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Chômage : pouvoir de substitution du juge

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 20 avril 2018, R.G. 15/33/A

Mis en ligne le jeudi 15 novembre 2018


Tribunal du travail de Liège (division Huy), 20 avril 2018, R.G. 15/33/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 20 avril 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Huy) renvoie au récent arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 2018 pour conclure à l’existence d’un pouvoir de substitution du juge même en cas de pouvoir discrétionnaire de l’administration.

Les faits

Un travailleur était au service d’une société. Il fut mis en chômage temporaire en septembre 2013 au motif d’une baisse du volume de travail. La société faisait, par ailleurs, appel à un sous-traitant (ainsi que ceci ressort de l’avis de l’auditeur du travail). Une information pénale est, au moment où l’affaire a été jugée, en cours auprès de l’Auditorat du travail d’Anvers.

Le travailleur en question se voit notifier une décision administrative le 13 novembre 2014 l’excluant du droit aux allocations pour certaines journées et ordonnant la récupération correspondante. Pour l’ONEm, tout en bénéficiant des allocations, l’intéressé aurait exercé une activité et il n’établit pas que celle-ci ne lui a pas procuré une rémunération ou un avantage matériel. Elle est dès lors considérée comme travail.

Dans le recours qu’il introduit devant le tribunal du travail, l’intéressé fait valoir qu’il ne peut être tenu responsable des pratiques illégales de la société et qu’il entend, pour sa part, entamer une action contre son ex-employeur.

La décision du tribunal

Le tribunal tranche la présente affaire, qui oppose le travailleur à l’ONEm, en rappelant les dispositions de l’arrêté royal organique du 25 novembre 1991, étant d’abord les articles 44 et 45 (privation de travail et de rémunération et définition de l’activité considérée comme travail), 71 (obligations relatives à la carte de contrôle) et 154 (sanction d’exclusion en cas de manquements à l’article 71 ci-dessus).

Le tribunal examine également l’article 157bis, qui donne la possibilité au directeur de l’ONEm de se limiter à donner un avertissement en cas de manquement notamment à l’article 154 (article 157bis, § 1er).

Le tribunal en vient ici à l’examen des pouvoirs du juge.

Il rappelle qu’une doctrine abondante s’est penchée sur la question, étant de déterminer l’exercice et l’étendue du contrôle de pleine juridiction par le tribunal du travail en la matière. Celle-ci a lié l’étendue du contrôle à l’existence d’un pouvoir lié ou d’un pouvoir discrétionnaire dans le chef de l’administration.

Il est d’abord renvoyé à la doctrine de M. DELANGE (M. DELANGE, « Questions de droit social », CUP, septembre 2002, Vol. 56, pp. 1 et ss.), ainsi que, en jurisprudence, à l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 10 mai 2004 (Cass., 10 mai 2004, n° S.02.0076.F). Dans cet arrêt, la Cour suprême a posé le principe que tout ce qui relève de la compétence d’appréciation du directeur, en ce compris le choix de la sanction administrative, est soumis au contrôle du juge. Celui-ci dispose de la pleine juridiction en matière de contrôle des décisions du directeur, moyennant respect des droits de défense et dans les limites de la cause définie par les parties.

Par ailleurs, très récemment (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0062.F), la Cour de cassation a rendu un arrêt de principe (sur les mêmes dispositions), confirmant le contrôle de pleine juridiction sur la décision prise par le directeur en ce qui concerne l’importance de la sanction, qui comporte le choix entre l’exclusion du bénéfice des allocations de chômage sans sursis, avec sursis, l’avertissement et, le cas échéant, le choix de la durée et des modalités de la sanction.

La Cour du travail de Mons avait considéré que le juge était sans pouvoir pour substituer sa propre appréciation à celle du directeur du bureau régional de chômage et que, dans la mesure où la motivation de la décision était empreinte d’une contradiction manifeste, elle devait être annulée (la décision contenant une sanction d’exclusion de 39 semaines, dont 18 semaines avec sursis). La Cour de cassation a accueilli le moyen du pourvoi, qui a fait grief à l’arrêt de s’abstenir de prononcer une exclusion avec ou sans sursis, ou un avertissement. Il y a pour la Cour de cassation violation des articles 580, 2°, du Code judiciaire, ainsi que 154 et 157bis de l’arrêté royal organique.

Dans son jugement, après avoir rappelé cet enseignement, le Tribunal du travail de Liège se rallie à cette jurisprudence, le pouvoir de pleine juridiction étant par ailleurs fort large.

Il reprend les faits, renvoyant d’abord à l’avis de l’auditeur du travail, qui considère que le recours doit être accueilli, la décision de l’ONEm devant être annulée. Pour le tribunal, la décision, si elle est effectivement dûment motivée, l’est « à côté de la cible », ses motifs de droit et de fait étant inexacts. La question débattue en l’espèce n’est pas de déterminer si le travailleur a travaillé et/ou a perçu une rémunération, mais de constater que, malgré la mise en chômage temporaire, la société ne manquait pas de travail.

Après avoir annulé la décision, le tribunal fait une application stricte des articles 44 et 45 : l’intéressé a été privé de travail et de rémunération, même si la suspension du contrat n’est pas intervenue régulièrement et que le travailleur dispose d’un droit à charge de son employeur en ce qui concerne la rémunération due pour ces jours.

Le tribunal constate également qu’il n’y a pas d’action reconventionnelle introduite par l’ONEm.

Le recours est dès lors accueilli.

Intérêt de la décision

Dans ce bref jugement, le Tribunal du travail de Liège a fait une application immédiate de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation sur la question.

Dans son arrêt du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0062.F – précédemment commenté), la Cour de cassation a réglé les différences de jurisprudence rencontrées chez les juges du fond.

Trois possibilités existaient, en effet, pour le juge étant (i) de se fonder sur le principe général de droit de la séparation des pouvoirs, qui ne permet que d’annuler la sanction administrative, (ii) de se substituer à l’administration pour éventuellement infliger une nouvelle sanction, le chômeur ne pouvant être rétabli dans ses droits qu’à la condition d’observer les dispositions réglementaires en matière de chômage, et (iii) de distinguer selon que l’annulation concerne le principe même de la sanction ou simplement sa hauteur, jurisprudence qui ne retient pas de pouvoir de substitution dans le premier cas, mais bien dans le second.

L’arrêt du 5 mars 2018 a dès lors mis un terme à ces différences d’appréciation.

Dans le commentaire fait de l’arrêt de la Cour de cassation, nous avions souligné que l’arrêté royal du 30 décembre 2014 a supprimé la possibilité donnée au directeur d’assortir la sanction d’un sursis mais que, pour le reste, cet arrêt conserve tout son intérêt.


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