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Motif grave : force probante des déclarations de témoins

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 29 septembre 2017, R.G. 16/1.525/A

Mis en ligne le vendredi 13 avril 2018


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 29 septembre 2017, R.G. 16/1.525/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 29 septembre 2017, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle que la preuve testimoniale n’a aucune force probante légale. Les déclarations écrites (attestations conformes aux articles 961/1 et 961/2 du Code judiciaire) constituent des formes écrites de témoignages et les règles relatives à la preuve testimoniale doivent leur être appliquées, de telle sorte que le juge conserve son pouvoir souverain d’appréciation quant aux faits qui y sont repris.

Les faits

Une société spécialisée dans le coaching diététique (lutte contre le surpoids) a engagé une employée en 2013. Plusieurs contrats à durée déterminée ont été signés, ainsi, ensuite, qu’un contrat de formation professionnelle individuel en entreprise. L’intéressée est finalement engagée à durée indéterminée, chargée du conseil diététique et de la vente.

Elle est licenciée environ 15 mois plus tard pour motif grave, les faits reprochés étant que, lors d’une absence pour maladie, il a dû être fait appel à une collègue, qui a constaté des manquements dans l’exécution du contrat, étant la tenue des dossiers dans le logiciel ad hoc. Ce logiciel étant considéré comme indispensable au suivi professionnel des clients et une formation spécifique ayant été donnée à l’intéressée sur ces questions, la société considère que les manquements en cause justifient la rupture sur le champ du contrat de travail au motif que la confiance est définitivement rompue. Le courrier de licenciement est extrêmement détaillé sur les reproches précis faits à l’intéressée.

Celle-ci introduit un recours devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, demandant essentiellement une indemnité compensatoire de préavis et une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

La décision du tribunal

Le tribunal examine les chefs de demande formés par l’intéressée concernant la rupture. Il rappelle que le licenciement pour motif grave est une sanction extrême et que la preuve – à charge de l’employeur – doit être rapportée de manière rigoureuse sans qu’aucun doute ne puisse subsister.

En ce qui concerne les témoignages, si des attestations sont produites, conformes aux exigences des articles 961/1 et 961/2 du Code judiciaire, il s’agit de formes écrites de témoignages et il faut appliquer les règles relatives à la preuve testimoniale. Renvoyant à la doctrine générale sur la question (dont celle de P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, tome 3, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 2416), le tribunal rappelle que la preuve testimoniale n’a aucune force probante légale, le juge n’étant pas tenu de considérer un fait y repris comme établi, et ce même si un témoin a fait une déclaration en ce sens. Il doit cependant respecter la foi due aux actes, étant qu’il ne peut faire dire à un témoin ce qu’il n’a pas dit.

En l’occurrence, reprenant l’ensemble des éléments de fait, le juge constate qu’il n’est pas en mesure de vérifier si la société a respecté le délai de 3 jours prescrit par l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 (délai de notification du congé). Le respect du formalisme légal n’est pas établi et il n’est pas nécessaire d’examiner la gravité des fautes reprochées. L’indemnité compensatoire est due.

Suit une analyse de la convention collective n° 109 du 12 février 2014 concernant la motivation du licenciement, le tribunal rappelant qu’en cas de motif grave, il y a communication des motifs au sens de l’article 6 de la convention collective de travail. En conséquence, chaque partie doit établir ce qu’elle allègue.

Le dossier contient de nombreuses affirmations qui ne sont pas suffisamment étayées. Chaque grief est examiné séparément. Il en résulte, pour le tribunal, que les manquements reprochés à l’intéressée ne peuvent lui être imputés avec certitude.

Sur le plan de la preuve, figurent au dossier des attestations de clientes, produites d’ailleurs par les deux parties. Le tribunal constate être en présence d’attestations contradictoires, de telle sorte qu’elles ne permettent pas à elles seules d’établir le motif. L’employeur échoue donc à établir qu’un employeur normal et raisonnable, placé dans les mêmes circonstances, aurait procédé au licenciement de l’intéressée. Celui-ci est dès lors manifestement déraisonnable.

Reste, à ce stade, l’évaluation de l’indemnité, qui se situe dans une fourchette de 3 à 17 semaines. L’employeur sollicite que celle-ci soit fixée au minimum, mais sans motiver cette position. Le juge fait également grief à l’intéressée de ne pas justifier sa demande de paiement de l’indemnité maximale. Il alloue dès lors 8 semaines, étant le milieu de la fourchette.

L’employée ayant encore introduit une demande pour abus de droit de licencier, le tribunal l’examine brièvement, considérant que l’abus de droit n’est pas établi. La demande se fonde essentiellement sur les mentions du C4, mais le juge retient que, si un C4 contient la mention de licenciement pour motif grave et qu’il apparaît ultérieurement que le licenciement était irrégulier, ceci ne rend pas automatiquement le licenciement abusif.

Une demande pour discrimination directe fondée sur un critère protégé (l’incapacité de travail) est également rejetée, le tribunal rappelant que des faits doivent être établis, permettant de présumer l’existence d’une discrimination, et que la victime doit démontrer que le licenciement a été fondé essentiellement sur le critère protégé. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

Intérêt de la décision

Ce long jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles, très motivé quant à l’analyse des faits et à l’application des principes régissant chacun des chefs de demande, est à de nombreux égards exemplaire. Son premier intérêt est certes de rappeler l’absence de force probante des témoignages, le juge restant libre d’apprécier souverainement les éléments qui lui sont soumis. Une déclaration d’un témoin ne peut donc valoir preuve d’un fait, le fait n’étant pas – de la seule circonstance qu’il a été visé dans ladite déclaration – établi à suffisance de droit. Pour le tribunal, cependant, le juge reste tenu de respecter la foi due aux actes, c’est-à-dire qu’il ne peut faire dire au témoin ce qu’il n’a pas dit.

Tout le jugement procède par ailleurs d’une application stricte des obligations en matière de charge de la preuve. Cette preuve (respect des délais, preuve des faits reprochés) n’étant pas établie, il y a doute et celui-ci joue au détriment de la partie sur qui reposait l’obligation de preuve.


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