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La déclaration à faire par les Etats membres en vertu de l’article 9 du Règlement n° 883/2004 est-elle définitive ?

Commentaire de C.J.U.E., 30 mai 2018, Aff. n° C-517/16 (CZERWIŃSKI c/ ZAKŁAD UBEZPIECZEŃ SPOŁECZNYCH ODDZIAŁ W GDAŃSKU)

Mis en ligne le mardi 25 septembre 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 30 mai 2018, Aff. n° C-517/16 (CZERWIŃSKI c/ ZAKŁAD UBEZPIECZEŃ SPOŁECZNYCH ODDZIAŁ W GDAŃSKU)

Terra Laboris

Dans un important arrêt du 30 mars 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne reprend les obligations des Etats membres en matière de déclaration des prestations nationales de sécurité sociale, répondant à un juge national que cette déclaration n’est pas définitive, eu égard notamment à la possibilité de saisir la Cour de Justice par la voie des questions préjudicielles.

Les faits

Un citoyen polonais, né en 1951, a une carrière de 23 ans et 6 mois en Pologne (total de périodes contributives et non contributives). Pendant les années 2005 à 2011, il a été mécanicien sur un bateau en Allemagne d’abord et en Norvège ensuite. Il a versé des cotisations, pour ces prestations, aux deux institutions compétentes (allemande et norvégienne).

En 2013, il a demandé l’octroi d’une pension, étant une pension de transition (pension accordée aux travailleurs exerçant un emploi dans les conditions particulières prévues dans une annexe à la loi polonaise, à la condition d’avoir au moins 50 ans pour les femmes ou 55 ans pour les hommes et de justifier au moins 10 ans d’ancienneté dans l’emploi exercé dans ces conditions particulières).

Suite au refus de l’institution polonaise (ZUS), un recours a été introduit et il a été rejeté par le Tribunal régional de Gdansk en janvier 2015 au motif que, si les années de travail exercées dans les conditions requises étaient établies, il n’y avait pas 25 années de cotisations (les périodes de cotisations à l’étranger ne pouvant être prises en compte). La Cour d’appel, saisie par l’intéressé, considéra qu’il y avait des doutes quant à la qualification de la pension de transition. Celle-ci fait en effet l’objet de la déclaration requise par l’article 9 du Règlement n° 883/2004 mais la cour se demande si ce type de pension ne devrait pas être considéré comme des prestations de vieillesse et qu’il faudrait dès lors revoir, si la déclaration a un caractère définitif ou si elle est susceptible d’une appréciation par les juridictions nationales. En outre, si la pension pouvait être qualifiée de pension de vieillesse, la règle de la totalisation des périodes (article 6) serait applicable, ce qui ne serait pas le cas s’il s’agissait de prestations de pré-retraite. Ces prestations sont en effet exclues de la règle de la totalisation et la cour pose encore la question de la compatibilité de cet état de choses avec l’objet de la protection en matière de sécurité sociale prévue à l’article 48, sous a), du T.F.U.E.

Trois questions sont dès lors posées à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

La première question porte sur la question de savoir si la classification des prestations sous une des branches de la sécurité sociale (article 3 du Règlement) dans la déclaration faite par l’Etat (article 9) relève de l’appréciation des autorités ou des juridictions nationales.

La deuxième question est de déterminer si la pension de transition est une pension de vieillesse.

La troisième question porte sur le Traité : l’exclusion de la règle de totalisation des prestations de pré-retraite exerce-t-elle une fonction de protection en matière de sécurité sociale au sens de l’article 48, sous a), du T.F.U.E. ?

La Cour répond aux deux premières questions, la réponse à la troisième n’ayant plus d’objet, vu les réponses apportées.

La décision de la Cour

Sur la première question préjudicielle

La Cour renvoie à plusieurs reprises dans sa réponse à l’arrêt COMMISSION c/ MALTE du 3 mars 2016 (Aff. n° C-12/14). Les déclarations obligatoires à faire par les Etats membres doivent respecter les exigences de l’article 4, § 3, du T.U.E., vu le principe de coopération loyale que celui-ci contient. Tout Etat doit donc procéder à un examen diligent de ses propres régimes de sécurité sociale, et ce aux fins de décider s’il y a lieu de les déclarer comme entrant dans le champ d’application du Règlement de coordination. La déclaration crée en effet une présomption que ces prestations relèvent du champ d’application matériel de celui-ci. En cas d’omission, ceci ne suffit pas en soi à établir que la loi ou la réglementation en cause ne relève cependant pas du Règlement.

La distinction entre les prestations qui relèvent ou non du Règlement repose essentiellement sur les éléments constitutifs de celles-ci (notamment finalité et conditions d’octroi) et non sur la qualification qui a été donnée à celles-ci par le législateur national. Lorsqu’il existe des doutes sur la qualification, la règle de droit européen est que l’Etat qui a fait la déclaration doit reconsidérer le bien-fondé de celle-ci et, le cas échéant, la modifier (l’arrêt COMMISSION c/ MALTE étant cité notamment ici). Dès lors que la Cour peut être interpellée par la voie des questions préjudicielles, la classification des prestations ne saurait revêtir un caractère définitif.

La Cour répond dès lors par la négative : la qualification de la prestation est susceptible d’être effectuée par la juridiction nationale concernée, de manière autonome et en fonction des éléments constitutifs de la prestation en cause en saisissant, le cas échéant, la Cour d’une question préjudicielle.

Sur la deuxième question préjudicielle

Quant à la deuxième question, la Cour souligne d’emblée que la réponse est déterminante pour le traitement de l’octroi de la prestation en cause, et ce eu égard à la totalisation des périodes en cas de prestations de vieillesse, cette règle étant écartée pour ce qui est des pensions de pré-retraite en vertu de l’article 66 du Règlement. Il y a dès lors lieu d’examiner si l’on est en présence de prestations de même nature. La Cour rappelle ici que tel est le cas lorsque l’objet et la finalité de la réglementation ainsi que la base de calcul des prestations et les conditions d’octroi sont identiques. Il ne faut pas s’en tenir à une classification purement formelle.

La distinction à faire entre les prestations de vieillesse et les prestations de pré-retraite sont que les premières tendent à assurer les moyens de subsistance de personnes qui quittent leur emploi lorsqu’elles atteignent un certain âge et ne sont plus obligées de se mettre à disposition de l’administration de l’emploi, alors que les secondes – qui présentent certaines similarités avec les premières – en diffèrent notamment dans la mesure où elles poursuivent un objectif lié à la politique de l’emploi en contribuant à libérer des places occupées par des salariés proches de la retraite au profit de travailleurs plus jeunes.

La Cour rappelle encore que les prestations de pré-retraite ont été introduites dans le champ d’application de la réglementation européenne par le Règlement n° 883/2004 et qu’il faut encore distinguer ces prestations des prestations anticipées de vieillesse, ces dernières étant allouées avant que ne soit atteint l’âge normal de la pension et qui continuent à être servies une fois cet âge atteint (ou sont alors remplacées par une autre pension de vieillesse).

Il faut dès lors examiner la prestation en cause, eu égard à l’ensemble de ces critères, examen auquel procède la Cour, qui, eu égard aux caractéristiques du système, conclut, vu l’objet et la finalité de la prestation ainsi que sa base de calcul et ses conditions d’octroi, que celle-ci se rapporte au risque de vieillesse visé à l’article 3, § 1er, sous d), du Règlement. Partant, la règle de totalisation des périodes lui est applicable.

Intérêt de la décision

La première question posée par le juge polonais est importante, puisque les Etats sont tenus de faire la déclaration des prestations allouées par leur droit national, selon une classification susceptible d’entrer dans les catégories des prestations relevant du champ d’application matériel du Règlement. La question posée était de savoir si ces déclarations sont définitives ou si le juge peut être amené à procéder à une requalification.

La Cour de Justice rappelle très justement que, par le biais des questions préjudicielles, elle peut être saisie – comme en l’espèce – de la qualification d’une prestation nationale au sens des dispositions du Règlement.

Cet arrêt de la Cour fait de très nombreux rappels à l’arrêt COMMISSION c/ MALTE du 3 mars 2016 (Aff. n° C-12/14 – précédemment commenté), dans lequel elle a longuement repris les obligations des Etats membres en matière de déclaration dans le cadre de la coordination de la sécurité sociale. Il s’agissait en l’espèce de pensions britanniques. La Commission avait introduit une procédure en manquement contre la République de Malte, suite à des plaintes de citoyens maltais à propos de leur pension de retraite, la loi maltaise relative à la sécurité sociale déduisant de la pension légale maltaise une pension de retraite perçue au titre de régime de pension de la fonction publique britannique.


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