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Contrôle du motif de licenciement : quid des motifs donnés successivement ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 mars 2018, R.G. 2016/AB/279

Mis en ligne le vendredi 31 août 2018


Cour du travail de Bruxelles, 26 mars 2018, R.G. 2016/AB/279

Terra Laboris

Dans un arrêt du 26 mars 2018, statuant dans le cadre de l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles dégagées en doctrine en ce qui concerne la justification du licenciement d’un ouvrier au sens des exigences de l’article 63 du 3 juillet 1978, article dont les principes ont été, sur le plan des motifs, prolongés dans la C.C.T. n° 109.

Les faits

Un ouvrier a été engagé par une société en 1984 en tant que rejointoyeur. Celle-ci le licencie en février 2012, lui payant une indemnité de rupture de 56 jours et le libérant de ses prestations sur le champ. Le motif du licenciement figurant sur le C4 est « réorganisation de l’entreprise ».

Des discussions sont menées, à l’initiative de l’organisation syndicale. L’employeur répond que l’intéressé avait bénéficié d’une « protection » pendant de longues années, au sein de l’entreprise, un membre de sa famille ayant également été occupé et ayant couvert certains agissements. Ceux-ci auraient été découverts ultérieurement, étant le non-respect des consignes des clients, des remarques, ainsi que de mauvais rapports avec ses collègues, etc. La société fait également état de la perte de chantiers et invoque l’obligation qui lui a été faite en conséquence de procéder à une réorganisation. Dans le cadre de celle-ci, des consignes spécifiques avaient été données à l’intéressé et, vu l’échec des mesures mises en place, son licenciement a été décidé.

L’intéressé, contestant le motif, introduit une procédure devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui, par jugement du 6 octobre 2014, fait droit à sa demande, au motif que la société ne prouvait pas que le licenciement était régulier, tant sur le plan des nécessités de l’entreprise que sur celui de l’aptitude ou de la conduite du travailleur. Le tribunal a reproché à l’employeur de ne pas justifier valablement les reproches formulés.

La société a interjeté appel, dans la mesure où elle maintenait son point de vue initial, faisant valoir d’abord une mauvaise appréciation des faits par le tribunal, l’inconstitutionnalité de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et, enfin, la perte de clients et des difficultés économiques et financières ayant entraîné l’obligation pour elle de licencier deux personnes, dont l’intéressé.

La décision de la cour

La cour reprend un examen des règles applicables.

La première question abordée est celle relative à l’inconstitutionnalité de la disposition légale, la société s’appuyant sur l’arrêt n° 187/2014 de la Cour constitutionnelle du 18 décembre 2014. La cour du travail rappelle cependant que, si la question de l’inconstitutionnalité de la disposition a reçu une réponse affirmative, la Cour a cependant considéré que les effets de celle-ci devaient être maintenus jusqu’au 1er avril 2014.

Sur la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut décider du maintien d’une norme législative jugée inconstitutionnelle, et ce pendant un temps délimité, la cour du travail considère que, si existe de la jurisprudence qui a conclu qu’elle ne peut s’arroger un tel pouvoir, que la loi lui a dénié, il est cependant admis qu’elle peut moduler l’effet dans le temps de ses arrêts rendus sur question préjudicielle, et ce vu l’article 28, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Par ailleurs, la Cour de cassation a rappelé à diverses reprises (dont Cass., 5 février 2016, n° C.15.0011.F) que les arrêts de la Cour constitutionnelle ont valeur déclaratoire et qu’ils s’imposent à la juridiction qui a posé la question préjudicielle, de même qu’à celle qui est confrontée à une question ayant un objet identique.

Sur la motivation elle-même, la cour se livre également à des développements en droit. L’employeur fait en effet état, à titre subsidiaire, dans les conclusions déposées devant elle, de difficultés économiques et financières de l’activité de rejointoiement, ayant entraîné la nécessité de réduction du personnel.

Il s’agit de vérifier dans quelle mesure ce motif, qui n’est pas celui qui a été donné à l’organisation syndicale, peut être admis. Il avait en effet été fait état à l’époque d’une modification du type de travaux effectués par la société (réorientation vers des travaux extérieurs plutôt qu’intérieurs), mais les difficultés n’avaient nullement été abordées. Au contraire, c’était essentiellement l’attitude du travailleur qui était mise en avant.

Pour la cour, le licenciement, d’abord lié à la conduite et l’aptitude, est devenu un licenciement fondé sur les nécessités de l’entreprise.

Tout en relevant que l’un n’exclut pas nécessairement l’autre, elle reprend la doctrine de Ch.-E. CLESSE (Ch.-E. CLESSE, Le licenciement abusif : chronique de jurisprudence 1990-2003, Kluwer, Bruxelles, 2004, p. 34), selon laquelle il appartient au juge de déterminer la cause réelle du licenciement, ainsi que de rechercher l’exactitude de la cause invoquée et de constater si les moyens de preuve existent ou non.

Les explications tardives ou soulevées « à titre subsidiaire », en vue de pallier l’insuffisance d’une démonstration antérieure portant sur les « premiers motifs », ont été considérées comme suspectes, le juge pouvant considérer celles-ci comme peu plausibles (B.H. VINCENT, « Et l’indemnité de licenciement abusif de l’ouvrier ? », Ors., 2002, p. 111 – cette doctrine citant un arrêt de la Cour du travail de Mons, qui a dénié toute crédibilité à un argument d’inaptitude invoqué après un premier motif, nullement établi, relatif à une restructuration).

La cour va dès lors examiner l’ensemble des motifs invoqués et, comme le premier juge, considérer que celui lié à la conduite ou à l’aptitude n’est nullement justifié ni établi.

Sur le plan des nécessités de fonctionnement, la société n’établit pas ce motif non plus.

La cour confirme dès lors le jugement, rejetant l’appel.

Intérêt de la décision

L’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 ne faisait nullement obligation à l’employeur d’énoncer les motifs du licenciement. La seule sanction admise en jurisprudence était que, en cas de défaut de communication, l’employeur pouvait être condamné aux dépens d’une instance qui aurait elle révélé les éléments permettant de justifier valablement la rupture du contrat à partir des hypothèses autorisées par l’article 63 (hypothèse de la procédure qui aurait pu être évitée).

Dans le cadre de la C.C.T. n° 109, se pose régulièrement la question de savoir si les motifs concrets qui ont été donnés par l’employeur à la demande du travailleur dans les délais fixés par le texte constituent les seuls motifs pouvant être invoqués. La jurisprudence n’est pas fixée quant à la réponse à donner à cette question.

Rappelons à cet égard que le Rapport au Roi indique qu’il y a lieu d’obtenir un aperçu des motifs qui ont été à la base du licenciement. Les motifs ne peuvent dès lors consister en une formule stéréotypée. Le travailleur doit en effet pouvoir saisir à partir des motifs donnés les raisons qui ont mené au licenciement et apprécier l’opportunité d’un contrôle judiciaire. Dans un jugement du 10 janvier 2017 (Trib. trav. Liège, div. Arlon, 10 janvier 2017, R.G. 16/110/A), il a ainsi été admis que des motifs d’irrespect, d’injures, de tentative de vol, de refus d’obéir, d’impossibilité chronique de diriger le travailleur ne permettent ni à celui-ci ni au tribunal de savoir ce qui est reproché. Par ailleurs, dans un autre jugement (Trib. trav. fr. Bruxelles, 7 septembre 2016, R.G. 15/1.281/A), l’on peut lire que la motivation, même assez sommaire ou peu circonstanciée, n’est pas interdite. L’objectif des partenaires sociaux n’a pas été d’instaurer un débat juridique systématique sur le contenu de la motivation, seuls les abus manifestes devant être sanctionnés. En cas de motivation imprécise ayant peu de lien avec le licenciement, le contrôle judiciaire en deviendra cependant plus rigoureux, tant sur l’exactitude des motifs valables que sur la vérification du lien causal avec le licenciement.


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