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Réparation d’un préjudice subi suite à une erreur du SPF Pensions

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 13 février 2018, R.G. 2016/AN/247

Mis en ligne le vendredi 28 septembre 2018


Cour du travail de Liège, division Namur, 13 février 2018, R.G. 2016/AN/247

Terra Laboris

Par arrêt du 13 février 2018, la Cour du travail de Liège (division Namur) fixe l’évaluation du dommage subi par un travailleur salarié en fin de carrière, alors qu’il avait cru pouvoir (sur indications écrites de l’ONP) bénéficier d’une pension de retraite anticipée alors qu’il n’y avait pas droit.

Les faits

En novembre 2013, un travailleur salarié introduit une demande de pension de retraite, qui devait prendre cours le 1er octobre 2014. Il s’agit d’une pension de retraite anticipée, l’intéressé étant à ce moment âgé de 60 ans.

Le SPF (alors ONP) refuse au motif que l’intéressé n’avait pas l’âge requis ou pas une carrière suffisante (36 années).

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles et, outre la demande d’octroi de la pension, celui-ci visait à titre subsidiaire la condamnation du SPF à payer des dommages et intérêts, vu le préjudice subi suite à sa faute, préjudice à la fois matériel et moral.

Les jugements du tribunal

Le tribunal a rendu un premier jugement le 8 octobre 2015, rejetant la demande principale. Il a cependant retenu l’existence d’une faute dans le chef du SPF et a ordonné une réouverture des débats aux fins de fixer le préjudice.

Celui-ci a été évalué, dans un jugement un 10 novembre 2016, à 2.500 euros de dommage moral, aucun dommage matériel n’étant retenu.

L’intéressé interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant considère qu’il y a manquement du SPF à ses obligations d’information et de conseil ainsi qu’au principe de confiance légitime envers l’autorité. Il se réfère à l’écrit qui lui a été remis, signé par l’administrateur général de l’ONP.

Sur le plan du dommage, celui-ci n’est pas une perte d’une chance mais un dommage certain. Quant à son dommage moral, il fait valoir avoir été mis dans une situation « désagréable et humiliante » et avoir été totalement dépendant de la bonne volonté de son employeur. Le dommage est à la fois matériel, vu la perte de la rémunération, et moral.

Quant au SPF, il estime que l’intéressé, par son comportement, a contribué à sa faute – qu’il ne conteste pas. Il en minimise cependant l’importance et fait valoir que l’intéressé a organisé sa fin de carrière avec son employeur depuis 2012. Il considère que la preuve du lien causal n’est pas apportée et il conteste l’évaluation du préjudice moral et matériel.

La décision de la cour

La cour est dès lors saisie essentiellement de la question faisant l’objet de la demande subsidiaire devant le premier juge.

Elle rappelle les faits ayant donné lieu à la faute invoquée.

En ce qui concerne la carrière de l’intéressé, elle se décompose en 3 années à la Commission européenne, ainsi que de 36 autres années dans le secteur des travailleurs salariés.

Des informations avaient été prises par l’intéressé en ce qui concerne la question des 3 années prestées au sein de la Commission européenne. Il fut répondu par écrit par le SPF que celles-ci pouvaient être prises en compte dans le cadre de la pension anticipée.

En conséquence, le travailleur et son employeur ont mis un terme au contrat de travail, convenant que celui-ci prendrait fin au plus tard le 30 septembre 2014, l’intéressé étant libéré 7 mois auparavant et sa rémunération se voyant réduite pour cette même période.

C’est dans ce contexte que la demande a été introduite en novembre 2013, la cour rappelant que la législation autorisait à ce moment la prise de pension anticipée moyennant 39 années de carrière.

Intervint alors la décision de refus, au motif qu’il n’y avait pas eu de paiement de cotisations dans le secteur des pensions pour ces prestations.

L’intéressé put convenir avec son employeur, suite à ce refus, d’une prolongation de la période d’occupation, le salaire, qui avait été réduit à environ 10.000 euros pour la première période de suspension des prestations, fut, à partir d’octobre 2014 – et ce pendant une durée d’un an – baissé à 1.870 euros.

Une nouvelle demande de pension fut formée en octobre 2014, pour débuter en octobre 2015. Il a alors été fait droit à la demande.

En droit, la cour rappelle qu’il faut statuer dans le cadre des règles de l’article 1382 du Code civil. Pour elle, il faut revenir aux principes en la matière : le dommage, sans lequel il n’existe pas de responsabilité civile, consiste dans l’atteinte à un intérêt ou dans la perte d’un avantage, pour autant que celui-ci soit stable et légitime. Il doit être certain et ne pas avoir déjà été réparé.

Il faut distinguer la perte d’une chance de l’avantage perdu lui-même. La cour reprend les critères permettant de l’évaluer et insiste, en ce qui concerne la causalité, sur le fait que celle-ci doit être certaine, et ce même dans le contexte de la perte d’une chance. L’on peut admettre que l’avantage était seulement probable, mais il doit être certain qu’il est perdu et il doit également être certain que, sans la faute, la perte ne se serait pas produite comme elle s’est concrètement réalisée.

Pour la cour, compte tenu du reste de la carrière salariée, l’intéressé avait droit, dans l’hypothèse de la prise en compte des 3 années de prestations à la Commission européenne, à une pension de retraite anticipée. Sans celles-ci, et en cas de prolongation de l’occupation au-delà du 1er octobre 2014, son droit à la pension s’ouvrait au plut tôt le 1er octobre 2015 (ayant à ce moment 62 ans et une carrière de 37 ans). Pour la cour, l’intéressé pouvait légitimement se fonder sur l’information erronée reçue du SPF et il ne peut lui être reproché aucune imprudence ni aucune faute. Dans l’évaluation des conséquences de la faute du SPF, pour la cour, il faut comparer la situation effectivement connue par l’intéressé avec celle qui aurait été la sienne sans celle-ci. En d’autres termes, que se serait-il produit en l’absence de cette faute ?

Il ne faut pas, comme le soutient le SPF, comparer la situation effectivement connue par l’intéressé avec celle purement fictive et contraire à la loi qui aurait été la sienne si une information inexacte s’était avérée exacte : la comparaison doit intervenir avec la situation qui aurait été celle de l’intéressé en l’absence de faute du SPF.

Sur le plan de la réparation, elle confirme le montant alloué par le premier juge en ce qui concerne le dommage moral.

Elle examine par ailleurs la question du dommage matériel, tenant compte de la perte du salaire. Sans la faute commise, l’intéressé aurait pu négocier avec son employeur un accord de fin de carrière qui aurait été financièrement plus favorable. Le dommage matériel doit être évalué dans la perspective de la perte d’une chance de cette négociation.

La cour retient encore qu’ont été pris en compte des montants nets et qu’il y a eu absence de toute prestation. L’évaluation du dommage peut intervenir de manière forfaitaire. Il est fixé à 20.000 euros.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Liège ne doit pas rechercher si une faute a été commise par l’institution de sécurité sociale, ce point étant acquis aux débats.

L’intérêt des développements figurant dans l’arrêt est d’une part le rappel des principes en matière de responsabilité civile et, d’autre part, celui des modes d’évaluation de la réparation du dommage.

C’est surtout sur la théorie de la perte d’une chance que la cour rappelle des règles importantes, étant que, même dans le cadre de celle-ci, le lien causal entre la faute et le dommage doit être certain. Même si l’avantage était seulement probable, il doit être certain qu’il est perdu.

L’on relèvera encore que l’arrêt est extrêmement documenté en jurisprudence et en doctrine.


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