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Nullité d’une clause de non-concurrence : maintien de la présomption d’apport de clientèle ?

Commentaire de Cass., 19 mars 2018, n° S.16.0075.F

Mis en ligne le lundi 24 septembre 2018


Cour de cassation, 19 mars 2018, n° S.16.0075.F

Terra Laboris

Par arrêt du 19 mars 2018, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège du 8 janvier 2016, qui avait jugé que la présomption d’apport de clientèle découlant de l’article 105 de la loi du 3 juillet 1978 s’applique y compris lorsque la clause est nulle.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 8 janvier 2016

Cet arrêt a statué d’une part sur la validité de contrats à durée déterminée successifs (qu’il n’avait pas admise) et d’autre part sur l’indemnité d’éviction postulée par le demandeur originaire, demande contestée par la société au motif que le représentant restait en tout état de cause en défaut de démontrer l’existence d’un apport de clientèle et qu’il n’avait pas subi de préjudice.

La cour a considéré, sur la question de l’indemnité d’éviction, que la nullité de la clause de non-concurrence (qui figurait dans chacun des contrats successifs à durée déterminée entre les parties) était nulle, faute d’être conforme aux dispositions légales impératives (articles 86 et 65) de la loi du 3 juillet 1978.

La cour a rappelé sa jurisprudence (dont C. trav. Liège, 1er mars 1999, J.T.T., 2000, p. 62, arrêt faisant suite à de nombreux arrêts antérieurs et allant dans le même sens) ainsi que celle de la Cour du travail d’Anvers (C. trav. Anvers, 23 octobre 1978, J.T.T., 1979, p. 357), selon lesquelles la présomption d’apport de clientèle découlant de l’article 105 LCT doit trouver application en cas de nullité de la clause.

La cour du travail a également renvoyé à la doctrine de W. VAN EECKHOUTTE et de V. NEUPREZ (W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ, Compendium social 2008-2009, p. 2286, citant Cass., 22 juin 1981, J.T.T., 1982, p. 53), selon qui, lorsque le contrat de travail contient une clause de non-concurrence, le juge du fond ne peut pas exiger que le représentant de commerce établisse l’apport de clientèle en communiquant le nom des clients apportés. Au contraire, c’est à l’employeur qu’incombe la preuve de l’absence d’apport de clientèle, preuve qui, en l’espèce, n’avait pas été faite, la cour constatant que la société s’abstenait de produire quelque document que ce soit relatif au chiffre d’affaires généré par l’activité de l’intéressé.

Sur l’absence de préjudice, la cour du travail a rappelé que l’absence éventuelle de préjudice consécutif à la rupture du contrat doit être appréciée à la date de celle-ci. Lorsque le représentant exerce, cependant, après la cessation de son contrat, une activité qui le met en position de conserver la clientèle, l’absence de préjudice peut être déduite de faits postérieurs à la cessation. En l’espèce, la preuve de l’absence de préjudice n’était pas établie. La cour a en conséquence alloué l’indemnité d’éviction.

Le pourvoi

Le pourvoi contient un moyen unique de cassation, fondé, en ce qui concerne la loi du 3 juillet 1978, sur les articles 1er, 65, 101 et 105 de celle-ci.

Le pourvoi vise également l’article 870 du Code judiciaire, en vertu duquel chaque partie a la charge de la preuve des faits qu’elle allègue, et l’article 1134 du Code civil.

Dans sa première branche, le pourvoi fait valoir que la clause contractuelle n’est pas une clause de non-concurrence au sens légal, dans la mesure où elle ne règle pas les obligations du défendeur lors du départ de l’entreprise, mais uniquement pendant la durée du contrat (violation de l’article 65 LCT ainsi que de la foi due à cette clause contractuelle).

La seconde branche fait grief à la cour du travail d’avoir constaté la nullité de la clause et d’en avoir cependant déduit que la présomption d’apport de clientèle pouvait s’appliquer. A partir du moment où cette clause est nulle, elle ne peut, pour le demandeur en cassation, produire le moindre effet entre parties sans méconnaître l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil. Il y a également violation des articles 105 et 65 de la loi du 3 juillet 1978.

L’arrêt de la Cour

Sur la première branche du moyen, la Cour considère qu’en interprétant cette clause en ce sens que les obligations qu’elle édicte produisent des effets lors du départ du travailleur de l’entreprise, l’arrêt n’en donne pas une interprétation inconciliable avec ses termes et ne viole dès lors pas la foi due à l’acte qui la contient.

La seconde branche reçoit une réponse en deux brefs attendus, la Cour énonçant que, aux termes de l’article 105 de la loi du 3 juillet 1978, la clause de non-concurrence crée en faveur du représentant de commerce une présomption d’avoir apporté une clientèle et que la circonstance qu’une telle clause ne satisfasse pas aux conditions légales de validité relatives à la durée d’application et aux activités prohibées ne porte pas atteinte à cette présomption.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Liège s’était référé à un arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 1981. Cet arrêt avait considéré que l’on ne peut, en présence d’une clause de non-concurrence dans un contrat de travail (qui crée donc une présomption d’apport de clientèle), rejeter la demande d’un représentant de commerce en paiement d’une indemnité d’éviction, sur la base des seules affirmations de l’employeur qu’aucune clientèle n’aurait été constituée. La cour du travail avait statué dans le cadre de la loi du 30 juillet 1963, dont elle avait relevé la violation de son article 19, vu qu’était imposé au représentant de commerce de donner la preuve qu’il avait constitué une clientèle.

Dans le pourvoi formé dans la présente affaire, la demanderesse en cassation faisait valoir que cette espèce n’envisageait nullement la nullité de la clause, dans la mesure où la question de sa validité n’avait pas été en cause.

La jurisprudence du fond a régulièrement retenu la solution selon laquelle la nullité de la clause pour non-conformité aux conditions légales des articles 86 et 65 de la loi du 3 juillet 1978 n’empêchait pas la présomption de fonctionner.

Cette solution reste logique, dans la mesure où l’objectif est de protéger le représentant de commerce dans cette hypothèse et qu’il ne se justifierait pas qu’il subisse, sur le plan de son droit à l’indemnité d’éviction, les effets négatifs d’une clause de non-concurrence mal rédigée.


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