Terralaboris asbl

Dispensateurs de soins salariés et bénéfice de l’article 18 L.C.T.

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 18 septembre 2017, R.G. 14/846/A

Mis en ligne le mardi 29 mai 2018


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 18 septembre 2017, R.G. 14/846/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 18 septembre 2017, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle l’important arrêt de la Cour constitutionnelle du 29 novembre 2006, qui a considéré que devaient bénéficier de la protection de l’article 18 de la loi sur les contrats de travail les dispensateurs de soins ayant commis une faute justifiant le remboursement d’un indu dans le cadre de l’article 164, alinéa 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Les faits

Une kinésithérapeute salariée prestant au sein d’une Résidence se voit réclamer par un organisme assureur A.M.I. des montants au motif qu’elle ne se serait pas conformée aux dispositions légales et réglementaires en matière d’attestations de soins donnés. Les facturations desdits soins se faisaient par la remise à la directrice de la Résidence d’une liste reprenant l’identité des patients et les soins qui leur avaient été donnés. La Résidence lui remettait en retour des attestations de soins donnés, avec des codes, ces attestations étant générées par un « secrétariat social ». L’intéressée les signait en y opposant son nom et son numéro I.N.A.M.I. et celles-ci étaient alors renvoyées par la directrice, qui percevait les remboursements auprès des organismes assureurs.

Les faits remontent à l’année 1995, l’organisme assureur ayant transmis à ce moment au service du contrôle médical de l’I.N.A.M.I. des informations ayant justifié une enquête du service du contrôle médical. Il fut alors décidé de renvoyer l’intéressée devant la chambre restreinte du service du contrôle médical de l’I.N.A.M.I., l’irrégularité constatée étant qu’elle avait signé des demandes de remboursement pour des prestations sous un numéro de code différent de celui qui eut dû être mentionné, entraînant ainsi un débours indu pour l’assurance.

L’utilisation de codes inexacts avait impliqué que, des codes domiciles ayant été appliqués, les remboursements pour l’assurance maladie-invalidité étaient plus onéreux. La Résidence répondait en effet à la définition de résidence communautaire pour personnes âgées et les codes ne se justifiaient pas.

L’intéressée n’a pas contesté la décision de la chambre restreinte, intervenue le 10 septembre 1997. Environ 18 mois plus tard, l’organisme assureur a introduit la présente procédure, mue à la fois contre la kinésithérapeute et contre le liquidateur de la société, faillie entre-temps (la clôture de la faillite étant également intervenue en 2014).

La décision du tribunal

La question de la régularité de la procédure en ce qui concerne le liquidateur est posée mais non réglée, le jugement contenant une surséance à statuer, vu la nécessité éventuelle d’un acte de reprise d’instance du liquidateur de la société, dont la faillite a été clôturée et dont la personnalité juridique a été mise à néant.

Le jugement se prononce cependant sur la responsabilité de la kinésithérapeute. Celle-ci invoque divers arguments qui ne sont pas retenus, touchant à la prescription de la demande, à son irrecevabilité (une procédure correctionnelle ayant opposé l’organisme assureur à la directrice de l’établissement ainsi qu’au liquidateur) et en vient ensuite au fondement. Le tribunal retient qu’aucune faute n’est à imputer à l’O.N.S.S., de telle sorte que la seule question à résoudre est celle de la responsabilité de l’intéressée.

A l’époque, étant en vigueur la loi du 20 décembre 1995 portant des dispositions sociales, qui avait modifié en son article 47 l’article 164 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, cette disposition prévoyait que le dispensateur de soins était tenu de rembourser l’indu lorsqu’il ne s’était pas conformé aux dispositions légales ou réglementaires. La Cour constitutionnelle (alors Cour d’arbitrage) avait cependant été interrogée à propos de l’article 164, alinéa 1. La question qui lui avait été posée portait sur une violation éventuelle des articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où ils devaient être interprétés comme excluant (dans l’hypothèse qu’il visait) l’application de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 aux dispensateurs de soins salariés. La réponse de la Cour constitutionnelle avait été qu’il n’y avait pas violation des articles 10 et 11 de la Constitution si la disposition était interprétée comme n’excluant pas l’application de l’article 18. La Cour avait précisé que, lorsque le dispensateur de soins qui ne s’est pas conformé aux dispositions en cause a commis cette faute administrative dans l’exécution de son contrat, il appartient à l’organisme assureur qui entend récupérer l’indu auprès de lui, conformément à l’article 164, alinéa 2, de démontrer que la faute commise est constitutive de dol ou de faute lourde, ou encore qu’il s’agit d’une faute légère habituelle.

La faute légère est la faute excusable que toute personne placée dans les mêmes circonstances pourrait être amenée à commettre. Pour avoir un caractère habituel, la faute légère suppose une répétition consciente d’actes ou de manquements de même nature. Ce caractère ne peut être retenu que si l’employé a été en mesure de se rendre compte de sa ou de ses fautes.

Ces principes sont repris dans de la jurisprudence citée (dont Trib. trav. Charleroi, sect. Charleroi, 14 mars 2011, R.G. non cité). En l’occurrence, la faute au sens de l’article 164, alinéa 2, est retenue et l’intéressée est en principe tenue de rembourser l’indu.

Le tribunal constate cependant que l’organisme assureur n’a pas pris position sur les conditions d’application de l’article 18 en l’espèce. Il conclut, à partir des éléments du dossier, que l’intéressée a commis une faute légère que celle-ci n’est pas habituelle, l’organisme assureur n’établissant pas ceci. Il relève qu’aucun fait antérieur n’a été invoqué à son encontre, que les attestations étaient préparées par un « secrétariat social » et qu’elle ignorait tout d’un litige opposant la Résidence pour laquelle elle prestait à l’I.N.A.M.I. Il est également relevé que, lorsqu’elle a été informée de celui-ci, elle a refusé de continuer à signer lesdites attestations, qui continuaient à lui être soumises de la même manière.

Elle n’avait dès lors pas une conscience suffisante de la répétition des manquements commis, n’ayant nullement connaissance du fait que les codes utilisés étaient incorrects en raison du statut inexact de la Résidence.

Les manquements reprochés n’en font dès lors qu’un seul, et ce pour l’ensemble des prestations.

La demande est dès lors déclarée non fondée.

Intérêt de la décision

Dans son arrêt du 29 novembre 2006 (C. const., 29 novembre 2006, n° 185/2006), la Cour constitutionnelle avait été saisie d’une question préjudicielle posée par le Tribunal du travail de Charleroi (à propos de la même société), question visant une discrimination entre les dispensateurs de soins de santé engagés dans les liens d’un contrat de travail et les autres salariés, dès lors que, pour les premiers, les organismes assureurs (tiers à la relation de travail) souhaitant mettre en cause leur responsabilité en raison d’une faute commise dans l’exercice de leur fonction n’étaient pas tenus de prouver l’existence d’un dol, d’une faute lourde ou d’une faute légère habituelle.

La Cour constitutionnelle avait, sur la question de la faute légère répétée, souligné (B.5) que l’assouplissement des règles de la responsabilité civile en faveur des salariés en ce qui concerne les conséquences de leurs fautes légères inhabituelles était justifié par le souci du législateur de mettre le travailleur à l’abri de la réparation, sur ses deniers, de tout dommage causé par sa faute légère occasionnelle commise dans l’exécution de son contrat de travail, compte tenu du surcroît de risque qu’implique toute activité professionnelle et du fait que les travailleurs exercent la leur au profit de leur employeur et sous son autorité. La Cour avait poursuivi en précisant qu’elle n’apercevait pas pour quel motif cet objectif ne devrait pas être poursuivi à l’égard des personnes exerçant une profession médicale ou paramédicale dans le cadre d’un contrat de travail et qui faisaient l’objet d’une demande de remboursement fondée sur l’article 164, alinéa 2 (B.6), la Cour soulignant que, comme tous les salariés, ces personnes sont exposées au risque de commettre des fautes légères occasionnelles dans l’exécution de leur contrat. Elle avait conclu qu’il n’était dès lors pas justifié de les traiter différemment des autres travailleurs en leur refusant le bénéfice de la protection de l’article 18 L.C.T.


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