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Prélèvement sur les revenus du capital en vue du financement de la sécurité sociale d’un Etat membre

Commentaire de C.J.U.E., 18 janvier 2018, Aff. n° C-45/17 (JAHIN c/ MINISTERE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES et MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTE)

Mis en ligne le vendredi 3 août 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 18 janvier 2018, Aff. n° C-45/17 (JAHIN c/ MINISTÈRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES et MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTE)

Terra Laboris

Par arrêt du 18 janvier 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne examine, à partir des articles 63 et 65 T.F.U.E. (relatifs à la libre circulation des capitaux), la justification de la différence de traitement entre les ressortissants d’un Etat de l’Union européenne affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre et ceux assujettis dans un Etat tiers.

Rétroactes

Un ressortissant français, résidant en Chine, est affilié dans ce pays à un régime privé de sécurité sociale. Entre les années 2012 et 2014, il est soumis, en France, à des prélèvements portant sur des revenus fonciers (ainsi que sur une plus-value immobilière).

Suite à l’arrêt DE RUYTER du 26 février 2015 (C.J.U.E., 26 février 2015, Aff. n° C-623/13), il a été jugé que ce type de prélèvements, qui présenteraient un lien direct et pertinent avec certaines branches de la sécurité sociale au sens de l’article 4 du Règlement n° 1408/71, relèvent de ce Règlement. Ils sont soumis au principe de l’unicité de la législation applicable, même s’il s’agit de revenus du patrimoine indépendants de l’exercice d’une activité professionnelle. En conséquence, le Conseil d’Etat de France (juridiction de renvoi) a considéré que toute personne affiliée à un régime de sécurité sociale dans un autre Etat membre était fondée à demander la décharge de ces prélèvements.

Le demandeur en la présente affaire a contesté devant le Conseil d’Etat que ce droit au remboursement soit réservé aux seules personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre (ou EEE ou Confédération suisse) et que n’en bénéficieraient ainsi pas les personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale dans un Etat tiers.

Le Conseil d’Etat français a dès lors posé à la Cour deux questions préjudicielles.

Les questions préjudicielles

Les questions sont longues, la première visant le point de savoir si la situation visée ne constitue pas une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers (restriction interdite par l’article 63 du T.F.U.E.) et la seconde (en cas de réponse positive à la première question) demandant si une telle situation serait compatible avec les articles 64 et 65, § 1er, du Traité, vu qu’une distinction serait ainsi introduite entre des contribuables qui ne se trouveraient pas dans la même situation au regard du critère tiré de l’affiliation à un régime de sécurité sociale.

La Cour doit ainsi vérifier si un ressortissant d’un Etat membre, qui réside dans un Etat tiers autre qu’un Etat de l’Union (ou EEE ou Confédération suisse) et est affilié à un régime de sécurité sociale peut, dans l’Etat membre, faire l’objet de prélèvements sur les revenus du capital au titre de cotisations au régime de sécurité sociale, alors qu’un ressortissant de l’Union, qui relèverait d’un régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre, en serait exonéré, vu le principe de l’unicité de la législation applicable, s’agissant d’une restriction prohibée aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers.

La décision de la Cour

La Cour fait un rappel des principes en ce qui concernent les restrictions en matière de mouvements de capitaux. La libre circulation des capitaux s’étend aux mouvements non seulement entre Etats membres, mais également entre ceux-ci et les Etats tiers. Il faut entendre par là, dans la jurisprudence de la Cour, notamment les opérations par lesquelles des non-résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire d’un Etat membre. La situation visée relève dès lors bien de cette notion telle que définie à l’article 63 T.F.U.E.

La Cour rappelle que les restrictions prohibées visent notamment celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un Etat membre ou de ceux d’un tel Etat d’en faire dans d’autres.

En l’occurrence, un traitement fiscal plus favorable est réservé aux ressortissants de l’Union, qui sont exonérés de ces prélèvements. Il s’agit dès lors d’une restriction au principe de la libre circulation des capitaux.

La Cour en vient ensuite à l’examen de la justification de celle-ci, justification qui doit être interprétée strictement, s’agissant d’une dérogation au principe.

La Cour rappelle qu’une distinction doit être opérée entre des traitements inégaux autorisés au titre de l’article 65, § 1er, T.U.E., et les discriminations arbitraires, prohibées en vertu de cette même disposition en son § 3. La question se pose de la comparabilité de la situation dans laquelle se trouve le ressortissant d’un Etat de l’Union affilié à un régime de sécurité sociale d’un autre Etat avec celui qui résiderait dans un Etat tiers (hors EEE ou Confédération suisse), où il est affilié à un régime de sécurité sociale.

La Cour rappelle que le fondement du principe d’unicité de la législation applicable, qui concerne les ressortissants de l’Union se déplaçant à l’intérieur de celle-ci, vise à éviter les complications pouvant résulter de l’application simultanée de plusieurs législations nationales et à éviter les cumuls de législations applicables.

Dans la mesure où seul le ressortissant de l’Union affilié à un régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre est susceptible de bénéficier du principe d’unicité de la législation s’il se déplace à l’intérieur de l’Union, il y a une différence objective avec la situation d’un résident dans un Etat tiers. Par contre, il n’y a pas de différence objective avec un ressortissant d’un Etat membre qui n’exerce pas son droit à la libre circulation à l’intérieur de l’Union, aucun des deux ne pouvant invoquer le bénéfice du principe d’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale. La justification de la mesure est dès lors admise, vu la différence de situation objective.

La Cour précise encore que raisonner autrement aboutirait à faire bénéficier un ressortissant d’un Etat membre qui réside dans un Etat tiers du principe de l’unicité de la législation applicable. Or, celui-ci ne vaut que pour les ressortissants d’un des Etats membres soumis à la législation sociale d’un ou de plusieurs de ceux-ci.

La Cour conclut dès lors que les articles 63 et 65 ne s’opposent pas à la législation qui autorise ces prélèvements sur les revenus du capital au titre de cotisations au régime de sécurité sociale instaurés par l’Etat membre.

Intérêt de la décision

Le test de comparabilité, auquel la Cour procède en l’espèce, rappelle qu’il doit porter sur la situation de ressortissants d’un Etat membre exerçant leur droit à la libre circulation. Ceux-ci bénéficient, en effet, du principe de l’unicité de la législation sociale applicable. Dès lors que ce droit n’est pas exercé, le bénéfice de ce principe ne peut être invoqué. La Cour précise encore que, le Traité F.U.E. ne comportant aucune disposition étendant la libre circulation des travailleurs aux personnes qui migrent vers un Etat tiers, il faut éviter que l’interprétation qui serait donnée à l’article 63, § 1er, T.F.U.E., permette à des personnes dans cette situation de tirer profit de ce principe.

L’examen des normes relatives à la libre circulation des capitaux ne dépasse ainsi, dans ce type de litige, pas celui de la libre circulation des travailleurs.


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