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Récupération de l’indu en AMI : conditions d’interruption de la prescription

Commentaire de C. trav. Mons, 17 janvier 2018, R.G. 2016/AM/281

Mis en ligne le vendredi 15 juin 2018


Cour du travail de Mons, 17 janvier 2018, R.G. 2016/AM/281

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 janvier 2018, la Cour du travail de Mons confirme la règle : pour qu’une mise en demeure soit interruptive de prescription, elle doit comporter la manifestation de la volonté du créancier d’exercer son droit et d’obtenir paiement de sa créance.

Les faits

Un bénéficiaire de prestations sociales s’est vu octroyer des prestations d’invalidité étrangères dans le cadre des règlements de coordination CEE, suite à une incapacité de travail ayant pris cours en 1987. Celles-ci étant cumulables dans certaines conditions avec des prestations AMI belges, les indemnités complètes lui sont allouées dans l’attente de la détermination définitive de ses droits. En fin de compte, il apparaît qu’il y a eu un trop-perçu et l’indu est de l’ordre de 26.000 euros.

La contestation remonte à 1996. Un échange de courriers intervient entre l’INAMI et l’organisme assureur. Une procédure est introduite rapidement par l’intéressé, en contestation de la décision.

Les trois parties se retrouvent à la cause et, par jugement du 22 juin 2016, le Tribunal du travail de Hainaut, statuant sur l’ensemble de la contestation, dit la demande de l’organisme assureur (introduite par requête au greffe le 6 avril 1999) prescrite. Pour le tribunal, en substance, il n’y a pas de manœuvres frauduleuses ni de mauvaise foi dans le chef de l’intéressé, qui avait informé son organisme assureur de la situation dès 1995. Le délai de prescription est visé à l’article 174, 5°, de la loi coordonnée. Un courrier envoyé en 1995 ne peut avoir interrompu la prescription, celle-ci l’ayant seulement été par deux courriers de 1996, qui ont fait courir un nouveau délai de 2 ans. La prescription était ainsi acquise en 1998, soit avant le dépôt de la requête au greffe en 1999.

Appel est interjeté par l’organisme assureur. L’INAMI n’est pas à la cause.

Position des parties devant la cour

Position de l’appelant

L’organisme assureur considère que le paiement des indemnités n’a pas été fait indûment, dans la mesure où il avait un caractère provisionnel et que l’article 174 vise les actions en récupération d’indu et non les versements effectués, comme en l’espèce, provisionnellement. A titre subsidiaire, il fait valoir que l’intéressé a signé un formulaire de subrogation et que, en fin de compte, il y a lieu d’appliquer la prescription quinquennale, vu qu’il était dûment informé du caractère provisionnel des versements effectués.

A titre tout à fait subsidiaire, il estime qu’une partie de la demande de remboursement est fondée, n’étant pas prescrite, à supposer que l’on retienne le délai de 2 ans de l’article 174.

Quant à la première lettre recommandée, à laquelle le tribunal n’a pas attaché d’effet interruptif, il estime que le premier juge a ajouté des conditions à l’article 174, dans la mesure où, pour être interruptive de prescription, il suffit que la lettre soit recommandée.

Position des intimés

Quant aux parties intimées, qui ont repris l’instance de l’assuré décédé, ils contestent le caractère provisionnel des versements effectués, dès lors que l’organisme assureur était parfaitement informé des éléments de la cause. Ils demandent, par ailleurs, confirmation du jugement en ce qu’il a conclu à la prescription de la demande vu l’article 174 de la loi coordonnée.

La décision de la cour

La cour examine uniquement la question de la prescription. Elle rejette l’argument selon lequel il s’était agi de paiements avec un caractère purement provisionnel, relevant que l’article 174 ne fait pas la distinction entre les paiements provisionnels et les paiements définitifs.

Quant au délai de prescription, elle rejette qu’il y ait des manœuvres frauduleuses en l’espèce, rappelant que celles-ci exigent une volonté de tromper en vue d’obtenir un avantage auquel la personne n’a pas droit. En conséquence, celles-ci ne sont pas assimilables à la simple méconnaissance de la loi ou au seul fait de ne pas avoir procédé à une déclaration même imposée par la loi. La fraude ne se présume pas et l’organisme assureur est tenu d’établir celle-ci, ce qu’il ne fait pas. La prescription est dès lors de 2 ans.

La question est de déterminer si la première lettre recommandée a l’effet interruptif de prescription requis, et la cour rappelle ici que l’effet interruptif n’est pas attaché à toute communication généralement quelconque mais à une sommation, c’est-à-dire à la manifestation de la volonté du créancier d’exercer son droit et d’obtenir le paiement de sa créance. Elle renvoie à plusieurs arrêts, dont particulièrement à un de sa propre cour du 12 février 2015 (C. trav. Mons, 12 février 2015, R.G. 2013/AM/418), où elle a jugé que, pour valoir effet interruptif de prescription, par sa formulation, l’acte litigieux ne doit laisser planer aucun doute dans l’esprit de celui à qui il s’adresse quant aux droits dont la reconnaissance est revendiquée et quant à l’obligation qui en découle dans son chef.

Examinant le premier courrier, celui-ci peut se voir reconnaître cet effet interruptif, dans la mesure où il retient l’existence de l’indu et qu’il manifeste la volonté de l’INAMI d’intervenir auprès de l’organisme assureur en ce qui concerne les modalités et délais de remboursement.

La prescription ayant dès lors été interrompue, un nouveau délai a commencé à courir, identique au premier. En revanche, le deuxième, intervenu dans le délai de 2 ans après le premier, n’a pas ce caractère, s’agissant d’un courrier purement conservatoire, dans lequel l’organisme assureur n’a pas manifesté sa volonté de soutenir la consécration ou la reconnaissance du droit. La prescription était dès lors acquise à l’issue du premier délai de 2 ans consécutif à la lettre en demeure de 1996.

Le jugement se voit dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

Dans sa jurisprudence, la Cour du travail de Mons rappelle régulièrement que n’importe quelle lettre recommandée ne peut avoir le caractère interruptif de prescription. La cour a renvoyé à diverses reprises à la doctrine en la matière (tant sur la question des manœuvres frauduleuses, dont les conditions ont été précisées et dont il est généralement admis actuellement que celles-ci ne s’assimilent pas à la simple méconnaissance de la loi ou au seul fait de ne pas procéder à une déclaration que sur les exigences posées pour qu’une lettre recommandée soit interruptive de prescription). La cour du travail renvoie à la fois à la doctrine de J.-F. FUNCK (J.-F. FUNCK, Droit de la sécurité sociale, Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 73 et suivantes), ainsi qu’à celle de H. DE PAGE (H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil, tome VII, 1957, n° 1171) et, particulièrement sur la question de la prescription, à celle de P. JOURDAIN et P. WERY (P. JOURDAIN et P. WERY, La prescription extinctive, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 419).


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