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Licenciement pour motif grave d’un agent contractuel d’une commune : délai de trois jours

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 6 février 2018, R.G. 16/2.873/A

Mis en ligne le mardi 29 mai 2018


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 6 février 2018, R.G. 16/2.873/A

Terra Laboris

Lorsqu’une autorité publique – en l’occurrence une commune – envisage de licencier pour motif grave, une délégation de pouvoir peut être accordée par le Conseil communal au Collège communal : le délai de trois jours ouvrables pour licencier prend cours le jour où les faits sont valablement portés à la connaissance de cet organe réuni.

Les faits

Une animatrice socio-culturelle a été engagée le 1er juillet 1987 par la Ville de C. Sa fonction évolue au fil du temps, celle-ci devenant responsable d’un musée de la Ville. Une convocation lui est adressée le 16 juin 2015, en vue d’une audition. Celle-ci précise qu’un licenciement est envisagé, et ce essentiellement pour de nombreux manquements répétés. L’audition a lieu dix jours plus tard et, suite à celle-ci, l’intéressée continue à travailler les mois de juillet et août. Entre temps, le procès-verbal de l’audition est rédigé et signé par l’intéressée.

Celle-ci se voit alors licencier pour motif grave par le Collège communal en sa séance du 11 août 2015.

Les motifs résident dans des « manquements répétés qui traduisent une désinvolture délibérée par le non-respect à plusieurs reprises des dispositions prévues par le règlement particulier pour les agents contractuels… ». Est précisément visé le non-respect de la procédure en cas d’absence pour maladie ainsi que celui des délais de demande de congés et de quota de congés disponibles. Il est précisé que plusieurs rappels ont été adressés par écrit, au fil du temps, et ce essentiellement depuis 1999. Les manquements reprochés, manquements répétés, sont constitutifs de motif grave.

Suite à ce licenciement, l’intéressée introduit un recours devant le Tribunal du travail du Hainaut, division Charleroi, demandant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de plus de 100.000 euros, à majorer des intérêts, ainsi que des dépens, en ce compris l’indemnité de procédure.

La décision du tribunal

Le tribunal identifie deux points particuliers, étant d’une part la détermination de la personne compétente pour licencier et, d’autre part, le respect du délai de trois jours prévu par l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 entre la connaissance des faits et le licenciement.

Sur la première question, elle est saisie d’une discussion entre les parties, la demanderesse considérant que le licenciement a été décidé par un organe non habilité, à savoir que ceci n’est pas de la compétence du Collège communal mais bien du Conseil. La chose est contestée par la Ville, qui rappelle subsidiairement qu’une contestation sur cette question doit être soulevée à bref délai, à défaut de quoi le travailleur licencié est supposé avoir ratifié au moins implicitement le congé à cet égard.

Le tribunal rappelle que l’engagement et le licenciement des agents communaux sont de la compétence du Conseil communal, mais que celle-ci peut être déléguée au Collège (sauf certaines exceptions), et ce conformément à l’article L1213-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation.

Cette délégation existe en l’espèce, la décision ayant été prise lors d’une séance du Conseil communal du 21 décembre 2012. Elle inclut également l’autorisation de licencier. La délégation en cause n’est pas limitée dans le temps et permettait donc au Collège de licencier un agent communal contractuel de la catégorie de l’intéressée.

Sur le délai de trois jours prévu à l’article 35, alinéa 3, LCT, délai entre la connaissance des faits et le congé pour motif grave, le tribunal rappelle le caractère bilatéralement impératif de la disposition, étant que le juge doit en examiner, le cas échéant d’office, l’application, même si le demandeur s’en est abstenu dans un premier temps. Dès lors cependant qu’existe une disposition d’un rang inférieur dans la hiérarchie des normes (convention collective de travail, règlement ou convention individuelle), la procédure qui y est prévue ne peut tenir en échec le respect du délai de trois jours de l’article 35.

L’auteur du congé peut néanmoins procéder à des mesures d’investigation afin d’acquérir la connaissance requise et, à cet égard, le principe du point de départ du délai lors de l’audition peut être admis, le licenciement qui interviendrait moins de trois jours ouvrables après celle-ci ne pouvant, pour le tribunal, être déclaré tardif. Il renvoie ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 1990 (Cass., 5 novembre 1990, n° 8937), selon lequel, quel que soit son résultat, l’audition préalable peut, suivant les circonstances de la cause, constituer une mesure permettant à l’employeur d’acquérir la certitude voulue. Que, de la circonstance que le licenciement a été décidé après un entretien, sur la base de faits qui étaient connus de l’employeur avant celui-ci, il ne peut être déduit que ce dernier disposait déjà à ce moment de tous les éléments d’appréciation nécessaires pour prendre la décision en connaissance de cause.

Si l’employeur envisage de faire une enquête aux fins d’obtenir la certitude requise, celle-ci doit être entamée « sans délai et (être) menée avec célérité » (étant ici renvoyé à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 janvier 2005, n° S.04.0101.F).

La question ici posée plus précisément est de déterminer quand prend cours le délai pour licencier si le pouvoir de rupture est détenu par un organe collégial. Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 23 novembre 1999 (C. trav. Liège, 23 novembre 1999, Chr.D.S., 2001, p. 265), qui a retenu que ce délai prend cours en règle le jour où les faits sont valablement portés à la connaissance de cet organe réuni. Le délai commence dès lors après ce jour (dies a quo), le dies ad quem pouvant encore être utilisé pour rompre le contrat.

Quant à la connaissance elle-même, le tribunal en rappelle les exigences. Elle doit être suffisante pour asseoir la conviction de l’employeur, du travailleur et du juge ; elle doit être effective et non simplement possible. Enfin, sur ce dernier point, la rupture n’est pas irrégulière par la seule circonstance que l’employeur avait la possibilité de connaître plus tôt les faits allégués au titre de motif grave, le tribunal renvoyant ici à deux arrêts de la Cour de cassation (Cass., 28 février 1994, n° S.93.0035.F et Cass., 25 avril 1988, n° 40.670).

La question se pose dès lors de savoir si, en l’espèce, le congé est régulier au motif que, selon la Ville, le Collège communal n’aurait été avisé des faits que lors de sa séance du 11 août 2015.

Le dernier fait reproché s’est produit le 2 juin 2015, l’audition est intervenue le 26 juin, notamment en présence du Directeur général f.f., celui-ci étant par ailleurs membre du Collège. Le licenciement n’est quant à lui intervenu que le 11 août. Le tribunal constate que la Ville est très peu précise quant à la procédure intervenue et qu’elle n’établit pas qu’une procédure administrative particulière devait être suivie avant de soumettre le dossier au Collège communal ni encore que les étapes administratives auxquelles elle se réfère (signature et avis) constituaient une mesure nécessaire pour permettre au Collège d’acquérir une connaissance certaine des faits. Celles-ci ne pouvaient dès lors postposer le point de départ du délai de trois jours, une procédure préalable au licenciement prévue par une norme inférieure à la loi ne dispensant pas l’employeur de son respect.

Le tribunal conclut que la Ville ne démontre pas que le Collège communal n’a eu connaissance des faits que le 11 août 2015, la production d’un extrait de ce procès-verbal ne suffisant pas.

Le congé est dès lors irrégulier et il est fait droit à la demande d’indemnité compensatoire de préavis.

Intérêt de la décision

Les deux points analysés par le tribunal – spécifiques au licenciement pour motif grave – sont intéressants, étant d’une part la question de la compétence de l’auteur de l’acte et, l’autre, le point de départ du délai de trois entre la connaissance des faits et le congé lorsque c’est un organe collégial qui a le pouvoir de licencier.

En ce qui concerne la contestation qu’émettrait le travailleur sur le fait que le licenciement n’émanerait pas de la personne ayant le pouvoir de licencier, il faut rappeler l’arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2006 (Cass., 6 février 2006, n° S.05.0030.N), dans lequel la Cour suprême enseigne que tout travailleur licencié par écrit par le mandataire de l’employeur, au nom et pour compte de celui-ci, a le droit de demander la production de la procuration pour se convaincre de l’existence du mandat. Il n’est toutefois pas obligé de le faire.

S’il s’en abstient et ne se présente plus au travail comme le ferait toute personne réellement licenciée, il ne peut plus nier ultérieurement l’existence du mandat, sauf dans un délai raisonnable, lorsque ni le mandant ni le mandataire ne contestent celui-ci. Il s’agissait en l’espèce d’un licenciement pour motif grave ratifié par l’employeur ultérieurement.

L’on pourra encore rappeler que la ratification ne peut confirmer l’acte en principe inexistant qu’à la condition qu’elle ne porte pas préjudice aux droits que le travailleur (tiers au mandat) a acquis du fait du congé. La Cour du travail de Bruxelles a considéré dans un arrêt du 21 mars 2013 (R.G. 2013/AB/28) que, bien qu’il y ait de la doctrine et de la jurisprudence en sens contraire, en cas de rupture pour motif grave, l’employeur doit ratifier le congé dans le délai de trois jours ouvrables à dater de la connaissance certaine des faits. La ratification qui interviendrait avec effet rétroactif porterait préjudice au droit que le travailleur a acquis en vertu de la loi, du fait du congé, de prétendre à une indemnité de rupture en raison du non-respect du délai de trois jours ouvrables. La cour confirme également que, si l’existence du pouvoir de rompre dans le chef de l’auteur du licenciement est contestée, cette contestation doit être immédiate ou en tout cas intervenir dans un délai raisonnable, s’agissant de solliciter la production d’une déclaration.


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