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Qu’entend-on par « indépendance du conseiller en prévention » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 novembre 2017, R.G. 2017/AB/753

Mis en ligne le vendredi 15 juin 2018


Cour du travail de Bruxelles, 16 novembre 2017, R.G. 2017/AB/753

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 novembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles est saisie d’une contestation relative au licenciement d’un conseiller en prévention, contestation à l’occasion de laquelle elle revient sur la réglementation relative au service interne et au service externe de prévention et de protection au travail, ainsi que sur les principes relatifs au licenciement du conseiller.

Les faits

Une grande banque engage le 1er août 2015 un médecin, pour exercer des fonctions de conseiller en prévention-médecin du travail à mi-temps. Il s’agit d’un contrat à durée indéterminée. Ces fonctions sont exercées au sein du S.I.P.P.T. jusqu’au 31 mars 2017, la banque occupant alors six conseillers. Le projet est formé en 2016 d’externaliser ces activités, et ce pour des motifs économiques et financiers, ainsi que de productivité, de spécialisation et de souhait de recentrage sur ces activités cruciales. Il est envisagé d’externaliser les missions du service de surveillance de la santé.

Les avis requis sont demandés, tant en interne qu’auprès des administrations, et un contrat est conclu en février 2017, avec un S.E.P.P.T. en vue d’exercer les missions en cause.

Les conseillers en prévention-médecins du travail en interne sont informés et des discussions interviennent, en vue soit d’un départ négocié, soit d’un passage vers le S.E.P.P.T.

Pour deux des intéressés, l’externalisation est une erreur, ne tenant pas compte des besoins du personnel et étant essentiellement décidée pour des raisons financières. Il est en fin de compte décidé de rompre le contrat de l’un des deux (qui introduira l’action ayant abouti à l’arrêt commenté), le motif donné étant la décision d’externaliser et le refus de l’intéressé de prester pour le S.E.P.P.T. La banque sollicite parallèlement l’accord des membres des cinq C.P.P.T. ainsi que du directeur du service de surveillance interne. Des positions divergentes sont alors prises par les C.P.P.T. interrogés en ce qui concerne les motifs. Pour certains d’entre eux, le motif est étranger à l’indépendance du conseiller en prévention-médecin du travail et les trois autres n’ont par contre pas marqué leur accord sur l’intention de licenciement. L’avis du Contrôle du bien-être au travail est demandé. Il conclut que les éléments mis à sa disposition ne fournissent pas suffisamment de preuves que le licenciement envisagé porte effectivement atteinte à l’indépendance des conseillers en prévention.

Une procédure est introduite.

Dans un jugement du 8 août 2017, le tribunal du travail fait droit à la demande, considérant que les motifs invoqués ne sont pas étrangers à l’indépendance du conseiller en prévention-médecin du travail dans l’exercice de sa fonction. Il n’autorise dès lors pas le licenciement. La banque interjette appel.

La décision de la cour

La cour reprend les dispositions pertinentes de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, sur la question. L’employeur qui décide de confier des missions du service interne à un service externe doit préalablement demander l’avis du ou des Comités compétents. En cas de désaccord, il doit se tourner vers le fonctionnaire chargé de la surveillance, qui entend les parties et tente de concilier les positions. En l’absence de conciliation, il émet un avis également. L’employeur doit informer le Comité de l’avis du fonctionnaire dans un délai de 30 jours à dater de sa notification avant de prendre sa décision.

Dans la loi du 20 décembre 2002 portant protection des conseillers en prévention, des dispositions plus spécifiques existent concernant la protection du conseiller, son contrat ne pouvant être rompu (ou lui-même écarté de sa fonction) que pour des motifs étrangers à son indépendance ou qui démontrent qu’il est incompétent à exercer ses missions et pour autant que les procédures visées par la loi aient été respectées.

Il y a un renversement de la charge de la preuve et la cour rappelle, en ce qui concerne l’étendue du pouvoir d’appréciation du tribunal, que, lorsque les juridictions sont dans cette matière appelées à exercer un contrôle sur le motif du licenciement, il s’agit d’un contrôle de pleine juridiction et non d’un contrôle marginal (c’est-à-dire un contrôle qui serait limité à une illégalité manifeste). Par contrôle de pleine juridiction, l’on n’entend cependant pas contrôle d’opportunité.

La cour en vient à la notion d’indépendance du conseiller, qui est au cœur de la matière, renvoyant aux travaux préparatoires (Exp. Mot. de la loi du 4 août 1996, Doc. parl. Ch., 1995, 71/1), qui ont confirmé ce principe, étant que les conseillers en prévention ne peuvent subir de préjudice en raison de leurs activités. L’indépendance est une règle essentielle afin qu’ils puissent remplir leur devoir tant à l’égard de l’employeur que des travailleurs. La notion d’indépendance doit être interprétée sous l’angle de l’exercice de la fonction. Elle recouvre (i) la liberté pour lui de choisir, sur la base de sa formation, les moyens nécessaires afin de pouvoir donner des avis fondés en matière de prévention, (ii) le droit de recevoir des informations et (iii) la liberté de donner des avis objectifs (ceux-ci ne tenant nécessairement pas compte des intérêts différents de l’employeur et des travailleurs, mais devant servir l’intérêt général, à savoir le bien-être au travail).

La même loi impose des procédures, qui sont reprises par la cour, étant ses articles 5 et 7. Il est expressément prévu que l’employeur peut saisir le Président du tribunal du travail par citation, la procédure faisant l’objet de dispositions spécifiques dans la loi (articles 18 à 21). Si la juridiction conclut que les motifs sont étrangers, l’employeur peut rompre le contrat conformément aux dispositions de la loi du 3 juillet 1978. Dans le cas inverse, l’employeur ne peut pas mettre fin au contrat (article 9).

Sur le plan des procédures, en l’espèce, celles-ci ont été respectées, ce qui n’est pas contesté.

Sur le motif lui-même, la cour relève que le conseiller fait valoir une limitation à son indépendance s’il devait travailler au sein d’un service externe (proposition qui lui a été faite et qui a été refusée). La cour analyse les conditions d’exercice des missions légales au sein du service externe et constate que, si ce changement est susceptible de présenter un inconfort pour les travailleurs, il est sans lien avec l’indépendance du conseiller. Par ailleurs, ont été confiées à ce service des activités extra-légales, approuvées par les C.P.P.T. l’année précédente et impliquant que quelques initiatives nouvelles seraient prises désormais.

La cour conclut à l’absence de preuve de la réduction des possibilités d’action du conseiller et donc de la qualité de la surveillance de la santé des travailleurs dans ce cadre nouveau. La chose a été confirmée par le fonctionnaire compétent.

L’exécution du contrat ne pouvant être poursuivie vu la suppression du service et qui a entraîné la disparition de sa fonction, il y a un motif de licenciement qui est étranger à l’indépendance elle-même.

La cour réforme dès lors le jugement du tribunal du travail.

Intérêt de la décision

Deux points importants sont à dégager de l’arrêt, étant d’une part les éléments de définition de la notion d’indépendance et d’autre part la procédure mise en route par la loi en vue d’introduire une procédure judiciaire avant le licenciement.

L’article 5 de la loi prévoit en effet l’obligation pour l’employeur de communiquer au conseiller en prévention, par lettre recommandée, les motifs pour lesquels il veut mettre fin au contrat, ainsi que la preuve de ceux-ci. Il doit également demander aux membres du ou des Comités leur accord préalable quant à la résiliation du contrat, avec copie de la lettre ci-dessus.

En cas de désaccord ou d’absence de décision dans un délai raisonnable, l’employeur ne peut, en vertu de l’article 7, § 1er, mettre un terme au contrat mais doit recourir à l’avis du fonctionnaire du Contrôle du bien-être (compétent en vertu de l’article 80 de la loi du 4 août 1996), qui doit lui-même suivre une procédure déterminée et remettre son avis, s’il n’y a pas eu conciliation des parties.

L’employeur peut alors saisir le Président du tribunal du travail par citation. Si les motifs sont étrangers, l’employeur peut, à l’issue de cette procédure, licencier.


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