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Exposition au risque de maladie professionnelle (dos) : critères EPILIFT ou MDD ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 5 mars 2018, R.G. 2017/AL/121

Mis en ligne le lundi 29 octobre 2018


Cour du travail de Liège, division Liège, 5 mars 2018, R.G. 2017/AL/121

Terra Laboris

Dans un arrêt du 5 mars 2018, la Cour du travail de Liège rappelle, à propos d’une demande de réparation d’un risque professionnel d’arthrose vertébrale, la jurisprudence de la Cour de cassation du 2 février 1998 quant à la définition des termes « cause déterminante et directe ».

Les faits

Un travailleur, né en 1945 et ayant eu un parcours scolaire très limité, a travaillé à partir de l’âge de 16 ans. Il a effectué plusieurs métiers : ouvrier-tourneur, fraiseur-ajusteur, mécanicien, brasseur indépendant, garagiste indépendant et, enfin, ouvrier de production en produits abrasifs. Il a pris sa pension en 2010 et avait introduit une demande dans le système ouvert en 2007. Celle-ci a été rejetée au motif qu’il n’apparaissait pas que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège, qui a désigné un expert par jugement du 19 juin 2008. Dans la mesure où une enquête technique sur l’exposition au risque était nécessaire, un ingénieur a été désigné et est arrivé à la conclusion que, selon le modèle de dose Mainz-Dortmund (MDD), les valeurs de référence internes à FEDRIS n’étaient pas atteintes. Ces conclusions n’étant pas suffisamment étayées, l’expert judiciaire a suggéré une nouvelle enquête d’exposition, ce que le tribunal a autorisé par un deuxième jugement du 26 mai 2011. Vu l’inertie de l’expert, son remplacement a été ordonné par ordonnance du 12 septembre 2012. L’enquête technique a été reprise et l’ingénieur en cause a conclu dans un rapport du 17 mai 2013 qu’il y avait exposition à un risque de maladie professionnelle liée au port des charges lourdes. Il s’est alors référé aux critères EPILIFT 2009 (l’intéressé ayant atteint plus de 100% de la dose admissible). L’exposition a dès lors été admise, ainsi que l’existence d’un lien direct et déterminant entre la maladie (affection dégénérative au niveau de l’axe lombaire) et l’exposition. L’I.P.P. a été fixée à 10%.

Un troisième jugement fut alors rendu, désignant un nouvel expert, le tribunal considérant que le lien déterminant et direct n’était pas prouvé.

Ce dernier expert est également arrivé à la conclusion de l’exposition au risque. Il a estimé que le lien causal était prouvé avec le plus haut degré de certitude eu égard aux connaissances médicales du moment. Il a précisé avoir pris en considération le fait que la victime a la charge de la preuve, considérant que les facteurs autres que le risque professionnel (ainsi la constitution, l’âge, les antécédents traumatiques, le mode de vie ou tous autres facteurs différents) ne pouvaient expliquer à eux seuls les lésions telles qu’elles étaient constatées.

Enfin, le tribunal a rendu un quatrième jugement le 5 décembre 2016, écartant les dernières critiques de FEDRIS. Le rapport a été entériné, mais uniquement pour ce qui était des incapacités purement physiques. Le tribunal a en effet rouvert les débats sur les facteurs socio-économiques.

Appel a aussitôt été interjeté par FEDRIS, qui estime que les exigences relatives à l’exposition ne sont pas rencontrées et que les éléments essentiels permettant de reconnaître le lien de causalité déterminant et direct ne sont pas établis.

L’intéressé, pour sa part, demande en degré d’appel que les facteurs socio-économiques soient fixés à 10%.

La décision de la cour

La cour reprend le cadre général de la réparation des maladies professionnelles telle qu’organisée par les lois coordonnées le 3 juin 1970.

En l’occurrence, il s’agit d’une maladie « hors liste », la cour rappelant que ce type de maladie n’est pas déterminé et qu’il peut s’agir de n’importe quelle pathologie, à la triple condition que la victime démontre la réalité de l’affection, l’exposition au risque et, également, que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

Elle a la charge de la preuve du lien de causalité.

C’est l’article 32 des lois coordonnées qui définit l’exposition au risque professionnel de la maladie et la cour rappelle à cet égard que la notion d’exposition au risque suppose un lien entre l’exposition et le risque de la population soumise au risque de développer la maladie invoquée. Elle revient sur la modification législative de 2006, qui a insisté sur le caractère collectif de l’exposition (et non individuel). Dans le groupe nettement plus exposé au risque que la population générale, le risque de contracter la maladie doit d’apprécier en fonction des caractéristiques propres à chaque agent, et en ce compris d’éventuelles prédispositions pathologiques. La cour réaffirme que rien ne permet de dire que le législateur de 2006 aurait entendu se départir de cette individualisation au sein du groupe exposé au risque.

En l’occurrence, l’examen de l’exposition est réalisé au sein de FEDRIS par des ingénieurs.

Ces ingénieurs peuvent être appelés dans le cadre d’une expertise judiciaire en qualité de sapiteurs ingénieurs. Pour ce qui est des critères suivis, il n’y a aucun critère légal permettant de définir l’exposition et, rappelant la doctrine constante, la cour précise à ce sujet que le conseil scientifique de FEDRIS a établi des lignes de conduite internes qui ne lient pas les juridictions (P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2015, p. 81).

Le débat porte sur la question des critères scientifiques les plus appropriés, FEDRIS demandant que soient retenus les critères MDD ordinaires plutôt que les critères EPILIFT (dont l’application a donné des résultats différents). Pour la cour, les critères EPILIFT constituent une mise à jour correctrice, au regard de données plus récentes, de la méthode MDD originelle et non une tabula rasa des acquis antérieurs. Elle leur donne dès lors la préférence, s’agissant de critères postérieurs et corrigés.

En ce qui concerne le lien causal, la cour renvoie à l’important arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 2 février 1998 (Cass., 2 février 1998, n° S.97.0109.N), selon lequel l’article 30bis ne dispose pas que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou principale de la maladie. Le lien de causalité prévu par l’article 30bis entre l’exercice de la profession et la maladie ne requiert pas davantage que cet exercice soit la cause exclusive de la maladie. Il n’exclut pas une prédisposition ni n’impose que la victime (ou l’ayant-droit) soit tenue d’établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition.

Il en découle que la cause ne doit pas être exclusive ni même principale et que le critère peut être compris comme étant que le lien causal existe dès lors que, sans le risque, la maladie ne serait pas survenue telle que constatée (l’arrêt renvoyant à S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013, p. 496).

L’on s’approche ainsi de la théorie de l’équivalence des conditions.

L’arthrose est bien sûr un phénomène plurifactoriel, mais les exigences posées par FEDRIS en ce qui concerne le lien causal sont, pour la cour, en opposition avec la jurisprudence de la Cour de cassation, dans la mesure où elles rendent impossible la preuve du lien causal direct et déterminant et empêcheraient toute indemnisation dans le système ouvert.

La pratique administrative ne peut, ainsi que souligné, vider de son sens l’article 30bis de la loi.

La cour examine dès lors le bien-fondé des avis des experts et conclut à la confirmation du jugement, qui a entériné le dernier rapport d’expertise et a fixé le taux d’incapacité purement physique à 10%.

Sur les facteurs socio-économiques, la cour s’en saisit vu l’effet dévolutif de l’appel et, renvoyant encore à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 11 septembre 2006, n° S.05.0037.F), sur la reconnaissance de l’incapacité permanente de travail et la réparation de l’étendue du dommage, elle retient la très faible formation de l’intéressé, le caractère réduit de son marché du travail vu l’absence de qualification et l’exercice de métiers manuels uniquement, ainsi que son âge (62 ans). Le fait qu’il ait pris sa pension ne modifie pas les éléments d’appréciation.

La cour alloue dès lors 8% de facteurs socio-économiques.

Intérêt de la décision

Le caractère purement indicatif des seuils d’exposition fixés par FEDRIS est admis depuis longtemps, même s’il n’est pas contesté que ceux-ci ont été élaborés par des scientifiques. Ils ne s’imposent dès lors pas aux juridictions du travail.

Des critères ont par contre été élaborés et le débat au niveau des rapports d’expertise a été de savoir s’il faut retenir la méthode MDD (Mainz-Dortmund Dose) ou la méthode EPILIFT 2009.

L’on peut renvoyer à cet égard à une étude de l’ingénieur Philippe BRUX (Evaluation de l’exposition au port de charges lourdes dans un environnement professionnel – Evolution des critères d’exposition des travailleurs, Safetify-UMONS, 16 octobre 2015).

Dans celui-ci, l’auteur rappelle que le modèle MDD a été développé par des chercheurs allemands et permet d’analyser rétrospectivement la carrière d’un travailleur et d’évaluer son exposition au port de charges lourdes. Cette méthode est basée sur l’évaluation de la pression intra-discale entre les vertèbres L5-S1. Il rappelle l’évolution des critères, étant qu’en Allemagne, un code maladie a été introduit en 1992 et que c’est à cette occasion qu’un groupe de scientifiques, d’experts techniques et de juristes se sont accordés sur une méthode d’évaluation.

Cette méthode a évolué et le besoin d’une étude épidémiologique plus large s’est fait ressentir, étude réalisée entre 2002 et 2007 sur mille huit cent personnes dans quatre régions d’Allemagne. Les résultats ont été publiés en 2009. C’est la méthode EPILIFT, dont il rappelle qu’elle a fourni des résultats importants, faisant apparaître des corrélations significatives entre exposition et maladie professionnelle inférieures aux limites initialement fixées. Par ailleurs, certains paramètres de la méthode MDD ont été optimisés. A été ressentie la nécessité d’affiner les critères. Il retient encore l’apparition d’une nouvelle étude en 2012, étant la German Spine Study 2, qui constitue des travaux plus récents dont les résultats pratiques ont été analysés en détail et qui est partiellement utilisée par FEDRIS.


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