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Motif grave : manquement continu et délai de 3 jours pour licencier

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 15 janvier 2018, R.G. 16/1.195/A

Mis en ligne le vendredi 14 septembre 2018


Tribunal du travail de Liège, division Dinant, 15 janvier 2018, R.G. 16/1.195/A

Terra Laboris

Dans un jugement rendu le 15 janvier 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) reprend les principes dégagés par la Cour de cassation en matière de manquement continu, manquement dont la persistance doit être conciliée avec l’exigence du délai de 3 jours prévu à l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 pour licencier.

Les faits

Un directeur d’une institution hébergeant des personnes handicapées est licencié pour motif grave, suite à une démarche faite par plusieurs membres du personnel auprès du directeur général afin de dénoncer certains agissements (harcèlement sexuel via SMS, propos et gestes déplacés, etc.). Les travailleuses en cause avaient rapporté les mêmes techniques, étant, dans un premier temps, des flatteries et compliments et, dès lors qu’elles refusaient les avances du directeur, des menaces et la recherche de motifs de licenciement. Les intéressées vivaient, selon la lettre de licenciement, dans la peur de perdre leur emploi. Etaient également visés des faits de harcèlement moral.

Une procédure est introduite par l’intéressé, qui se fonde, en premier, sur le délai de 3 jours, étant que la date à laquelle les faits étaient supposés avoir été rapportés à l’employeur n’est pas plausible, l’ensemble des employés et résidents étant en camp pour toute la semaine. Dès lors qu’il s’agit d’un manquement continu, il appartient à l’employeur, selon le demandeur, de prouver que les faits persistaient encore 3 jours ouvrables avant la date du licenciement, ce qui n’est pas avéré.

Pour la partie défenderesse, il y a manquement continu lorsque des avertissements ou courriers de mise en demeure ont été transmis, mais non dans les faits de l’espèce, l’employeur apportant la preuve de ce qu’il avait été informé la veille de l’envoi de la lettre de licenciement.

La décision du tribunal

Le tribunal examine, en droit, le respect du délai, étant qu’il faut déterminer, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (le tribunal renvoyant à un ancien arrêt du 21 mars 1968, Pas., 1968, I, p. 897), où a été fixé le moment où le délai prend cours : c’est lorsque la connaissance est devenue certaine. La notion a été précisée ultérieurement, étant qu’il y a connaissance dans le chef de la partie qui donne congé lorsque celle-ci a une certitude suffisant à sa propre conviction et aussi à l’égard de l’autre partie et de la justice. Cette certitude porte sur l’existence du fait et des circonstances de nature à lui attribuer le caractère d’un motif grave.

Il faut une certitude suffisante de la réalité et de la gravité du fait entouré de toutes les circonstances de nature à lui attribuer ce caractère. En conséquence, l’employeur peut prendre toutes les mesures d’instruction permettant d’acquérir cette connaissance. Ceci ne signifie cependant pas que la connaissance au sens légal s’identifie à la possibilité pour l’employeur de se procurer les moyens de preuve du fait, ceci étant une autre question.

Ce n’est donc pas le fait lui-même ou la simple connaissance du fait fautif qui fait courir le délai, le tribunal soulignant que l’auteur de la rupture doit connaître les circonstances dans lesquelles le fait a été posé afin d’apprécier sa gravité éventuelle.

C’est une question de fait laissée à l’appréciation du juge du fond (et le tribunal renvoie ici également à un autre arrêt de la Cour de cassation, étant Cass., 19 juin 1974, Pas., 1974, I, p. 1074). Le contrôle judiciaire va porter, en cas de postposition éventuelle du point de départ, sur les justifications données par l’employeur quant à celle-ci, et le tribunal rappelle encore que ce dernier a la charge de la preuve à cet égard. Si le congé doit s’inscrire nécessairement dans l’immédiateté contenue dans l’intervalle de 3 jours ouvrables, il doit être décidé en s’assortissant des circonstances intrinsèques à l’espèce. Il ne pourra dès lors être différé par l’exécution de vérifications superflues et ne pourra non plus être donné dans la précipitation.

Plus particulièrement, pour ce qui est du manquement contenu, la Cour de cassation a statué à diverses reprises – et le tribunal renvoie à l’arrêt du 23 mai 2005 (Cass., 23 mai 2005, n° S.04.0138.F) –, étant qu’il faut retenir le moment à partir duquel le manquement en cours rend immédiatement et définitivement impossible la collaboration professionnelle, appréciation qui relève de l’employeur. C’est lui qui doit décider du moment où le manquement est – selon le jugement – devenu insupportable et où il rend définitivement et totalement impossible la poursuite du contrat de travail. Les critères à retenir et à apprécier par le juge sont que l’évaluation de l’employeur doit être pertinente et raisonnable.

Tel est le cas en l’espèce, vu les éléments apportés.

Quant à la précision des motifs, elle est également admise, l’employeur ayant clairement mentionné les faits de harcèlement sexuel visés, ayant cité le nom des différentes victimes et ayant en outre décrit la méthode employée et le moyen utilisé.

Sur le motif grave lui-même, le tribunal en rappelle les caractéristiques et souligne encore la hiérarchie retenue dans la gravité des fautes, ainsi que l’obligation pour l’employeur d’exercer son droit de licenciement-sanction avec pondération.

Les faits étant prouvés à suffisance, le tribunal admet le motif grave, soulignant encore que, dans l’appréciation de celui-ci, il faut tenir compte de la circonstance que le travailleur en cause est éducateur et qu’il se trouve dans une relation d’autorité et que l’intimidation sexuelle en paroles et en actes exercée par un supérieur hiérarchique a également été retenue comme constituant un abus d’autorité et une cause de rupture immédiate du lien de confiance, dans plusieurs décisions de jurisprudence.

Intérêt de la décision

En l’espèce, le tribunal a procédé à l’examen des principes guidant la notion du délai de 3 jours au sens de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 dans l’hypothèse d’un manquement continu, puisque celle-ci avait été soulevée par la partie demanderesse, qui avait assez spécieusement évoqué que l’employeur devait établir la persistance des faits 3 jours ouvrables avant la date du licenciement.

Ce n’est pas cette seule persistance qui a été prise en compte par la Cour de cassation dans les différents arrêts qu’elle a rendus à cet égard, mais la circonstance que le moment à partir duquel le manquement en cause rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle relève de l’appréciation de l’employeur. C’est le caractère de gravité du fait, à savoir son existence ainsi que les circonstances de nature à lui attribuer le caractère de motif grave, qui est apprécié par le tribunal. La Cour de cassation a rappelé à diverses reprises que l’employeur doit avoir ici une certitude suffisant à sa propre conviction et aussi à l’égard de l’autre partie et du juge. Le jugement commenté précise que le contrôle judiciaire portera sur la question de savoir si l’évaluation faite par l’employeur est pertinente et raisonnable.


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