Terralaboris asbl

L’abandon d’emploi convenable peut intervenir – mais non nécessairement - avec l’intention de demander les allocations de chômage : quelles sanctions dans l’un et l’autre cas ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 février 2007, R.G. 47.347

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 8 février 2007, RG N° 47.347

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 8 février 2007, la cour du travail de Bruxelles a examiné si le choix fait par un travailleur de mettre un terme d’un commun accord à la relation de travail qui le liait à son employeur constitue un abandon d’emploi convenable et quelle était, une fois celui-ci établi, la sanction à appliquer au niveau des allocations de chômage.

La décision litigieuse

Par décision du 19 août 2004, un employé fut sanctionné par le bureau de chômage de Vilvoorde au motif d’abandon d’emploi convenable, en application des articles 51 et 52bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La décision, motivée en droit, par les dispositions ci-dessus, poursuivait, en fait, que le travailleur avait sollicité le bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er janvier 2004, après avoir quitté son emploi de conseiller le 31 décembre 2003, auprès de l’Office National du Ducroire. Il lui était fait grief de ne pas établir que l’emploi n’était pas convenable au sens des critères des articles 22 à 32 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. La décision précisait que le demandeur avait quitté son emploi afin de pouvoir bénéficier des avantages en matière d’assurance de groupe extralégale en cas de pension.

Il lui était fait également grief d’avoir quitté son emploi avec l’intention de solliciter les allocations de chômage. L’Office considérait ainsi que le travailleur était devenu chômeur de son propre fait. La sanction fut une exclusion du bénéfice des allocations de chômage pour une période indéterminée, et ce à partir du 1er janvier 2004, date de la demande. Sa réadmission lui était annoncée lorsqu’il prouverait un nombre de journées de travail suffisant au sens des articles 30 à 34 de l’arrêté royal, ces journées ne pouvant être prises en compte que si elles se situaient après le fait qui avait donné lieu à l’exclusion.

La procédure

Par jugement du 28 octobre 2005, la 20e chambre du tribunal du travail de Bruxelles déclara la demande du chômeur fondée partiellement mais confirma également en partie la décision de l’ONEm, limitant l’exclusion à une durée de 24 semaines. Le premier juge considérait que le demandeur d’allocations n’établissait pas avoir un motif valable de mettre un terme à la relation de travail au sens de l’article 51, § 1, 2e alinéa, 1° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 pour quitter son emploi auprès de l’Office National du Ducroire mais qu’il n’avait pas quitté son emploi dans l’intention de solliciter des allocations de chômage.

La position des parties en appel

L’Office interjeta appel en faisant valoir que c’était de manière tout à fait délibérée que l’intéressé avait pris la décision, le 28 novembre 2003, de mettre un terme d’un commun accord aux relations de travail, avec effet au 1er janvier 2004, qu’il avait eu l’occasion de réfléchir pendant plusieurs mois aux conséquences de sa décision et qu’il n’apportait aucune preuve de ce qu’il avait été amené à prendre celle-ci sous la contrainte morale. Même à supposer qu’il eût été conduit à procéder de la sorte du fait d’actes de harcèlement ou suite à une contrainte morale, il lui était possible de contester la « rupture d’un commun accord » en justice, ce qu’il n’avait pas fait.

L’ONEm renvoyait également à la jurisprudence selon laquelle il y a rupture du contrat de travail d’un commun accord et donc abandon d’emploi sans raison légitime lorsque le travailleur opte pour un système de départ dans le cadre d’un plan de pension anticipé d’entreprise à l’âge de 55 ans.

Quant au travailleur, il introduisait un appel incident, tendant à l’annulation de la décision administrative dans tous ses effets. Il demandait à la cour de retenir qu’il n’y avait aucun motif de l’exclure du droit aux allocations de chômage et, subsidiairement, de réduire la sanction à 4 semaines. Il contestait le grief qui lui était fait par le premier juge à savoir l’absence de motif valable pour quitter son emploi, au sens de l’article 51, § 1, 2e alinéa, 1° de l’arrêté royal. Pour lui, la rupture était intervenue après que l’employeur ait fortement insisté pour son départ. Il soulignait que c’était suite à différents articles parus dans la presse et à l’introduction d’une procédure disciplinaire contre lui qu’il avait été poussé à quitter l’institution, malgré son désir d’y rester.

Il précisait ne pas avoir fait de recours contre la décision du conseil d’administration à son égard afin de tenter de pacifier les relations, mais il persistait à considérer que ses droits de défense n’avaient pas été respectés dans le cadre de la procédure en cause. à‰taient produits à l’appui de cette argumentation divers courriels adressés à son conseil.

En ce qui concerne la sanction, il faisait valoir que celle-ci ne pouvait intervenir à durée indéterminée et que le capital alloué dans le cadre de la pension extralégale ne pouvait en aucune manière influencer son droit aux allocations de chômage. En ce qui concerne son inscription auprès de l’ONEm, celle-ci s’expliquait par son souci de ne pas rester dans un « no man’s land » sur le plan de la sécurité sociale, du fait de la rupture d’un commun accord intervenue. Il faisait enfin valoir les efforts consentis, depuis celle-ci, pour retrouver un emploi.

La décision de la Cour

La cour confirme le jugement dans toutes ses dispositions.

Elle reprend la disposition de l’article 51, § 1, 2e alinéa, 1° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et considère que le demandeur d’allocations avait presté comme fonctionnaire auprès de l’Office National du Ducroire depuis le 8 juin 1974 jusqu’au 31 décembre 2003, à temps plein. Par courrier du 28 novembre 2003, il avait confirmé qu’il quitterait anticipativement ses fonctions, dans le cadre des possibilités offertes par la convention d’entreprise. La Cour relève que, vu son emploi statutaire auprès de l’Office National du Ducroire et vu le statut de cette institution, il ne pouvait bénéficier des avantages de la sécurité sociale. L’intéressé avait confirmé lors de son audition que, s’il avait demandé le bénéfice des allocations de chômage, c’était dans le but affirmé de rester en règle en ce qui concerne ses droits sociaux.

Examinant le dossier, la Cour relève que l’intéressé avait été suspecté d’être à la base de deux articles parus dans la presse et qui avaient manifestement dû indisposer son employeur. A la suite de ceci, le Conseil d’administration prit une sanction disciplinaire à son égard pour violation du secret professionnel. Cette sanction consistait en une réduction de son traitement pendant une période de 3 mois. Le fonctionnaire accepta cette sanction. La Cour relève avec le Ministère public qu’il ne devait dès lors pas être tout à fait étranger aux faits qui lui étaient reprochés. Elle ne retient pas, des courriels adressés à l’avocat, qu’une forte pression était exercée sur lui ou qu’un harcèlement existait, qui l’eût amené à quitter son emploi. En conséquence, pour la Cour, il n’y a pas de motif valable et le fait qu’à un moment déterminé l’intéressé a considéré pouvoir bénéficier de la réglementation en matière de pension anticipée ne peut en constituer un.

Toutefois, l’intention dont état à l’article 52bis, § 2, 1er alinéa, 1° de l’arrêté royal, à savoir le refus d’emploi dans l’intention de continuer à bénéficier des allocations n’est pas démontrée. Le dossier révèle, à suffisance, que la démarche effectuée a été motivée par la constatation que le demandeur ne bénéficiait plus de statut social et, par ailleurs, les efforts en vue de retrouver du travail existent. Par conséquent, la Cour refuse de se référer à la jurisprudence produite par l’Office (notamment C. trav. Liège, 9 mai 2001 et C. trav. Anvers, 20 juin 2000), les éléments de fait étant distincts.

En ce qui concerne la demande subsidiaire de réduction au minimum de 4 semaines, elle n’y fait cependant pas droit, vu qu’elle n’est pas motivée.

Intérêt de la décision

La Cour du travail statue ici dans le cadre de l’article 52bis de l’A.R. du 25 novembre 1991, qui distingue (notamment) l’abandon d’emploi de l’abandon d’emploi avec l’intention de bénéficier des allocations de chômage. Cette seconde hypothèse contient une sanction beaucoup plus lourde puisqu’elle entraîne la perte du droit aux allocations, impliquant l’obligation pour le demandeur de satisfaire à nouveau aux conditions d’admissibilité, alors que la première n’entraîne qu’une exclusion aux allocations, limitée dans le temps.

La Cour y précise que l’intention de bénéficier des allocations doit être présente au moment où le demandeur a quitté son emploi, précision qui n’est pas négligeable. Cette condition n’est certes pas remplie, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, l’inscription intervient ultérieurement et dans un contexte qui n’était pas connu du demandeur lors de la rupture des relations de travail.


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