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Chômage pour cause d’intempéries : valeur juridique de l’avertissement de l’ONEm

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 mars 2018, R.G. 2016/AB/70

Mis en ligne le jeudi 15 novembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 7 mars 2018, R.G. 2016/AB/70

Terra Laboris

Par arrêt du 7 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles retient, comme dans un arrêt précédent du 24 mai 2017, que l’avertissement donné par l’ONEm en cas de recours jugé excessif au chômage économique ou au chômage pour intempéries ne permet pas l’introduction d’un recours judiciaire. Il s’agit d’une information de l’ONEm, qui ne bouleverse pas l’ordonnancement juridique.

Les faits

Un employeur gérant une entreprise agricole et exerçant également une activité de travaux techniques dans ce secteur fait l’objet d’une enquête de l’ONEm pour le recours au chômage temporaire intempéries.

Il dépend à la fois de la C.P. 144 de l’agriculture et de la C.P. 132 pour les travaux techniques (labour, semis, pulvérisation, etc.).

L’ONEm lui notifie un avertissement, dans la mesure où il est constaté une utilisation fréquente du chômage temporaire.

Il expose que ses demandes sont essentiellement faites pour les travailleurs de la C.P. 132 et pour la période d’hiver, pendant laquelle il n’y a pas de travaux correspondants. L’ONEm signale qu’en cas de nouvelle demande il y aura rejet de celle-ci si, pour cette période hivernale, l’employeur ne dispose en réalité d’aucun travail. Il signale à l’intéressé qu’un recours peut être introduit devant les juridictions du travail, et ce dans un délai de 6 mois.

L’intéressé introduit un recours contre l’avertissement et l’ONEm demande, dans le cadre de cette procédure, que la demande soit déclarée irrecevable à défaut d’intérêt né et actuel. Subsidiairement, il conclut au non-fondement.

Le tribunal admet cependant le recours, tant sur le plan de la recevabilité que quant au fond.

L’ONEm interjette appel.

La décision de la cour

La cour entreprend le rappel de la définition d’« intempéries », telle que contenue dans l’arrêté royal du 18 février 1994 (article 1er). L’employeur doit démontrer par une information à l’ONEm que les conditions atmosphériques rendent impossible l’exécution du travail étant donné la nature de celui-ci.

La Cour de cassation est déjà intervenue dans un ancien arrêt (Cass., 25 juin 1968, R.D.S., 1968, p. 201), posant la règle que le travail ne doit pas être plus pénible ou moins rentable : il doit être impossible, et ce en raison des conditions invoquées. Il s’agit généralement de pluie, neige, verglas, chaleur ou froid excessif.

Quant à l’avertissement lui-même, il n’est pas une condition de mise en œuvre de la réglementation. Ce n’est pas un préalable selon lequel l’ONEn ne pourrait refuser la demande introduite.

L’ONEm est cependant, en tant qu’institution de sécurité sociale, tenu d’établir et de vérifier les conditions d’admission et d’octroi aux allocations. Il doit également veiller à l’application de la réglementation. Sa mission légale est donc de vérifier que les allocations ne sont pas utilisées pour d’autres objectifs que ceux prévus par la réglementation.

Après le rappel de ce contexte légal et réglementaire, la cour en vient à l’intérêt de l’employeur d’introduire une action dans une telle situation.

Cet intérêt doit s’apprécier au regard des articles 17 et 18 du Code judiciaire. L’intérêt ne peut en effet pas être théorique. Il doit être né et actuel. L’action peut être admise, comme le prévoit expressément l’article 18, alinéa 2, pour une action intentée à titre déclaratoire, afin de prévenir la violation d’un droit gravement menacé.

En l’occurrence, l’avertissement donné, informant l’employeur que le seul fait de l’absence de travail en saison hivernale ne pourra pas donner lieu à de nouvelles décisions de reconnaissance de chômage temporaire, n’est pas de nature à supprimer en lui-même ce droit, puisqu’il ne préjuge en rien de décisions à prendre ultérieurement dans des contextes déterminés.

La cour poursuit, sur la nature de l’avertissement en cause, qu’il ne s’inscrit pas dans un processus (disciplinaire ou quasi-disciplinaire) ayant pour aboutissement le refus de reconnaissance. Il n’est pas davantage une sanction, puisqu’il ne constate pas une infraction.

Rappelant la doctrine de Madame KEFER (F. KEFER, Précis de droit pénal social, Anthémis, 2008, p. 273), la cour précise que cet avertissement s’inscrit dans la mission de renseignement et de conseil de l’ONEm et dans la mission de régularisation qu’il a en vertu des textes.

Elle renvoie encore à la jurisprudence du Conseil d’Etat, selon laquelle l’avertissement ne modifie pas l’ordonnancement juridique et que, même lorsqu’il est un préalable à un retrait d’agrément, l’autorité reste libre de lui donner une suite. Il peut dès lors n’être qu’un acte préparatoire (la cour citant notamment C.E., 11 décembre 2014, n° 229.529).

Elle en conclut que l’employeur n’a aucun intérêt personnel et direct à contester celui-ci devant le tribunal.

Intérêt de la décision

L’avertissement donné par l’ONEm, dans le cadre de la reconnaissance de chômage intempéries, n’est, comme le rappelle la cour, pas prévu dans l’arrêté royal organique, non plus que dans l’arrêté ministériel d’exécution.

Il ne peut être compris que comme rentrant dans les missions de l’ONEm, étant ici une mission de renseignement et de conseil en vue d’une correcte application des textes.

L’on pourrait peut-être le rapprocher des obligations de proactivité mises à charge des institutions de sécurité sociale vis-à-vis des assurés sociaux par la Charte de l’assuré social.

Saisi d’une situation qui peut ne pas apparaître conforme aux exigences réglementaires, l’ONEm a en effet pour pratique d’informer l’employeur de la chose. Cette simple information, qui n’aura pas d’autre effet juridique et ne modifie pas – comme le rappelle la cour – l’ordonnancement juridique, ne peut dès lors faire l’objet d’un recours judiciaire. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une décision faisant grief.

L’on peut rappeler, sur la question – et la cour du travail le fait d’ailleurs également – un arrêt rendu le 24 mai 2017 (C. trav. Bruxelles, 24 mai 2017, R.G. 2016/AB/80) en matière de chômage économique.

Dans cet arrêt, la cour avait repris le mécanisme de l’article 51, § 2, L.C.T., relatif au manque de travail résultant de causes économiques, dont la réglementation ne contient aucune définition. La cour y avait fait un long développement sur les conditions admises en jurisprudence pour que le critère soit rencontré. En l’espèce, l’ONEm avait également donné un tel avertissement et la cour en avait conclu que l’intérêt requis pour l’introduction d’une demande en justice contre cet avertissement n’existait pas. Il avait été donné vu un recours trop systématique à cette cause de suspension du contrat et l’ONEm avait également précisé qu’il n’accepterait plus les notifications de chômage temporaire pour raisons économiques. La cour y avait retenu que l’expression de l’ONEm était maladroite mais que, malgré tout, le droit au chômage temporaire n’était pas réellement menacé par celui-ci, vu qu’il ne préjugeait en rien de l’appréciation qui interviendrait à l’avenir.


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