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Pompiers volontaires : rémunération du temps de garde à domicile ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 novembre 2017, R.G. 2015/AB/720

Mis en ligne le jeudi 31 mai 2018


Cour du travail de Bruxelles, 8 novembre 2017, R.G. 2015/AB/720

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 novembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la problématique des temps de garde à domicile, en cas de contraintes très fortes pesant sur le personnel pendant celles-ci, arrêt rendu avant que la Cour de Justice, interrogée sur la question de l’application de la Directive n° 2003/88 du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, en ce que certaines catégories de sapeurs-pompiers sont exclues de celle-ci et des mesures qui l’ont transposée en droit national, ait répondu par arrêt du 21 février 2018.

Les faits

Un pompier a travaillé au sein du service d’incendie d’une administration communale en qualité de pompier volontaire pendant plus de 16 ans. Il a ensuite été nommé pompier professionnel.

Une discussion l’a opposé à la Ville concernant la rémunération des heures de garde.

L’intéressé introduit une procédure, demandant des dommages et intérêts résultant de l’infraction consistant dans le non-paiement de la rémunération. Il fait valoir que diverses prestations (heures d’exercice, théorie, garde au casernement ou prestations administratives) n’ont pas été rémunérées à 100% et que les allocations pour prestations nocturnes dominicales prévues au statut pécuniaire de la Ville n’ont pas été davantage payées. Il pose également la question de la rémunération des heures de garde à domicile, celles-ci n’ayant pas donné lieu au paiement de l’indemnité prévue dans le statut pécuniaire communal.

Par jugement du 12 février 2015, le tribunal du travail a largement fait droit à la demande. Statuant sur le droit à la rémunération en son principe, il a condamné la Ville au paiement de 1 euro provisionnel pour l’ensemble des postes, ordonnant la réouverture des débats en ce qui concerne les montants, la Ville étant invitée à effectuer le relevé des heures de garde à domicile.

L’appel

La Ville interjette appel, posant à la cour diverses questions issues de son règlement organique. Elle conteste devoir rémunérer les prestations en cause, tant pour ce qui est des heures de casernement que pour les prestations nocturnes ou dominicales et les gardes à domicile.

Elle fait également valoir, sur le plan de la prescription, que celle-ci est de 5 ans à dater de l’introduction de la procédure.

La décision de la cour

La cour statue longuement sur chacun des chefs de demande, rappelant notamment, à propos des pompiers volontaires, qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil d’Etat qu’au vu notamment de la détermination des droits et obligations dans un règlement organique, ils sont statutaires (et non sous contrat de travail). La cour renvoie à deux arrêts (C.E., 1er juillet 2011, n° 214.390 et C.E., 12 août 2008, n° 185.650).

Sur la distinction entre les pompiers professionnels et les pompiers volontaires, la cour renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 9 juillet 2013 (C. const., 9 juillet 2013, n° 103/2013), qui a admis que le caractère volontaire, occasionnel et accessoire des fonctions du pompier volontaire justifient une différence de traitement en ce qui concerne certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Cependant, la cour du travail expose qu’elle ne voit pas en quoi le caractère volontaire, occasionnel et accessoire des fonctions serait de nature à justifier que, pour des prestations identiques, la rémunération soit fixée à un taux différent, pour un pompier volontaire ou un pompier professionnel.

Il y a une discrimination, le pompier volontaire ne percevant que 80% de la rémunération octroyée au pompier professionnel pour les mêmes prestations.

Sur la prescription, la cour ne retient pas le caractère continué de l’infraction, la prescription pénale ayant pris cours lors de chaque paiement. L’action est dès lors prescrite pour les montants qui auraient dû être payés plus de 5 ans avant le premier acte interruptif de prescription, qui est en l’occurrence la requête déposée au tribunal.

Pour ce qui est des prestations nocturnes et dominicales, la distinction opérée par la Ville n’est pas davantage considérée comme pertinente, dans la mesure où la pénibilité et l’atteinte à la vie sociale et amicale sont les mêmes, pour les pompiers volontaires et pour les pompiers professionnels. La différence de traitement est à l’origine d’une discrimination.

La cour se penche ensuite sur la question de la rémunération des gardes à domicile, rappelant en substance la notion de temps de travail en droit belge, à savoir qu’il s’agit du temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l’employeur. Le lieu où le travailleur se trouve ne semble dès lors pas déterminant, la cour renvoyant à la doctrine (E. TRUYENS, « Un travailleur dormant : pourtant, sa durée de travail peut courir », Ors., 1993, p. 210).

Il y a lieu cependant de tenir compte de la notion de temps de travail au sens de la Directive n° 2003/88 du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Elle donne du temps de travail la définition suivante : il s’agit de toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales. Trois critères sont dès lors exigés, étant la présence sur le lieu de travail (la cour souligne), le fait d’être à la disposition de l’employeur et l’exercice effectif des activités.

Pour la Cour de Justice, il n’y a temps de travail que lorsque le travailleur est contraint d’être physiquement présent au lieu déterminé par l’employeur et de s’y tenir à la disposition de ce dernier pour pouvoir immédiatement fournir les prestations appropriées en cas de besoin (avec renvoi à C.J.U.E. (ordonnance), 10 janvier 2007, Aff. n° C-437/05, VOREL, et C.J.U.E. (ordonnance), 4 mars 2011, Aff. n° C-258/10, GRIGORE). Il en découle que les définitions belge et européenne ne concordent pas entièrement.

Sur la situation spécifique des pompiers, depuis une dizaine d’années, la jurisprudence belge résout généralement la question de la rémunération du temps de garde à domicile (pour les pompiers volontaires) par référence à la définition européenne. N’étant pas sur leur lieu de travail, les pompiers volontaires ont été considérés comme ne travaillant pas et ils ont été déboutés de leur demande de paiement des gardes inactives. Or, dans l’affaire qui lui est soumise, la cour n’est saisie que d’une réclamation salariale. Elle rappelle ici que la question des rémunérations n’est pas visée par la Directive elle-même et qu’elle échappe d’ailleurs à la compétence de l’Union européenne (article 153, § 5, T.F.U.E.).

La Directive a été transposée dans le secteur public par la loi du 14 décembre 2000 fixant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, texte qui a fait l’objet d’une loi interprétative du 30 décembre 2009, dont la constitutionnalité a été admise par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 9 juillet 2013 (C. const., 9 juillet 2013, n° 103/2013). Les pompiers volontaires étant exclus de la définition de travailleur au sens de cette loi, la cour poursuit que l’exclusion légale pourrait également avoir comme conséquence qu’il n’est pas pertinent de se référer ici à la Directive européenne pour ce qui est de la définition du temps de travail. La cour exprime cependant sa perplexité, vu que ceci ne vaudrait que si l’exclusion ne va pas au-delà de ce que permet la Directive, ce dont elle déclare ne pas être convaincue. Enfin, la Directive ne prévoyant que des prescriptions minimales, se pose la question de savoir si l’on ne peut se référer au droit national, dans la mesure où il comporte une définition moins restrictive. Ces divers points n’ont pas fait l’objet de décision de la Cour de Justice.

En l’espèce, lorsqu’ils sont de garde à domicile, les pompiers volontaires sont soumis à des contraintes très strictes, qui leur imposent de résider à proximité de la caserne et limitent très fortement leur possibilité de vaquer à d’autres occupations pendant ces périodes. Il y a dès lors des contraintes très fortes qui pèsent sur le travailleur.

Vu cette incertitude, la cour considère devoir être davantage éclairée sur l’interprétation à donner à l’article 2 de la Directive. Elle rappelle qu’elle a posé une question préjudicielle (en réalité quatre questions) à la Cour de Justice dans une autre affaire et que la Cour n’a pas encore rendu son arrêt. Il est dès lors sursis à statuer sur ce point.

Intérêt de la décision

Ce nouvel épisode du contentieux des pompiers volontaires pose de manière explicite, sur la question de la rémunération du temps de garde à domicile, la question de la prise en compte de ces périodes comme temps de travail, dès lors que sont exercées sur les travailleurs des contraintes qualifiées de « très fortes ». Au moment où la Cour du travail de Bruxelles a rendu cet arrêt, la Cour de Justice n’avait en effet pas encore statué sur les obligations de disponibilité trop contraignantes, qui ne s’identifient dès lors pas à une garde inactive, qui serait un « stand-by light ».

Elle a rendu son arrêt, depuis, et ce en date du 21 février 2018 (Aff. n° C-518/15, VILLE DE NIVELLES c/ MATZAK).

Pour la Cour de Justice, il ne peut pas être dérogé à l’égard de certaines catégories de sapeurs-pompiers recrutés par les services publics d’incendie à l’ensemble des obligations découlant des obligations de la Directive, en ce compris son article 2 (qui définit notamment les notions de « temps de travail » et « période de repos »). La Directive ne permet pas, en son article 15, que les Etats membres maintiennent ou adoptent une définition moins restrictive que la notion de « temps de travail » qu’elle donne. En ce qui concerne la situation de l’espèce, elle conclut que l’article 2 de la Directive n° 2003/88 doit être interprétée en ce sens que le temps de garde qu’un travailleur passe à domicile avec l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de 8 minutes, restreignant très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités, doit être considéré comme « temps de travail ».


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