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Retards répétés : motif grave ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 avril 2018, R.G. 2018/AB/168

Mis en ligne le vendredi 31 août 2018


Cour du travail de Bruxelles, 19 avril 2018, R.G. 2018/AB/168

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 avril 2018, portant sur une demande d’autorisation de licenciement d’un travail protégé au sens de la loi du 19 mars 1991, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, si des manquements d’un travailleur peuvent être considérés comme présentant un niveau de gravité certain, ils ne justifient pas nécessairement le licenciement pour motif grave.

Les faits

Un employé au service d’un grand hôtel de la ville de Bruxelles, présentant au moment des faits une ancienneté d’environ 15 ans, fait l’objet d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif grave, suite à des retards répétés. Il s’est présenté aux élections sociales de 2012 et 2016, sans cependant être élu. Il exerce les fonctions de gouvernant d’étage (« floor supervisor ») et, dans le cadre de cette fonction, il est chargé de distribuer le travail quotidien au personnel d’étage, ainsi que de superviser celui-ci et d’intervenir en support.

Les fonctions exercées sont réparties selon quatre horaires distincts, horaires affichés. Le mode d’organisation instauré dans l’hôtel fait en sorte que deux gouvernants d’étage sont présents chaque jour en semaine et un seul le week-end.

Entre 2011 et 2015, l’intéressé a accusé quelques retards et a reçu des avertissements écrits. La situation s’est reproduite en 2016 et il a, à ce moment, été informé du fait qu’à défaut pour lui de respecter scrupuleusement son horaire de travail, la direction considérerait qu’il y a motif grave. Suite à deux nouveaux retards en 2016, la société a introduit la procédure, dans laquelle elle fait valoir à la fois les retards en cause, pour lesquels des avertissements ont été donnés, ainsi que d’autres manquements (absences injustifiées, départs anticipés, etc.). La société y ajoute des comportements inadéquats (manque de respect vis-à-vis des femmes de chambre, etc.).

Pour la société, il y a insubordination ainsi qu’un manque de considération pour l’employeur et les collègues, de même encore qu’un manque de conscience professionnelle, ces éléments rendant définitivement impossible toute collaboration professionnelle.

La décision du tribunal

Le tribunal a ordonné des enquêtes et, suite à celles-ci, il a conclu à l’absence de motif grave et a rejeté la demande de la société.

Celle-ci interjette appel.

La décision de la cour

Pour la cour, il y a lieu de confirmer le jugement. Elle le fait, cependant, sur la base d’autres motifs que ceux retenus par le premier juge.

L’appel porte uniquement sur l’appréciation du caractère fautif et de la gravité des retards et absences.

Renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 20 novembre 2006, J.T.T., 2007, p. 190), la cour rappelle que le motif grave ne peut pas être apprécié de manière abstraite et que le fait qui peut justifier celui-ci est le fait accompagné de toutes les circonstances qui sont de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave.

La cour examine dès lors les retards en cause. Pour l’un d’entre eux, il y avait maladie de la fille de l’intéressé, qui a impliqué une consultation médicale en pleine nuit. Le retard n’est en conséquence pas qualifié de fautif. Pour ce qui est des autres, ils ont ce caractère, puisque le travailleur doit, en exécution de l’article 17, 1°, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, exécuter son travail selon l’horaire convenu.

En l’espèce, la fonction exercée accentue, pour la cour, le caractère fautif des retards et des absences, vu les responsabilités qu’elle comporte, notamment pour ce qui est de la répartition du travail entre le personnel d’étage. Ceci est susceptible de perturber l’organisation du service, même s’il peut toujours être fait appel à un autre superviseur et qu’une solution de remplacement peut être trouvée. Ces retards ont des conséquences directes évidentes sur le travail de toute l’équipe.

Interviennent dans l’appréciation du motif, à la fois l’ensemble des retards, ainsi que leur répétition. En ce qui concerne les avertissements, certains doivent être écartés, dans la mesure où le règlement de travail prévoit qu’ils ne valent au dossier du travailleur que pour une période de 12 mois et qu’ils sont retirés ensuite pour peu qu’aucune sanction n’ait été prononcée entre-temps. La cour ne retient dès lors que certains d’entre eux.

Le premier est relatif à une incapacité de travail, pour laquelle le travailleur n’a pas averti son employeur avant 8 heures du matin. Examinant les autres, la cour relève cependant qu’ils sont espacés dans le temps et que le comportement reproché – même s’il s’est produit à plusieurs reprises au fil des ans – ne peut être retenu comme ayant un caractère habituel.

Elle écarte par ailleurs le grief d’insubordination, vu que le refus de l’autorité de la hiérarchie n’est nullement établi. La cour conclut plutôt à de la négligence et considère que celle-ci présente un degré de gravité certain, vu les antécédents, mais qu’elle n’est pas suffisamment importante pour empêcher immédiatement et définitivement la poursuite de la relation de travail.

Elle confirme dès lors le dispositif du jugement attaqué, mais pour d’autres motifs.

Intérêt de la décision

Même si le rappel des principes est bref, la cour du travail effectue un examen du motif grave à partir des principes consacrés relatifs à son appréciation. Il faut prendre en considération l’ensemble des éléments de fait relatifs à l’acte lui-même et au contexte dans lequel il a été posé. Le fait est par ailleurs à prendre en compte avec toutes les circonstances qui l’accompagnent et qui sont de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave.

La question des retards est fréquente en la matière, la cour relevant cependant en l’espèce que, même si les circonstances particulières de la fonction sont de nature à aggraver le manquement, il n’y a que de simples négligences, qui ne peuvent être assimilées à une insubordination.

Par ailleurs, plusieurs des manquements reprochés étaient relatifs à une omission dans le chef du travailleur de signaler l’incapacité de travail ou une absence sans justification. Pour ces dernières, il peut être rappelé que, dans un arrêt du 3 juin 2015 (C. trav. Bruxelles, 3 juin 2015, R.G. 2013/AB/585), la Cour du travail de Bruxelles a considéré que, si une simple absence sans justification ne constitue en règle pas un motif grave de rupture, il n’en va pas de même lorsqu’elle est d’une certaine durée ou si une mise en demeure circonstanciée a été adressée par l’employeur, ou encore s’il ne s’agit pas d’un premier fait du même type.

En tout état de cause, le juge appréciera la gravité particulière du manquement eu égard à toutes les circonstances de l’espèce.


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