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Les chauffeurs de taxis sont-ils rémunérés au pourboire ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2017, R.G. 2016/AB/569

Mis en ligne le lundi 3 septembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 21 décembre 2017, R.G. 2016/AB/569

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 décembre 2017, la cour du travail de Bruxelles accueille une action de l’O.N.S.S. postulant la condamnation d’une société de taxis au paiement des cotisations sur la base des salaires réellement payés à ses chauffeurs, alors qu’elle soutenait ne devoir retenir comme base de celles-ci qu’une rémunération forfaitaire.

Les faits

Une société active dans le secteur du taxi et établie en Région flamande est en litige avec l’O.N.S.S. Les faits remontent aux années 2001 à 2004.

Il est en effet apparu lors d’un contrôle qu’elle déclare pour ses chauffeurs une rémunération journalière forfaitaire, pour le calcul des cotisations sociales. Ce montant ne correspond pas avec le salaire réel payé aux travailleurs et figurant sur les comptes individuel, qui est plus élevé.

La déclaration d’une rémunération forfaitaire pour le calcul des cotisations n’est pas acceptée par l’inspecteur social, vu les dispositions prévues dans les conventions collectives de secteur, qui prévoient le calcul de la rémunération en tenant compte du pourcentage des recettes. Il considère que la société ne peut distinguer le montant journalier forfaitaire et le supplément, ce dernier étant considéré comme rémunération non soumise à cotisations. Ceci est par ailleurs en contradiction avec les dispositions relatives à la rémunération.

Il rappelle que la notion de rémunération forfaitaire avait été retenue pour une série de travailleurs pour lesquels il était difficile de déterminer le montant journalier perçu exactement et il prend pour exemple les travailleurs rémunérés au pourboire ou au pourcentage de service. Les chauffeurs de taxi ne peuvent, selon lui, leur être assimilés, vu les conventions collectives sectorielles sur la question.

La procédure

La société n’ayant pas suivi cet avis, le dossier a été transmis à l’O.N.S.S., qui a introduit plusieurs procédures devant le tribunal du travail. Les montants réclamés sont importants, s’agissant de plus de 110.000 euros.

La société a introduit pour sa part une demande reconventionnelle, considérant qu’elle aurait payé des cotisations en trop, revoyant, dans son calcul, le montant de la différence qu’elle applique entre le forfait pour une certaine catégorie de travailleurs (taxis, camionnettes) par rapport aux autres catégories.

Le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles a accueilli la demande de l’O.N.S.S. par un jugement du 22 février 2016. La demande reconventionnelle a été rejetée.

La société interjette dès lors appel sur l’ensemble des points du jugement.

La décision de la cour

La cour est amenée à reprendre l’article 14, § 1er, de la loi du 27 juin 1969 (dite « loi O.N.S.S. » dans l’arrêt) ainsi que l’article 23, 1er alinéa, de la loi du 29 juin 1981 contenant les principes généraux de la sécurité sociale. Ces dispositions renvoient en effet pour la notion de rémunération à l’article 2 de la loi du 10 avril 1965 sur la protection de la rémunération. Sont visés dans celle-ci les pourboires ou le pourcentage de service auquel le travailleur a droit en vertu de son engagement ou selon l’usage.

Des dispositions particulières ont été mises en œuvre par l’article 25 de l’arrêté royal d’exécution de la loi O.N.S.S. pour ce qui est du calcul des cotisations des travailleurs dont la rémunération consiste en tout ou en partie en de tels pourboires ou en un pourcentage de service.

La cour relève que, depuis le 1er avril 2007, cette réglementation ne subsiste plus que pour certaines fonctions du secteur Horeca (auxquelles il faut ajouter les travailleurs de l’agriculture et de l’horticulture). Jusqu’alors cependant, le système concernait les travailleurs manuels dont le salaire était en tout ou en partie composé de pourboires ou de pourcentage de service et, le litige concernant cette période, la cour énumère les catégories concernées ainsi que les salaires forfaitaires fixés dans l’arrêté ministériel du 21 décembre 2001 venu exécuter lui-même l’article 25 de l’arrêté royal.

Dans le secteur du taxi, la distinction était faite entre les chauffeurs de camionnette (pour lesquels existait ce salaire forfaitaire) et les chauffeurs de transport de personnes, pour lesquels le salaire forfaitaire avait déjà été supprimé bien auparavant. Cette catégorie de travailleurs n’était donc plus concernée, depuis lors, comme étant des travailleurs rémunérés totalement ou partiellement au pourboire ou au pourcentage de service. Le texte visait cependant également une catégorie qualifiée de ‘tous autres travailleurs’.

Pour la Cour, il faut examiner la situation des chauffeurs de taxis eu égard à la nature du pourboire qui est pratiqué dans le secteur. Celui-ci, correspondant à 20% du prix de la course, est lui-même compris dans le prix indiqué au taximètre. Il est donc devenu obligatoire. La cour renvoie, pour l’évolution du processus, à la doctrine de M. DE VOS (M. DE VOS, Loon naar Belgische arbeidsovereenkomstenrecht, Maklu, 2001, n° 494 et suivants). Le pourboire classique est centralisé par l’employeur via les paiements effectués par les clients et est redistribué. Consistant initialement en une gratification librement octroyée, occasionnellement et sur une base individuelle, le pourboire est actuellement compris dans le prix du service et a évolué en une indemnité obligatoire, standardisée et collectivisée. Il ne s’agit donc plus de pourboire au sens strict du terme.

Dans le secteur du taxi, la convention collective du 12 juin 2001 concernant les salaires minimums des chauffeurs fixe par ailleurs la rémunération de ceux-ci à un pourcentage (35 ou 36% des recettes brutes) affecté d’un coefficient de 0,8735 (afin de ne pas tenir compte de la TVA et des indemnités RGPT). Quant aux recettes brutes, elles sont égales au prix que la société facture aux clients, et ce conformément à la réglementation sur les taxis. Dans ce système, les pourboires éventuels ne sont pas redistribués aux chauffeurs de taxi. Il n’est dès lors pas satisfait, pour la cour, aux conditions d’application de l’article 25 de l’arrêté royal.

Intérêt de la décision

S’appuyant sur la doctrine de M. DE VOS, la cour rappelle dans cet arrêt l’évolution de la notion de pourboire, devenu, dans le secteur, une partie du prix du service automatiquement inclus dans le montant facturé aux clients.

Jusqu’au 1er avril 2007, l’article 25 visait, pour le secteur du taxi, des rémunérations forfaitaires pour les chauffeurs de camionnette, les chauffeurs de transport de personnes ayant, pour leur part, été exclus du système.

Actuellement, pour les catégories de travailleurs encore concernés, l’on peut préciser qu’un arrêté royal du 18 mars 2018 est venu simplifier la disposition, en supprimant la double indexation des rémunérations journalières forfaitaires telle que d’application auparavant. Le Rapport au Roi de l’arrêté royal précise qu’il s’agit d’abroger un certain nombre de dispositions devenues sans effet ou n’ayant pas été appliquées dans la pratique. Les rémunérations journalières forfaitaires ayant actuellement rattrapé leur retard d’indexation par rapport aux rémunérations sectorielles, le Gouvernement a estimé qu’il n’était plus souhaitable de maintenir ce mécanisme d’adaptation accélérée.


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