur la question de savoir si l’article 46, § 3, s’interprète en ce sens que le principe de concordance applicable entre deux Etats ne vaut que concernant le taux d’invalidité et non concernant la reconnaissance de l’invalidité elle-même. Il fait valoir qu’il y aurait possibilité d’entrave à la liberté de circulation prévue à l’article 45 du T.F.U.E.

Pour l’I.N.A.M.I., qui se fonde sur les critères de l’article 100, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, il y a eu une reprise normale du travail avant l’échéance de la période de maladie étrangère et le début de la pension d’invalidité étrangère. La demande d’indemnités d’invalidité belge doit par conséquent être rejetée.

Les conditions de l’article 100 ne sont en effet pas remplies, puisque celui-ci s’applique aux travailleurs qui ont cessé toute activité en conséquence directe du début ou de l’aggravation des lésions ou des troubles fonctionnels. Or, avant le début de son incapacité, le demandeur était intérimaire au chômage. La reprise du travail est dès lors une reprise normale et il n’y a pas lieu à l’application de l’article 101. Sur le principe de la concordance, l’I.N.A.M.I. estime que celle-ci porte sur le degré d’invalidité de l’intéressé, mais sans préjudice des autres conditions belges relatives à l’ouverture du droit (par exemple cessation d’activité).

Position du tribunal

Le tribunal reprend les dispositions pertinentes de la loi coordonnée, à savoir les articles 100, §§ 1er et 2, ainsi que 101, §§ 1er et 2.

Il examine ceux-ci à la lumière de l’article 46, § 3, du Règlement européen, qui dispose que la décision prise par l’institution d’un Etat membre quant au degré d’invalidité s’impose à l’institution de tout autre Etat membre concerné si la concordance des conditions relatives au degré d’un cas d’invalidité entre les législations de ces Etats membres est reconnue à l’annexe 7 dudit règlement. A celle-ci, figurent la Belgique et la France, de sorte que le principe de concordance leur est applicable.

L’exposé des motifs reprend les principes en ce qui concerne la règle de l’assimilation (des prestations, revenus et faits), le tribunal rappelant que son considérant 11 énonce que l’assimilation de faits ou d’événements survenus dans un Etat membre ne peut en aucune façon rendre un autre Etat membre compétent ou sa législation applicable, le considérant 12 rappelant la règle de proportionnalité, étant que le principe d’assimilation ne peut donner lieu à des résultats objectivement injustifiés ou à un cumul de prestations de même nature pour la même période. En ce qui concerne les prestations d’invalidité, il y a lieu d’élaborer un système de coordination qui respecte les spécificités des législations nationales, notamment pour la reconnaissance de l’invalidité (et son aggravation) (considérant 26).

Le droit français prévoit, en cas d’incapacité de travail, le paiement d’une pension d’invalidité, celle-ci étant calculée sur la base de la moyenne des dix meilleures années de salaire et en fonction du degré d’invalidité. Plusieurs conditions doivent être remplies, notamment la réduction de la capacité de travail (ou du revenu) d’au moins deux tiers. Trois catégories d’invalidité sont admises selon que la poursuite d’une activité salariée est compatible avec l’invalidité ou non.

En l’espèce, le tribunal constate que la réduction de capacité des deux tiers au moins est admise par la C.P.A.M. Pour le tribunal, vu le principe de concordance, l’I.N.A.M.I. doit reconnaître le taux d’invalidité.

En ce qui concerne la reprise du travail, il faut effectivement examiner s’il y a eu ou non cessation de toute activité ou d’une activité autorisée, ou encore une activité non autorisée couverte ultérieurement par décision dans le cadre de l’article 101, ou encore la règle relative au non-cumul de prestations avec des revenus professionnels. Il faut en effet respecter les spécificités nationales. Ces conditions sont à examiner à la date du début de l’incapacité.

La question est plus complexe en l’espèce, vu les périodes de chômage.

Si des points restent obscurs dans le dossier, le tribunal constate néanmoins que, ayant été classé dans la catégorie 1, le demandeur était autorisé à exercer une activité salariée et même qu’il y était encouragé. Cette catégorie couvre en effet les personnes dont l’invalidité permet de poursuivre une activité salariée, le montant de la pension étant égal à 30% du salaire annuel moyen et une règle de cumul existant en ce qui concerne les revenus. Le tribunal demande dès lors des explications complémentaires sur les éléments de fait et particulièrement sur la situation sociale du demandeur depuis la date d’incapacité déclarée par la C.P.A.M. 

Une réouverture des débats est ainsi ordonnée.

Intérêt de la décision

Ce jugement est un cas d’application clair du Règlement européen 883/2004, en ce qui concerne la concordance des conditions pour bénéficier des prestations de sécurité sociale dans deux Etats membres. L’article 46, § 3, prévoit que la décision prise par l’institution d’un Etat membre quant au degré d’invalidité s’impose à l’institution de tout autre Etat membre, mais ce à la condition qu’il y ait concordance dans les conditions relatives au degré d’un cas d’invalidité entre les législations, question qui fait l’objet d’une annexe spécifique. La Belgique et la France sont, en vertu de cette annexe, supposées remplir cette condition de concordance. Il en découle que, en vertu du principe d’assimilation des prestations, revenus et faits, les droits d’un assuré social doivent être garantis dans un autre Etat membre.

Ce principe d’assimilation pose cependant des difficultés pratiques non négligeables, eu égard à un autre principe du Règlement, étant la totalisation des périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence accomplies sous la législation d’un autre Etat membre avec les périodes accomplies sous la législation de l’Etat compétent. Ainsi que relevé par le tribunal, le droit français retient trois catégories d’invalidité, la condition de base étant cependant la réduction de la capacité de travail ou du revenu d’au moins deux tiers. Ces catégories sont fonction de l’importance de l’invalidité, selon que la possibilité de poursuivre une activité salariée existe ou non, ou encore qu’il est nécessaire de recourir à une aide extérieure.

Ainsi que relevé par le tribunal, les conditions du droit français étant en l’occurrence admises, il faut vérifier si celles des articles 100 et 101 de la loi coordonnée le sont également.

Affaire à suivre…


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