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Nature civile des majorations réclamées par l’O.N.S.S. dans le cadre de la responsabilité solidaire du co-contractant

Commentaire de Cass., 11 décembre 2017, n° S.16.0030.F

Mis en ligne le vendredi 27 avril 2018


Cour de cassation, 11 décembre 2017, n° S.16.0030.F

Terra Laboris

Par arrêt du 11 décembre 2017, la Cour de cassation, confirmant sa jurisprudence antérieure, rappelle que la majoration prévue à l’article 30bis, § 5, alinéa 1er, de la loi du 27 juin 1969 ne constitue pas une peine mais une indemnité forfaitaire de réparation, prévue dans l’intérêt général, de l’atteinte portée au financement de la sécurité sociale : elle a donc un caractère civil.

Les rétroactes

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège (division de Liège) du 15 septembre 2015, par lequel la cour du travail avait admis que la majoration prévue à l’article 30bis, § 5, alinéa 1er, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs avait le caractère d’une sanction pénale au sens de l’article 7, point 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La cour du travail en avait déduit que la condamnation à cette majoration pouvait faire l’objet d’une suspension ou d’un sursis, conformément à la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation. Le sursis pouvait, pour la cour, être accordé pour la totalité du montant de la majoration réclamée par l’O.N.S.S.

Pour la cour du travail, la majoration de 35% qui s’ajoute à la retenue non effectuée de 35% (entraînant l’obligation pour le commettant de verser à l’O.N.S.S. 70% du prix des travaux) n’a pas pour seul but de réparer le préjudice subi du fait de l’absence de retenue. Vu le caractère important de la majoration, qui la rend dissuasive et qui a pour objet d’assurer le paiement des cotisations sociales dues – non-paiement qui constitue une infraction –, la majoration en cause ne peut pas – ou plus – être considérée comme une indemnité forfaitaire de réparation. Il s’agit dès lors d’une sanction pénale au sens de l’article 7, point 1, de la Convention de sauvegarde. La cour a admis que, le prononcé pouvant faire l’objet d’une suspension ou d’un sursis conformément à la loi du 29 juin 1964, le sursis pouvait en l’occurrence être total, la société ayant une finalité sociale (réinsertion des travailleurs) et n’ayant pas la moindre dette de cotisations. En outre, elle s’était acquittée volontairement dès qu’elle avait été sommée de le faire.

L’O.N.S.S. s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.

Le pourvoi

Le moyen contient deux branches.

La première relève que, pour la cour du travail, la condamnation d’office à une majoration ou une indemnité ne constitue pas une peine au sens du Code pénal, mais qu’elle peut emprunter à la sanction pénale un caractère dissuasif et répressif (notamment eu égard à son montant, qui fait qu’elle ne peut plus être considérée comme une indemnité forfaitaire et de réparation).

Or, l’affirmation de la cour manque en droit. La majoration en cause est une indemnité forfaitaire de réparation, qui est prévue dans l’intérêt général en vue d’assurer le financement de la sécurité sociale. La récupération des cotisations mises à charge de l’entrepreneur qui a des dettes sociales entraîne notamment des tâches administratives importantes. Le caractère de mesure de réparation doit être retenu, d’autant qu’elle reste proportionnée au dommage, est liée au montant du préjudice et est indépendante de toute appréciation du comportement plus ou moins frauduleux du commettant ou de l’entrepreneur, ce qui la distingue d’une sanction pénale. Elle ne peut dès lors revêtir ce caractère.

Le pourvoi fait également valoir que la majoration est ordonnée, en vertu de l’article 30bis, § 5, sans préjudice des sanctions prévues par l’article 35 (qui sont – elles – des sanctions pénales).

Il faut en conséquence retenir qu’elle a un caractère exclusivement civil. La cour du travail ne pouvait dès lors accorder un sursis.

La décision de la cour

La Cour répond à cette première branche du moyen, considérant qu’il n’y a pas lieu d’examiner la seconde.

Elle suit le pourvoi et casse l’arrêt en cause, reprenant les obligations figurant aux articles 30bis, § 4, alinéa 1er, et 30bis, § 5, alinéa 1er, de la loi. Elle énonce ensuite que la majoration en cause ne constitue pas une peine mais une indemnité forfaitaire de réparation, prévue dans l’intérêt général, de l’atteinte portée au financement de la sécurité sociale ; elle a un caractère civil. La cour du travail ne pouvait dès lors accorder le sursis. Il y a violation de l’article 30bis, § 5.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de cassation s’inscrit dans la ligne d’un arrêt précédent, qu’elle a rendu le 27 juin 2016 (Cass., 27 juin 2016, n° S.14.0007.N). Dans celui-ci, elle avait déjà affirmé que la majoration en cause n’est pas une sanction, mais qu’elle tend à contribuer au financement du régime de la sécurité sociale, d’où son caractère forfaitaire. Elle y avait précisé qu’il s’agit d’une demande de paiement de somme d’argent au sens de l’article 1153 du Code civil, de telle sorte qu’en cas de retard, l’intérêt moratoire est dû.

La même jurisprudence se retrouve en général chez les juges du fond, et l’on peut notamment renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 21 octobre 2015 (C. trav. Bruxelles, 21 octobre 2015, R.G. 2013/AB/273), où celle-ci a rappelé que, si la Cour constitutionnelle a admis à différentes reprises que certaines majorations prévues à l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969 constituent une sanction dont le caractère répressif est prépondérant, tel n’est cependant pas le cas de la responsabilité solidaire, qui constitue une mesure destinée à faciliter le recouvrement des cotisations sociales dues par un sous-traitant (voir également C. trav. Bruxelles, 26 novembre 2014, R.G. 2013/AB/273).

Relevons encore que l’arrêt renvoie au texte avant sa modification introduite par la loi du 20 juillet 2015. Actuellement, il n’est plus fait référence au « commettant », mais au « donneur d’ordre ».


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