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Une éventuelle part de responsabilité de l’assuré social dans l’incapacité de travail n’est pas un critère pertinent pour décider de l’octroi d’indemnités AMI

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 9 novembre 2017, R.G. 2017/AN/5

Mis en ligne le lundi 2 juillet 2018


Cour du travail de Liège (division Namur), 9 novembre 2017, R.G. 2017/AN/5

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 novembre 2017, la Cour du travail de Liège (division Namur) a rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation dans son arrêt du 5 novembre 1990, où elle a retenu que seule la faute volontaire ou provoquée délibérément est exclusive de l’indemnisation en AMI, étant précisé dans l’arrêt de la Cour de cassation qu’il n’est pas nécessaire que le bénéficiaire des prestations ait voulu le dommage qui en résulte. Dans les autres hypothèses, il n’y a pas lieu de s’attacher à une part de responsabilité éventuelle de l’assuré social dans la situation.

Les faits

Un bénéficiaire d’indemnités AMI cesse d’être indemnisé suite à une décision de son organisme assureur début mars 2015. Il se fait opérer trois mois plus tard à l’épaule droite, ce qui entraîne une période d’incapacité de six semaines.

Neuf mois plus tard environ, il subit une intervention à l’autre épaule, ce qui entraîne une dernière période d’incapacité, de deux mois.

Dans ce contexte, il a introduit une requête devant le Tribunal du travail de Namur, contestant la fin d’incapacité de travail en mars 2015.

Le tribunal du travail a désigné un expert judiciaire.

L’organisme assureur interjette appel, contestant cette désignation. Il fait valoir que l’intéressé n’est pas dans les conditions légales pour bénéficier des indemnités à cette date.

La position de l’appelant devant la cour

Pour l’appelant, qui produit l’avis de son médecin-conseil, l’intéressé était à ce moment capable d’exercer des travaux légers. Sa profession est principalement celle de maçon, terrassier paveur ou carreleur. L’organisme assureur considère qu’il pourrait surveiller une ligne de production, s’occuper de l’emballage d’objets légers, de travaux de magasinier, livreur, ou encore de chauffeur de taxi. Il fait valoir que la prise en charge initiale doit à ce moment être appréciée au regard de toutes les professions qu’il pourrait exercer en raison de son âge, de sa formation et de son expérience professionnelle. Il est relevé qu’il souffre, sur le plan médical, de pathologies des deux épaules (tendinopathies bilatérales), ainsi que de douleurs au canal carpien (bilatéral) et dans les deux genoux et qu’il présente également des signes de dépression.

En cours de procédure, l’organisme assureur déclare ne pas s’opposer à la désignation de l’expert, vu les termes de l’article 100, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Il fait cependant grief à l’intéressé d’avoir tardé à se faire opérer.

L’arrêt de la cour

Ceci amène la cour du travail à examiner si l’assuré social doit porter une responsabilité dans la persistance de l’incapacité de travail. Renvoyant à la doctrine de J.-F. FUNCK (J.-F. FUNCK, Droit de la sécurité sociale, Larcier, 2006, p. 281), la cour relève que la responsabilité du travailleur n’est pas un critère pertinent. Le fait de ne pas soigner une pathologie est sans intérêt pour l’évaluation de l’état d’incapacité lui-même, la cour renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 13 avril 2001 (C. trav. Mons, 13 avril 2001, R.G. 16.300).

En l’occurrence, l’intéressé n’a pas commis de faute intentionnelle, ayant craint les interventions par peur ou manque d’informations. La cour relève encore un contexte personnel assez difficile ainsi qu’une méconnaissance de la langue française.

Il y a dès lors lieu de vérifier si, pendant la période litigieuse, à savoir celle à partir de laquelle il y a eu notification de cessation d’incapacité, et ce jusqu’à l’intervention chirurgicale, l’intéressé présentait le taux d’incapacité requis.

Sur l’éventail large des professions accessibles, la cour le rejette, d’une part vu la très mauvaise connaissance du français par l’intéressé et, d’autre part, vu l’exercice de travaux lourds dans le secteur de la construction pendant une période de quatorze ans.

La cour renvoie encore à des arrêts de principe sur la question, étant que ce qu’il y a lieu d’examiner est la capacité d’exercer une activité professionnelle à temps plein (avec renvoi à C. trav. Liège, div. Namur, 21 juin 2011, R.G. 2007/AN/8.422, inédit) et qu’il faut faire une appréciation de la capacité de gain en fonction de la situation réelle et non théorique (C. trav. Liège, div. Namur, 23 octobre 2012, R.G. 2006/AN/8.018).

Elle confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

L’intérêt de ce bref arrêt est évident, dans la mesure où était invoquée par l’organisme assureur une part de responsabilité de l’assuré social dans sa situation, et ce afin de tenir en échec la reconnaissance de l’incapacité de travail pendant une période déterminée. Entre la période reconnue en AMI et la période où l’intéressé a été repris pour l’opération chirurgicale, se sont en effet écoulés plusieurs mois, pendant lesquels l’organisme assureur estimait qu’il ne devait pas intervenir. Or, ce qu’il y a lieu d’apprécier, ainsi que le rappelle la cour, est la réunion des critères généraux, étant de savoir si l’intéressé présentait pendant cette période une réduction de sa capacité de travail ensuite de lésions ou de troubles fonctionnels ayant débuté ou ayant été aggravés et qui ont entraîné la cessation de l’activité exercée et si cette réduction de la capacité de gain a ramené celle-ci à un taux égal ou inférieur à un tiers de ce qu’une personne de même condition et de même formation pourrait gagner par son travail.

Que l’assuré social ait – peut-être – tardé à faire procéder à une intervention chirurgicale est un critère non pertinent, ainsi que l’a rappelé la doctrine. Les seules causes d’exclusion qui pourraient être invoquées sont les hypothèses où il y a faute du titulaire, cette faute ayant – comme y renvoie la cour du travail – été définie par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 novembre 1990 (Cass., 5 novembre 1990, n° 8951). La Cour suprême avait statué dans le cadre de l’article 76bis de la loi du 9 août 1963, rejetant un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège du 5 juin 1989, qui avait considéré que la faute devait avoir été commise volontairement ou provoquée délibérément, sans qu’il soit nécessaire que le bénéficiaire des prestations ait voulu le dommage qui en est résulté.


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