Terralaboris asbl

Une institution hospitalière a-t-elle qualité pour représenter son patient en justice et agir pour son compte ?

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 2 mai 2018, R.G. 17/4.198/A

Mis en ligne le vendredi 14 septembre 2018


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 2 mai 2018, R.G. 17/4.198/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 2 mai 2018, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles estime qu’un hôpital peut représenter un patient en justice dans le cadre d’une convention de mandat signée entre parties.

Les faits

Une personne est hospitalisée en urgence dans une institution hospitalière de la région bruxelloise. L’enquête sociale démontre qu’elle est sans ressources. Une convention est signée le même jour entre les parties, autorisant l’hôpital à introduire une demande d’aide sociale (aide médicale pour la prise en charge de tous les frais et honoraires liés à celle-ci auprès des organismes compétents). Le mandat porte également sur la possibilité pour l’hôpital d’introduire au nom de l’intéressé tous recours administratifs et/ou judiciaires contre les décisions de refus d’octroi de cette aide et contre les absences de décision dans les délais.

Suite au refus d’intervention du C.P.A.S., le tribunal du travail est saisi. La demande vise une aide médicale urgente (A.M.U.).

La décision du tribunal

Le tribunal examine essentiellement la question de la validité du contrat de mandat. Le C.P.A.S. soulève en effet un moyen d’irrecevabilité de la demande au motif que ce mandat est nul, l’hôpital n’ayant pas qualité pour agir, l’action étant considérée comme une action oblique interdite et, enfin, faisant état d’un conflit d’intérêts.

En droit civil, le tribunal rappelle que les conventions sont de plein droit opposables aux tiers (article 1165 C.C.). Ceux-ci ne peuvent d’ailleurs en demander l’annulation que s’il y a violation d’une règle d’ordre public. Pour le tribunal, le C.P.A.S. n’établit pas celle-ci.

Il renvoie également à l’article 58, § 1er, alinéas 1er et 2, de la loi organique des C.P.A.S., selon lequel la demande d’aide est inscrite le jour de sa réception par ordre chronologique dans le registre ad hoc et que celle-ci est signée par l’intéressé ou par la personne qu’il a désignée par écrit. Le tribunal considère que rien ne s’oppose à ce que la demande d’aide sociale fasse l’objet d’un mandat. Le pouvoir de représentation n’est nullement limité à cette introduction, pouvant au contraire s’étendre à l’exercice d’une action en justice au nom du demandeur d’aide. Il rappelle encore qu’on peut donner mandat pour tout acte juridique.

Existe notamment la figure du mandat d’intérêt commun, qui vise des situations où le mandataire poursuit des intérêts propres parallèlement à la représentation du mandant. La convention de mandat s’intègre dans cette hypothèse dans une opération globale où les intérêts de chacun sont liés à un objectif commun (le tribunal renvoyant à Cass., 28 juin 1993, n° 9.509).

Le tribunal en vient ensuite à la question de la validité d’un mandat lorsqu’il y a une opposition d’intérêts, question dont il relève qu’elle est controversée mais admise en doctrine.

Enfin, si le créancier ne peut exercer les droits et actions de son débiteur qui sont exclusivement attachés à la personne de ce dernier, cette règle n’est pas d’ordre public et la chose peut être autorisée dans le cadre d’un mandat.

Le droit en cause, étant le droit à l’aide sociale, est un droit attaché à la personne, principe qui a été rappelé par la Cour de cassation (Cass., 20 septembre 2008, n° C.07.0101.F). Enfin, il rappelle que les soins nécessités par l’état de santé d’une personne démunie n’incombent pas à l’institution hospitalière mais à la collectivité.

Sur le plan de la représentation en justice, le mandataire ad agendum peut désigner un avocat pour le représenter à l’instance qualitate qua. Il est tenu de le faire dans les règles du Code judiciaire (article 440, qui est relatif au monopole de l’avocat, ou article 718, § 1er, alinéa 2, qui concerne les litiges en matière d’aide sociale).

Le mandat est dès lors valable.

Le tribunal en vient au fond, étant de vérifier dans quelle mesure les conditions légales sont remplies, étant que le demandeur doit établir la nécessité de l’aide médicale urgente ainsi que le fait qu’il se trouve dans un état de besoin qui ne lui permet pas d’assumer la charge financière des soins requis par son état.

La définition de l’aide médicale urgente est contenue à l’article 1er de l’arrêté royal du 12 décembre 1996 (arrêté royal relatif à l’aide médicale urgente octroyée par les centres publics d’aide sociale aux étrangers qui séjournent illégalement dans le Royaume). Elle peut prendre la forme de la prise en charge des frais de santé et/ou d’hospitalisation.

L’urgence ne peut être contestée en l’espèce, pour ce qui est des soins de santé qui ont été prodigués. Par ailleurs, si le C.P.A.S. ne disposait pas à l’époque des éléments suffisants pour prendre une décision en connaissance de cause, ce qui a justifié son refus, le tribunal constate que l’enquête sociale établit l’état de besoin ainsi que la résidence de l’intéressé sur le territoire de la commune.

Il fait dès lors droit à la demande.

Intérêt de la décision

C’est surtout sur la première question que le jugement est important, dans la mesure où une jurisprudence contraire existe (voir notamment le jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles du 1er septembre 2017, R.G. XXX – voir flash JSP n° 3, qui considère qu’une institution hospitalière n’a pas la qualité pour représenter en justice son patient en vue de solliciter l’A.M.U. en son nom et pour son compte dans le cadre d’un mandat).

La conclusion du tribunal, dans le présent jugement, peut néanmoins susciter des difficultés en cas de conflit d’intérêts entre le patient et l’hôpital (ce dernier étant créancier du premier). Cependant, comme le rappelle le tribunal, ce n’est pas à l’institution hospitalière de supporter le coût des soins d’une personne indigente et, pour celle-ci, l’hôpital peut ainsi prendre en charge le suivi de sa demande d’A.M.U.

Par ailleurs, pour le C.P.A.S., cette solution comporte également plusieurs avantages, étant notamment qu’elle peut éviter une action en responsabilité devant le tribunal de première instance fondée sur la faute qui consiste à avoir refusé à tort une A.M.U. à une personne indigente.

L’on retiendra également que le tribunal du travail est le « juge naturel » des questions d’aide sociale.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be