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Accident du travail (secteur public) : présence de la ligne hiérarchique aux opérations d’expertise ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 4 octobre 2017, R.G. 12/3.241/A

Mis en ligne le lundi 3 septembre 2018


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 4 octobre 2017, R.G. 12/3.241/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 4 octobre 2017, se fondant sur la Convention européenne des Droits de l’Homme, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) conclut que l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme consacre le droit pour l’employeur (en l’espèce) de pouvoir commenter toute pièce sur laquelle le juge va fonder son appréciation, mais pas forcément le droit d’assister à l’examen médical.

Les faits

Un policier a rentré une déclaration d’accident du travail, étant une agression lors d’une réunion du personnel, où il a été mis en cause et humilié en public. Il est tombé en incapacité de travail, la lésion diagnostiquée étant une pathologie psychique réactionnelle, associée à un état anxio-dépressif post-traumatique.

L’intéressé a, parallèlement, déposé une plainte motivée pour harcèlement.

Il introduit une procédure devant le tribunal du travail trois mois après le dépôt de la plainte, demandant la reconnaissance d’un accident du travail.

Sur les faits eux-mêmes, le tribunal a rendu un premier jugement, aux fins de tenir des enquêtes. Il est ressorti de celles-ci que les faits sont avérés et, en conséquence, le tribunal les a admis dans un deuxième jugement, considérant également qu’ils constituaient un événement soudain au sens de l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967. Un expert a été désigné. Un troisième jugement est intervenu, remplaçant l’expert, qui a décliné la mission.

L’expertise s’est ultérieurement tenue et un différend est alors apparu, vu la présence de la cheffe de corps de la Zone. En conséquence, s’agissant d’un incident d’expertise, une requête a été adressée au tribunal, demandant que celui-ci tranche la question et que le juge envisage de participer aux opérations d’expertise.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend essentiellement les principes dégagés par G. DE LEVAL (G. DE LEVAL, « Chapitre 2 : le principe du contradictoire et de l’égalité des armes », Droit judiciaire, tome II, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 40) et D. MOUGENOT (« Les mesures d’instruction », Droit judiciaire, tome II, Manuel de procédure civile, 2015, Bruxelles, Larcier, titre 5, p. 530).

Ces deux extraits de doctrine sont relatifs à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, étant que celle-ci a été amenée à préciser la notion de « contradictoire ».

Le Professeur DE LEVAL a résumé la position de la Cour comme suit : ce principe implique en principe la faculté pour les parties à un procès (pénal ou civil) de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision et de la discuter.

Ce principe, associé au respect des droits de la défense, revêt en droit belge le statut d’un principe général de droit.

Dans le cadre de mesures d’instruction, la contradiction doit également être assurée et, de manière générale, ce principe doit être appliqué non seulement lors de la discussion des résultats de la mesure d’instruction, mais également dans le cours d’exécution de celle-ci. Il y a donc un double moment où doit être possible la discussion contradictoire. N’est ainsi pas visé uniquement le dépôt du rapport, mais également (et surtout) le déroulement de l’expertise. Le respect du principe doit être vérifié par le juge en application de l’article 973 du Code judiciaire. La limite de l’exigence de la contradiction est l’obligation de se concilier avec le principe du finalisme procédural.

En cas de manquement, celui-ci peut être réparé, à la condition qu’il n’ait causé aucun grief.

Pour la Cour européenne des Droits de l’Homme, la notion de procès équitable implique en principe le droit pour les parties de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision et de la discuter. Dans son arrêt MARTINS SILVA c/ PORTUGAL (28 mai 2014, Req. n° 12959/10), arrêt rappelé par D. MOUGENOT, la Cour européenne a précisé qu’il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice et, renvoyant à diverses décisions de sa jurisprudence, celle-ci rappelle qu’elle a déjà statué à propos des expertises médicales. Ces expertises ressortissent à un domaine technique échappant à la connaissance des juges. Elles sont dès lors susceptibles d’influencer de manière prépondérante l’appréciation judiciaire des faits et constituent un élément de preuve essentiel qui doit pouvoir être efficacement commenté par les parties au litige.

Il ressort de cet examen effectué dans les divers arrêts de la Cour européenne cités que l’article 6 de la Convention consacre le droit de pouvoir commenter toute pièce sur laquelle le juge va fonder son appréciation, mais pas nécessairement le droit d’assister à l’examen médical. Il n’est dès lors pas adéquat, pour le tribunal, que la cheffe de corps soit présente aux opérations d’expertise. L’incident est dès lors vidé de la sorte, le tribunal précisant cependant qu’il ne participera pas aux opérations d’expertise elles-mêmes, ce qui lui avait également été demandé.

Intérêt de la décision

C’est par le rappel de l’importante jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme rendue dans le cadre de l’article 6 de la Convention, jurisprudence relative à la notion de procès équitable, que ce jugement est intéressant.

Dans sa jurisprudence, la Cour européenne a précisé que le principe du contradictoire vaut à la fois pour les observations et pièces présentées par les parties, mais également pour celles présentées par un magistrat indépendant (ainsi le Commissaire du Gouvernement) ou par une administration, ou encore par la juridiction auteure du jugement entrepris. Les divers arrêts consacrant ces principes sont rappelés.

Sur le plan procédural, la question posée au tribunal, étant que l’employeur s’était invité d’office à une séance d’expertise, peut – comme réglée en l’espèce – faire l’objet d’une demande adressée en cours d’expertise au tribunal, aux fins de faire vider l’incident.


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