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Transfert d’entreprise et intervention du juge en référé

Commentaire de C. trav. Bruxelles (réf.), 7 décembre 2017, R.G. 2017/CB/12

Mis en ligne le vendredi 13 avril 2018


Cour du travail de Bruxelles (réf.), 7 décembre 2017, R.G. 2017/CB/12

Terra Laboris

Par arrêt du 7 décembre 2017, la 2e chambre de la Cour du travail de Bruxelles accueille une demande formée par des travailleurs d’un établissement commercial (HORECA) et de leurs représentants, tendant à ordonner, dans le cadre d’un transfert d’entreprise, la communication des informations légales aux représentants du personnel.

Les faits

Un établissement commercial est revendu à une autre société pendant l’été 2017.

Des pertes ont été enregistrées dans les années 2015 et 2016. La société, qui occupait une moyenne de 67 travailleurs salariés en 2015, n’en compte plus que 57 en 2016. Existent en son sein une délégation syndicale et un comité pour la prévention et la protection au travail.

La nouvelle direction ayant annoncé son intention de procéder à un certain nombre de licenciements (neuf ou dix), des discussions ont eu lieu avec les représentants du personnel, sans qu’une conclusion claire en ait été dégagée. Le projet de licencier des travailleurs, en ce compris des travailleurs protégés, est confirmé.

La Présidente du Tribunal du travail francophone de Bruxelles a dès lors été saisie en août 2017 à la requête d’une trentaine de personnes, ainsi que de deux organisations représentatives, afin qu’il soit ordonné aux sociétés concernées de communiquer la convention de cession de fonds de commerce, ainsi que de fournir aux travailleurs toutes explications concernant le maintien des conditions de travail. Est également postulé que le transfert du personnel soit suspendu tant qu’une réunion du C.P.P.T. n’aura pas eu lieu. Enfin, une demande de désignation d’expert est formée aux fins d’obtenir les renseignements d’ordre juridique et financier nécessaires concernant la viabilité du projet.

Une ordonnance est intervenue le 12 septembre 2017, par laquelle il a été fait interdiction de procéder à des licenciements qui entraîneraient l’application de la Directive, de la loi ou d’autres textes relatifs aux licenciements collectifs ainsi que de poser tout acte complémentaire de disposition concernant le fonds de commerce.

Appel ayant été interjeté par les parties défenderesses, la cour du travail est saisie du litige.

La décision de la cour

Ayant constaté l’urgence, le caractère provisoire de la demande, ainsi que l’existence de droit apparent, la cour en vient à la question juridique débattue, relative à l’information et la consultation des travailleurs.

Elle rappelle la Directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002, selon laquelle il faut entendre par « information » la transmission par l’employeur de données aux représentants des travailleurs afin de leur permettre de prendre connaissance du sujet traité et de l’examiner. La « consultation », quant à elle, vise l’échange de vues et l’établissement d’un dialogue entre les représentants des travailleurs et l’employeur. La cour détaille ces notions, reprenant leur portée dans la vie de l’entreprise.

Par ailleurs, une Directive précédente, du 12 mars 2001, étant la Directive 2001/23/CE, règle les transferts d’entreprise et contient également des obligations d’information des représentants des travailleurs lors d’un transfert, le cédant étant tenu de communiquer diverses informations (date fixée ou proposée pour l’opération, motif, conséquences juridiques, économiques et sociales, ainsi que mesures envisagées à l’égard des travailleurs). Cette information doit être donnée en temps utile et avant le transfert. Le cessionnaire est également tenu d’apporter ces informations aux représentants du personnel avant que les travailleurs ne soient affectés directement dans leurs conditions de travail.

Si des mesures sont envisagées à l’égard des travailleurs, des consultations doivent être organisées sur celles-ci avec les représentants des travailleurs respectifs, en vue d’aboutir à un accord.

En droit interne, préexistaient l’arrêté royal du 27 novembre 1973 portant réglementation des informations économiques et financières à fournir aux conseils d’entreprise et la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail. Celle-ci a été modifiée par la loi du 23 avril 2008, qui est venue compléter la transposition de la Directive 2002/14/CE. Est actuellement prévu qu’en cas d’absence de conseil d’entreprise, l’employeur fournisse une information de base (ainsi qu’une information annuelle) en matière économique et financière au C.P.P.T.

Deux conventions collectives nationales (C.C.T. n° 9 du 9 mars 1972 et C.C.T. n° 5 du 24 mai 1971) définissent le rôle de la délégation syndicale en cas d’inexistence d’un conseil d’entreprise. La cour reprend les dispositions de ces deux textes relatives à l’obligation d’information et conclut que ceux-ci doivent être interprétés conformément aux directives européennes : l’objet de l’information et de la consultation ne se résume pas au nombre de licenciements projetés et à l’organisation du travail, mais vise les aspects économiques de la situation de l’entreprise, dans la mesure où ils sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’emploi et l’organisation du travail.

La cour conclut que le mécanisme applicable est que, en l’absence de conseil d’entreprise mais si un C.P.P.T. et une délégation syndicale existent, cette dernière doit recevoir les informations en cas de licenciement collectif (et ce préalablement à la décision) et lors d’une reprise ou de modifications de structure importantes de l’entreprise (avant toute diffusion et avant la réalisation du transfert). La consultation doit être effective et préalable pour ce qui est des répercussions sur les perspectives d’emploi, l’organisation du travail et la politique d’emploi en général. Ces informations et consultations doivent permettre aux représentants de faire valoir tous avis, suggestions ou objections, et l’employeur y donner une réponse motivée. Ceci ne porte pas, ainsi que repris à l’article 11 de la C.C.T. de travail n° 9, atteinte au pouvoir du chef d’entreprise de prendre lui-même la décision d’ordre économique.

La cour examine ensuite les éléments de fait et conclut que, aucune concertation n’ayant eu lieu, il y a eu manifestement violation des dispositions précitées. La cour insiste encore sur le fait que les moyens financiers du cessionnaire sont inconnus et que se pose la question de savoir si le paiement des salaires sera assuré.

En outre, certains éléments produits semblent indiquer que l’employeur n’exclut pas un licenciement collectif.

Il est dès lors fait droit à la demande (sauf en ce qui concerne la désignation d’un expert). La cour interdit de procéder à des licenciements qui entraîneraient l’application de tout texte relatif aux licenciements collectifs et elle interdit également aux deux sociétés de poser tout acte complémentaire de disposition concernant les éléments du fonds de commerce. Cette mesure est limitée dans le temps. La teneur de l’information est reprise dans le dispositif de l’arrêt.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est important en la matière.

Les mesures de protection du personnel en cas de transfert sont généralement réglées par la voie indemnitaire. L’intervention du juge en référé permet ici aux divers textes internes ainsi qu’à ceux de droit communautaire de sortir pleinement leurs effets, étant que des obligations d’information préalable ainsi que de consultation existent et que, prima facie, ayant manifestement été violées, ces obligations autorisent le juge des référés à utiliser son pouvoir d’injonction.

Il est également intéressant de voir que, parmi les informations requises, l’arrêt prévoit dans son dispositif que celles-ci comprendront au minimum, depuis le mois de juillet 2017 et, pour l’avenir, à court et à moyen terme, des éléments tels que le motif du transfert (y compris les facteurs économiques, financiers ou techniques le justifiant), l’évolution récente et l’évolution probable de la situation économique de l’entreprise, le budget d’investissement, le budget d’exploitation, les modes de financement de celle-ci, ainsi que les prévisions d’emploi et d’organisation du travail au sein de l’entreprise.

La cour fixe encore un calendrier strict pour la tenue des opérations d’information et de consultation. A l’issue de celles-ci, une nouvelle audience sera tenue, les parties devant revenir s’expliquer devant la cour.


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