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Quel est le statut social du candidat médecin généraliste ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 décembre 2017, R.G. 2015/AB/1.129

Mis en ligne le lundi 16 juillet 2018


Cour du travail de Bruxelles, 19 décembre 2017, R.G. 2015/AB/1.129

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 décembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles se penche sur la question du statut social du candidat médecin généraliste, dans le cadre du stage accompli auprès d’un maître de stage ou au sein d’un service de stage agréé, dans le cadre d’une convention de formation.

Les faits

Un litige survient entre une diplômée en médecine et le médecin auprès duquel elle effectue un stage de formation en médecine générale.

La relation est triangulaire, trois conventions ayant été signées, étant (i) une convention de formation entre le maître de stage en médecine générale et le candidat médecin généraliste, (ii) une convention de coordination entre le centre de coordination francophone pour la formation en médecine générale et le candidat médecin généraliste, ainsi que (iii) une convention de maîtrise de stage entre ce même centre et le maître de stage.

Le médecin informe le Centre du litige aux fins de lui demander son intervention.

En fin de compte, le maître de stage demande à la stagiaire de rendre les clés du cabinet et signifie la fin des relations professionnelles.

Des discussions interviennent, et ce avec le centre de formation.

Elles n’aboutissent pas et une procédure est lancée devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. L’intéressée demande une indemnité de rupture de 6 mois de rémunération ou de dommages et intérêts équivalents, ainsi qu’une indemnité de protection du même montant pour protection de la maternité et discrimination, notamment.

Le tribunal du travail a débouté l’intéressée de sa demande par jugement du 5 octobre 2015.

Appel est interjeté devant la cour du travail.

La décision de la cour

La cour définit, en premier lieu, la convention litigieuse. Un arrêté royal du 21 mai 1983 fixe les modalités de l’agrément des médecins spécialistes et des médecins généralistes. Il a été modifié par un arrêté du 17 juillet 2009. En vertu de cette réglementation, les médecins généralistes doivent accomplir un stage, celui-ci devant l’être chez un maître de stage ou au sein d’un service de stage agréé. La convention de formation qui a été signée est conforme à la réglementation. Il est prévu dans la convention de coordination entre le candidat et l’A.S.B.L. que cette dernière engage le candidat et lui verse un salaire mensuel. Quant au maître de stage, il verse au Centre une contribution financière mensuelle.

La cour relève que le statut des candidats médecins est ainsi un statut « sui generis ». Il s’apparente à un statut d’indépendant, auquel sont applicables certains secteurs de la sécurité sociale (premier mois de salaire garanti, allocations de mutuelle en cas de maladie, allocations d’invalidité, allocations familiales, allocation de naissance, congé de maternité et de paternité). Les autres secteurs sont exclus (chômage et pension). Dans cette relation de travail « sui generis », le Centre est chargé de la rémunération et perçoit à la fois une contribution du maître de stage et des subsides du Gouvernement fédéral. Il verse, en outre, les cotisations pour les prestations sociales ci-dessus et, notamment, des primes d’assurances (responsabilité professionnelle et accident du travail).

La cour examine dès lors si l’intéressée, qui réclame une indemnité compensatoire de préavis sur la base de l’article 40 de la loi du 3 juillet 1978 (contrat à durée déterminée ou pour un travail nettement défini), est fondée à le faire. Après avoir rappelé les principes inhérents au contrat de travail (exigence d’une rémunération, d’un travail et de prestations sous l’autorité de l’employeur), elle rappelle que le contrat de stage se distingue du contrat de travail en ce qu’il a essentiellement pour objet de permettre au stagiaire d’apprendre une profession ou d’acquérir une expérience pratique professionnelle (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 avril 1982, J.T.T., 1983, p. 383). La distinction s’opère en fonction de la finalité poursuivie.

Il en découle, pour la cour, que l’on n’est pas en présence d’un contrat de travail, puisque les candidats médecins effectuent des prestations de travail dans le but d’acquérir une formation professionnelle. La loi du 3 juillet 1978 n’est dès lors pas applicable à la relation de stage, ni en ce qu’elle concerne le maître de stage ni pour ce qui est du centre de formation.

Le premier chef de demande d’indemnité portant alternativement sur une indemnité compensatoire de préavis ou des dommages et intérêts, la cour en vient à l’examen des articles 1134 et 1147 du Code civil, l’intéressée estimant que le maître de stage a commis une faute en rompant la convention, dans la mesure où il n’établit ni une force majeure, ni une faute grave, ni l’accord mutuel des parties. Le Centre a également commis une faute en donnant son accord.

Examinant les discussions entre parties, la cour retient la volonté du maître de stage de mettre fin à la convention de formation d’un commun accord, processus dans lequel il a associé le centre de formation conformément à la réglementation et aux clauses conventionnelles. Même si aucun accord formel n’a été conclu, la cour dégage l’existence de celui-ci de la suite des relations de travail (la stagiaire ayant entamé un autre plan de stage auprès d’une autre institution). En outre, un recours existe auprès de la chambre compétente de la Commission d’agrément et ce recours n’a pas été exercé.

Enfin, la cour relève que l’intéressée n’établit pas le dommage qu’elle vante.

Pour ce qui est du chef de demande relatif à la protection en cas de maternité, la cour constate en quelques attendus que les conditions de l’article 40 de la loi sur le travail ne sont pas remplies, dans la mesure où il n’y a pas d’acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail. La cour rappelle encore le caractère « sui generis » de la relation triangulaire, le maître de stage n’étant pas l’employeur de l’intéressée.

Enfin, sur la question de l’indemnité postulée sur la base de la loi anti-discrimination du 10 mai 2007, certes, la décision de licencier une personne en raison de son sexe constitue une discrimination interdite par la loi (à moins que cette décision ne soit justifiée par une exigence professionnelle, essentielle et déterminante) mais, pour qu’il y ait discrimination interdite, il faut qu’il y ait un licenciement. Or, il n’a jamais été mis fin au contrat qui liait la stagiaire au centre de formation, puisque, après son congé de maladie, celle-ci a signé une nouvelle convention de formation en hôpital.

La cour confirme dès lors le jugement.

L’on notera qu’elle confirme de même la condamnation aux dépens, l’indemnité de procédure étant de 2.200 euros par défendeur (le maître de stage et l’A.S.B.L.) et par instance.

Intérêt de la décision

Le statut social des candidats médecins est, ainsi que le relève la cour du travail, hybride, ce qui en fait une situation « sui generis ». Certains aspects se rapprochent des éléments du contrat de travail (ainsi, en l’espèce, les mentions « employée » qui ont été rencontrées au dossier), ainsi que sur le plan de la sécurité sociale, puisque le stagiaire peut bénéficier de certaines prestations sociales. L’on notera que les cotisations pour le secteur chômage et le secteur pension ne sont pas prévues, les risques couverts étant les risques immédiats (incapacité liée ou non à un risque professionnel, allocations familiales et allocations assimilées).

En l’occurrence, la procédure introduite était essentiellement axée sur l’existence d’un contrat de travail et la cour a rejeté celui-ci, rappelant la jurisprudence ancienne de la Cour de cassation (arrêt du 22 avril 1982, cité – voir J.T.T., 1983, p. 383).


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