Terralaboris asbl

Point de départ du délai de prescription en accident du travail

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 27 mars 2018, R.G. 2017/AN/101

Mis en ligne le vendredi 14 septembre 2018


Cour du travail de Liège, division Namur, 27 mars 2018, R.G. 2017/AN/101

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 mars 2018, la Cour du travail de Liège (division Namur) fait un rappel des principes en matière de prescription de l’action judiciaire en cas d’accident du travail. Son point de départ doit être fixé au début de l’incapacité. Il s’agit du moment où le droit à l’indemnité est né.

Les faits

Une déléguée commerciale d’une firme pharmaceutique expose que, le vendredi précédant le week-end de Pâques en 2013, en chargeant son coffre de produit pharmaceutiques, elle a perdu l’équilibre. Etant tombée, elle a ensuite ressenti une violente douleur lombaire. Elle a néanmoins continué sa journée et était en congé la semaine suivante, semaine pendant laquelle elle a vu son médecin, qui a rédigé un certificat d’incapacité à partir du lundi qui suit. Elle a ensuite été régulièrement en incapacité de travail pendant plusieurs mois, ayant repris le travail et ayant dû l’interrompre ensuite. Ce n’est que deux ans et demi après l’accident que l’employeur a établi la déclaration. Il décrit l’accident comme étant une perte d’équilibre et un faux mouvement. L’assureur a refusé son intervention.

Se posent deux questions, étant d’une part la prescription de l’action et, de l’autre, la preuve de l’accident lui-même.

Par jugement du 7 mars 2017 (précédemment commenté), le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) a débouté l’employée de sa demande.

Le jugement du Tribunal du travail de Liège (division Dinant)

Pour le tribunal, il y a prescription de l’action. L’incapacité de travail ayant débuté le 8 avril 2013 et l’action ayant été introduite par une requête du 7 avril 2016 – thèse de la demanderesse –, l’on ne peut suivre comme point de départ de la prescription le début de la période d’incapacité temporaire elle-même. La semaine précédente, soit du 1er au 5 avril, l’intéressée était en congé et, si elle n’a pas demandé à être couverte par un certificat médical – son médecin ayant été consulté le 4 avril –, l’incapacité existait déjà et la date du 8 avril constitue une date de prise de cours administrative eu égard aux mentions reprises par le certificat.

Le tribunal examine également subsidiairement le fond et rejette l’accident, au motif d’un manque de précision.

La décision de la cour

La cour rappelle le délai de trois ans prévu à l’article 69, alinéa 1er, de la loi du 10 avril 1971, délai applicable à toute indemnité quelle que soit sa dénomination ou son mode d’octroi, et ce qu’elle soit due par l’assureur ou le Fonds des Accidents du Travail (Cass., 19 juin 2006, n° S.05.0108.N). Lorsque la demande porte sur une indemnité d’incapacité de travail, le point de départ est le moment où le droit est né, c’est-à-dire le jour de début de celle-ci (renvoyant encore à la jurisprudence de la Cour de cassation, dont Cass., 8 février 1993). La prise de cours ne varie pas selon que la contestation porte sur l’applicabilité de la loi ou qu’elle concerne le degré ou la durée de l’incapacité, ou encore en cas de contestation ultérieure (principe dégagé dans le secteur public par un autre arrêt, rendu le 18 novembre 1996, n° S.95.0100.F). Il en va de même s’il s’agit d’une demande en paiement d’une indemnité pour incapacité temporaire ou incapacité permanente (arrêt du 7 septembre 1981). Il en va de même encore lorsqu’après une interruption, l’incapacité est suivie d’autres incapacités, fussent-elles sans lien avec la première (Cass., 4 octobre 1982, 81/63).

Pour la cour, l’incapacité de travail a débuté le 8 (et non le 9) avril 2013. Les prestations de travail n’ont pas été suspendues avant cette date pour des raisons médicales et aucun certificat ne fait état d’une incapacité avant celle-ci. La circonstance que le certificat ait été rédigé le 4 avril ne change rien à ce constat. La cour constate également que l’assureur retient comme début de l’incapacité de travail la date du 8.

Il n’y a dès lors pas prescription de la demande.

Sur l’existence de l’accident, la cour reprend les règles habituelles, étant d’abord celles liées au caractère de soudaineté que doit revêtir l’accident, et également à la notion d’exécution. S’agissant en l’espèce du cas spécifique d’un travailleur itinérant qui accomplit ses prestations au départ de son domicile, les premier et dernier trajets, c’est-à-dire ceux effectués à partir du domicile et jusqu’au retour à celui-ci, sont des trajets accomplis sous l’autorité de l’employeur (la cour renvoie encore à l’acception large donnée du fait de l’exécution du contrat, étant que l’accident est la réalisation d’un risque auquel la victime est exposée soit en raison de son activité professionnelle, soit en considération du milieu naturel technique ou humain dans lequel elle est placée).

Après avoir abordé les règles relatives au renversement du lien causal, la cour conclut, en l’espèce, qu’un fait est épinglé, les circonstances étant établies (le fait que le matin, alors qu’elle débutait sa journée de travail en chargeant à l’extérieur de sa maison les produits pharmaceutiques dans le coffre de sa voiture, l’intéressée a fait un faux mouvement et une chute, qui ont causé des lésions notamment lombaires).

Reste pour la cour à examiner la question de la déclaration tardive. Celle-ci est en outre peu précise et ne se fonde que sur les explications de l’intéressée. Pour la cour, le fait que l’accident n’ait fait l’objet d’une déclaration que bien après sa survenance ne peut remettre en cause les éléments figurant au dossier de nature à établir son existence. Il y a en effet une déclaration d’un voisin, la consultation du médecin-traitant, une déclaration de la mère de l’intéressée et d’autres points concordants.

Soulignant encore que l’assureur n’apporte aucun élément qui permettrait de remettre en cause la version présentée par l’intéressée, elle considère que la chute est établie. Enfin, dans la mesure où elle avait franchi la porte de son domicile pour commencer à charger son véhicule avant de partir en tournée, la chute est intervenue dans le cours de l’exercice des fonctions.

Un expert est dès lors désigné.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail, qui réforme le jugement rendu par le tribunal du travail de Liège (division Dinant) le 7 mars 2017, s’appuie sur de nombreux arrêts de la Cour de cassation, selon lesquels le point de départ du délai de trois ans est le jour où débute l’incapacité de travail. La prise de cours du délai ne varie pas suivant l’objet de la demande (applicabilité de la loi, degré ou durée de l’incapacité de travail, indemnisation de l’incapacité temporaire ou de l’incapacité permanente, contestation ultérieure).

L’on pointera particulièrement l’arrêt du 4 octobre 1982 rendu par la Cour suprême et rappelé par l’arrêt de la Cour du travail, où il a été énoncé que le point de départ reste fixé à la même date lorsque l’incapacité, après une interruption, est suivie d’autres incapacités résultant de l’accident, fussent-elles sans lien avec la première.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be