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Allocations de chômage au taux de travailleur ayant charge de famille : la question du conjoint gérant de société

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 décembre 2017, R.G. 2016/AB/684

Mis en ligne le vendredi 3 août 2018


Cour du travail de Bruxelles, 6 décembre 2017, R.G. 2016/AB/684

Terra Laboris

Par arrêt du 6 décembre 2017, rendu par la Cour du travail de Bruxelles, le principe de la distinction à opérer entre revenus professionnels, mobiliers et immobiliers au sens de l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 est rappelé, avec ses conséquences sur le taux des allocations de chômage.

Les faits

Alors qu’il ne bénéficiait pas encore d’allocations de chômage, un assuré social constitue une SPRL dont il détient le capital social. Il est ensuite nommé gérant de celle-ci. Il s’agit d’activités de consultance et de soutien aux entreprises.

Il démissionne de son mandat près de trois mois plus tard et son épouse devient gérante. Son mandat est exercé à titre gratuit.

L’intéressé sollicite, trois mois plus tard encore, le bénéfice des allocations de chômage et il précise, lors de son inscription, sur le C1, qu’il n’a pas d’activité professionnelle et cohabite avec son épouse. Des confirmations ultérieures interviennent.

Dix ans plus tard, soit en 2014, une enquête ayant été ouverte par l’ONEm, il est amené à donner des explications.

L’Office considère en effet que, en sa qualité de gérante, l’épouse a une activité professionnelle et que, de ce fait, le taux des allocations perçues (chef de famille) était incorrect.

Il expose qu’il y a gratuité du mandat, l’épouse n’étant par ailleurs pas active dans la société mais étant considérée dans le cadre du statut social des travailleurs indépendants comme indépendante complémentaire assimilée vu cette absence de revenus. Cette reconnaissance implique qu’elle ne paie pas de cotisations.

L’ONEm prend une décision d’exclusion en tant que travailleur avec charge de famille, pour toute la période concernée, et inflige une sanction de dix semaines. Il se fonde essentiellement sur les déclarations du C1.

Suite à un recours introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, l’intéressé obtient gain de cause par jugement du 3 juin 2016.

L’ONEm interjette appel de cette décision.

La décision de la cour

La cour rappelle les conditions permettant de bénéficier du taux des allocations de chômage en tant que travailleur ayant charge de famille. Cette qualité peut être admise s’il y a cohabitation avec un conjoint à la condition que celui-ci ne dispose ni de revenus professionnels ni de revenus de remplacement. Les revenus professionnels sont ceux qui proviennent d’une activité professionnelle (ainsi que ceux visés à l’article 46, §§ 1er et 2, de l’arrêté royal). En d’autres termes, ni les revenus mobiliers ni les revenus immobiliers ne sont visés.

Pour fonder sa thèse selon laquelle existent des revenus professionnels, l’ONEm fait valoir l’existence d’avantages en nature.

La cour rappelle que le fait d’être titulaire d’un mandat social ne signifie pas nécessairement qu’il y a exercice d’une activité professionnelle indépendante. La cour reprend les principes en la matière et, notamment, la possibilité de renverser la présomption légale.

S’il est établi que le mandat n’était effectivement pas rémunéré, tel sera le cas, mais à la condition d’établir à la fois la gratuité en droit et la gratuité en fait.

En l’espèce, il y a gratuité en droit.

En ce qui concerne la gratuité en fait, il n’y a pas eu de rémunération versée. Se pose cependant la question des avantages en nature, sur laquelle l’ONEm considère qu’il appartient à l’intéressé d’établir que ceux-ci étaient inexistants. La cour examine les éléments qui lui sont soumis. Elle retient l’existence d’un véhicule, pendant une période déterminée, mais celui-ci fait « double emploi » avec un véhicule qui lui est propre. Il n’y a dès lors pas de mise à disposition d’une voiture par la société.

Quant à la prise en charge de certains frais par la société, la cour ne considère pas celle-ci comme des avantages en nature. Elle souligne qu’un loyer aurait pu être réclamé à la SPRL (ce qui n’a pas été le cas). La cour conclut à l’existence d’une gratuité en fait.

Pour ce qui est de la détention de quelques parts sociales (2 sur 10), il ne s’agit pas d’un revenu professionnel. Les dividendes éventuels devraient par ailleurs être considérés comme des revenus mobiliers et non des revenus professionnels au sens de la réglementation en matière de chômage.

La cour souligne encore qu’elle ne voit pas comment l’épouse aurait pu réaliser une plus-value et relève qu’une plus-value latente et non réalisée n’est pas un revenu. Etant par ailleurs liée à la détention du mandat social et non à l’exercice du mandat, elle ne pourrait – si elle existait – être considérée comme un revenu professionnel.

Il en découle qu’il y a absence de revenus professionnels au sens de l’article 110, § 1er, 1°, de l’arrêté organique.

L’intéressé devait dès lors – et à bon droit – avoir la qualité de travailleur ayant charge de famille.

Intérêt de la décision

La question de la perception de revenus professionnels par des mandataires de société est la plupart du temps examinée à partir de l’assuré social. La particularité de l’espèce est qu’il faut examiner l’existence de tels revenus dans le chef du conjoint, et ce via les règles de l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Celui-ci conditionne en effet le taux des allocations de chômage à l’existence d’une situation de cohabitation bien définie.

Le chômeur doit, pour conserver cette qualité, être en cohabitation avec un conjoint qui ne dispose ni de revenus professionnels ni de revenus de remplacement.

L’arrêt commenté fait à juste titre la distinction, parmi les revenus susceptibles d’être perçus, entre ceux de nature professionnelle, mobilière ou immobilière. Il réserve également quelques considérations utiles à la notion de plus-value.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’il résulte des articles 60 et 61 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 qu’en cas de perception de revenus de remplacement (indemnités AMI ou allocations de chômage) dans le chef du conjoint d’un bénéficiaire d’allocations de chômage, celui-ci ne peut se voir reconnaître la qualité de travailleur ayant charge de famille. Cette règle s’applique indépendamment du montant des indemnités et allocations elles-mêmes. Les indemnités d’incapacité et les allocations de chômage doivent être prises en compte peu importe leur montant (contrairement aux pensions et autres situations mises sur le même pied). Par ailleurs, pour l’application du seuil autorisé de revenus d’une activité salariée, il faut que le conjoint ne perçoive pas de revenus de remplacement (C. trav. Brux., 6 janvier 2016, R.G. 2014/AB/222). Il y a dès lors lieu d’être également très attentif en cas de perception de revenus de remplacement.


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