Terralaboris asbl

Différences dans les sanctions infligées aux chômeurs et aux jeunes travailleurs : absence de discrimination prohibée

Commentaire de C. trav. Mons, 29 juin 2007, R.G. 20.401

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Mons, 29 juin 2007, R.G. n° 20.401

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 29 juin 2007, la Cour du travail de Mons a considéré que la situation de ces deux catégories de chômeurs n’est nullement comparable et que, en conséquence, les mesures d’exclusion spécifiques vis-à-vis des jeunes travailleurs bénéficiant d’allocations d’attente ne constituent pas une discrimination prohibée.

Les faits

Monsieur B., âgé de 19 ans, titulaire d’un diplôme de l’enseignement secondaire professionnel, est inscrit comme demandeur d’emploi et perçoit des allocations d’attente.

Il est ultérieurement convoqué par l’ONEm pour un premier entretien destiné à évaluer ses efforts pour trouver un emploi. Il ne se présentera pas et ne s’était d’ailleurs pas manifesté lors d’une convocation précédente. Il est dès lors exclu des allocations en application des articles 59quater, § 1, alinéa 4 et 70 de l’AR du 25 novembre 1991.

Cette décision sera annulée, vu que l’intéressé va réagir et se présenter à l’ONEm. À l’issue d’un entretien qui se tiendra alors, un premier contrat d’activation est signé, reprenant certains engagements à respecter.

Ultérieurement, il va s’avérer que les engagements souscrits n’ont pas été respectés et un nouveau contrat sera signé. L’ONEm va, parallèlement, exclure le chômeur pendant quatre mois au motif du non respect du premier contrat d’activation (soit celui signé lors du premier entretien d’évaluation de son comportement de recherche d’emploi).

Il introduit un recours contre cette décision.

La position du tribunal

Le tribunal du travail de Charleroi considère que la mesure temporaire de privation des allocations se justifie, au motif du non respect du contrat signé après le premier entretien. Cependant, le premier juge considère que l’article 59quinquies § 6, alinéa 1er de l’AR du 25 novembre 1991 viole les articles 10 et 11 de la constitution, qui établissent les principes d’égalité et de non discrimination. Le fondement de cette conclusion est que les sanctions appliquées aux bénéficiaires d’allocations d’attente ayant charge de famille sont discriminatoires par rapport à celles visant les bénéficiaires d’allocations de chômage ayant charge de famille, au motif que la différence de traitement n’apparaît ni objectivement raisonnable par rapport au but et aux effets de la mesure, ni proportionnelle à ce but.

Le tribunal va rouvrir les débats sur les conséquences à déduire par le juge de ce constat d’illégalité.

L’ONEm interjette appel.

La position des parties en appel

Pour l’ONEm, il n’y a pas discrimination entre les jeunes travailleurs bénéficiant d’allocations d’attente (qui subissent une mesure temporaire de privation des allocations pendant quatre mois s’ils n’ont pas respecté les obligations mises à leur charge par le premier contrat d’activation) et les chômeurs ayant charge de famille ou étant isolés (qui subissent, quant à eux, pendant quatre semaines une réduction de leurs allocations).

Il ne peut, pour l’ONEm, être question de comparer ces situations. L’Office fait valoir notamment que l’octroi des allocations d’attente est une dérogation majeure au principe de l’assurance puisque celles-ci sont versées à des personnes qui n’ont jamais cotisé à aucun secteur de la sécurité sociale, et ce au contraire des chômeurs et des jeunes travailleurs. A supposer, ainsi que l’Office le développe à titre subsidiaire, que la catégorie des jeunes allocataires d’attente et celle des chômeurs soient comparables encore faudrait-il retenir qu’il y a des critères objectifs et raisonnables justifiant la différence de traitement : ainsi, outre le caractère objectif du critère retenu, le caractère de différenciation apparaît raisonnable dès lors qu’il poursuit un objectif et use de moyens proportionnés à celui-ci. L’objectif de la réglementation relative à la procédure d’activation du comportement de recherche d’emploi est de suivre activement les chômeurs et de les soutenir dans celle-ci, tout en sanctionnant ceux qui ne respectent pas cette obligation mise à leur charge. En conséquence, les sanctions différentes infligées aux bénéficiaires d’allocations d’attente d’une part et aux chômeurs d’autre part se justifient par le régime d’exception au droit commun réservé au premier groupe. Ses membres bénéficient en effet d’allocations alors qu’ils n’ont pas presté (ou pas suffisamment) en qualité de travailleurs salariés. En conséquence, il n’est ni déraisonnable ni disproportionné de prévoir des sanctions plus lourdes vis-à-vis des jeunes travailleurs bénéficiant d’allocations d’attente.

Quant à l’intimé, il ne développe pas d’argumentation particulière, ayant, d’ailleurs, fait défaut en première instance.

La position de la Cour

La Cour va faire un rappel des principes relatifs à l’égalité des belges devant la loi et à la non discrimination dans la jouissance des droits et libertés inscrits dans la constitution.

En l’espèce, la règle inconstitutionnelle alléguée étant couchée dans un arrêté royal, il appartient au juge de mener lui-même le contrôle de constitutionalité, la Cour constitutionnelle ne pouvant être saisie.

Les paramètres d’analyse sont ceux rappelés à diverses reprises par la Cour de cassation (voir notamment Cass., 24 mars 2003, Chron.Dr.Soc. 2003, p. 379), étant que ces principes impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais ils n’excluent pas qu’une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable ; l’existence d’une telle justification doit s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise. Il y aura violation du principe d’égalité lorsqu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

La Cour rappelle alors les étapes de l’examen auquel procède la Cour constitutionnelle étant, successivement, le test préalable de comparabilité, la détermination du but poursuivi par le législateur, la vérification du caractère objectif et raisonnable de la distinction, la vérification de la pertinence de la mesure au regard du but poursuivi et enfin, le contrôle de proportionnalité.

En l’occurrence, sur la discrimination alléguée par le tribunal, la Cour retient qu’elle se situe au niveau de la privation des allocations pour certains et de la réduction de celles-ci pour d’autres.

La Cour va considérer qu’il n’y a pas, entre ces deux catégories de chômeurs, de situation comparable, et ce aux motifs essentiellement développés par l’ONEm, étant que le fondement du mécanisme d’octroi des allocations de chômage est basé sur le système de l’assurance obligatoire (l’allocation étant destinée au chômeur involontairement privé de travail et qui avait cotisé à suffisance) et que l’extension de ce régime aux étudiants ayant terminé des études ouvrant normalement l’accès au marché du travail constitue une dérogation à ce principe d’assurance, puisqu’il est prévu pour eux que, après une certaine période de recherche d’emploi, ils peuvent bénéficier des allocations dites d’attente. Les conditions d’admissibilité sont dès lors différentes. En outre, le taux des allocations n’est pas le même.

La Cour conclut donc que l’octroi des allocations d’attente constitue une dérogation majeure au principe de l’assurance à la base du système. N’étant pas comparables, ces deux situations ne peuvent déboucher sur une discrimination et les mesures d’exclusion spécifiques prévues vis-à-vis des jeunes ne peuvent être constitutives de celle-ci.

La Cour accueille dès lors l’appel de l’ONEm.

Intérêt de la décision

Cet arrêt réforme le jugement du 22 septembre 2006 du Tribunal du travail de Charleroi (disponible dans le présente rubrique).

Rappelons que la réglementation réserve un sort plus favorable sur le plan de la sanction au chômeur isolé ou ayant charge de famille (la sanction étant une réduction des allocations et non leur suppression) tandis que les bénéficiaires d’allocations d’attente se voient tous appliquer la même sanction, quelle que soit leur situation familiale.

Le point de divergence réside dans l’appréciation du caractère comparable des catégories de personnes différenciées (bénéficiaire d’allocations de chômage isolé ou ayant charge de famille et bénéficiaire d’allocations d’attente isolé ou ayant charge de famille) : là où le Tribunal avait estimé qu’il s’agissait de catégories comparables (mettant l’accent sur le « statut » d’isolé ou de responsable de famille), la Cour du travail estime le contraire.


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