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Récupération d’indu par l’organisme assureur et conditions de l’inscription comme frais d’administration

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 février 2018, R.G. 2016/AB/786

Mis en ligne le jeudi 15 novembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 21 février 2018, R.G. 2016/AB/786

Terra Laboris

Par arrêt du 21 février 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le manque de diligence de l’organisme assureur à poursuivre la récupération de l’indu ne fait obstacle à la dispense que dans la mesure où il a pu influencer cette récupération.

Les faits

Une mutualité indemnise un de ses affiliés pour une incapacité de travail de 6 semaines. Il a entre-temps repris rapidement du travail et un indu lui est notifié. Les faits datent de 2008.

L’Union nationale introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Tournai, section de Mouscron, en octobre 2008 et l’affaire fait l’objet d’un renvoi au rôle en mai 2009.

Pour cette année 2009, l’intéressé va cependant percevoir des allocations de chômage. La procédure se poursuit et un titre exécutoire est accordé par un jugement du tribunal du 8 novembre 2011.

En 2012, l’intéressé a quitté le territoire belge pour l’étranger et l’exécution ne peut être poursuivie normalement. La signification est envoyée par courrier à son adresse en France et le pli revient avec la mention « non réclamé », suite à quoi l’Union nationale estime ne pas devoir entreprendre une procédure d’exequatur en France. Le jugement est dès lors signifié au Procureur du Roi et, en décembre 2013, l’Union nationale demande à l’I.N.A.M.I. une dispense d’inscription, qui sera accordée pour une très courte période seulement. L’I.N.A.M.I. constate en effet que la mutualité a omis, pendant la période où l’intéressé bénéficiait d’allocations de chômage, de procéder à des retenues de 10% sur lesdites allocations en application de l’article 1410, § 4, du Code judiciaire.

L’Union nationale introduit alors une procédure en demandant l’annulation de la décision, sollicitant la dispense d’inscription en frais d’administration, chose refusée par jugement du 9 mai 2016.

Appel est dès lors interjeté et la cour est saisie de la question.

La décision de la cour

C’est l’article 194, § 1er, b), de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 qui est au cœur du débat.

Il définit les frais d’administration comme les dépenses entraînées par l’application de la loi, à l’exclusion des dépenses correspondant aux prestations indûment payées dont la non-récupération a été admise comme justifiée. Les conditions de cette admission figurent à l’arrêté royal du 3 juillet 1996 en son article 327, § 2, qui reprend les hypothèses dans lesquelles la dispense peut intervenir, étant (i) que l’indu ne résulte pas d’une faute, d’une erreur ou d’une négligence de l’organisme assureur, (ii) que celui-ci en a poursuivi le règlement par toutes voies de droit, y compris la voie judiciaire, et (iii) que la demande porte sur un montant de 600 euros au moins.

L’hypothèse de la poursuite du recouvrement prévoit que l’organisme assureur n’est pas obligé d’utiliser les voies de droit dont le coût dépasserait le montant à récupérer et que la condition est réputée remplie lorsque le recouvrement est considéré comme aléatoire ou lorsque les frais afférents à l’exécution de la décision judiciaire dépassent ce montant.

La cour renvoie à la jurisprudence, étant d’abord un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 4 janvier 2007, R.G. 47.175), qui a rappelé que l’organisme assureur doit tout mettre en œuvre pour récupérer l’indu et pour que soit mise pour cette récupération toute la diligence qui peut raisonnablement être exigée de lui. Il s’agit d’une obligation de moyen.

La Cour de cassation est également intervenue dans un arrêt du 26 mai 2008 (Cass., 26 mai 2008, n° S.07.0083.F), précisant que le manque de diligence de l’organisme assureur à poursuivre la récupération ne fait obstacle à la dispense que dans la mesure où il a pu influencer celle-ci.

La question posée est dès lors de savoir si l’organisme assureur a commis une négligence du fait de l’absence de retenues sur les allocations de chômage.

La cour reprend, pour ce, le libellé des §§ 4 et 5 de l’article 1410 du Code judiciaire, qui énumèrent les conditions dans lesquelles la récupération doit intervenir, et notamment le mode d’information de l’assuré social, par lettre recommandée à la poste, qui doit contenir des mentions obligatoires. Le mode de communication entre les institutions est également prévu.

Cette disposition n’interdit pas de prendre des renseignements préalables auprès d’autres organismes pour anticiper la retenue, mais cette obligation ne va pas jusqu’à imposer que cette prise de renseignements intervienne spontanément, et ce chaque mois. L’anticipation a par ailleurs ses limites.

La cour constate en l’espèce que, même si la mutualité s’était informée auprès de l’ONEm, elle n’aurait pu le faire qu’à une date faisant courir le délai de 3 mois prévu par l’article 1410 C.J., aux termes duquel la retenue pouvait effectivement intervenir et que ceci se situait après la fin de la période où les allocations de chômage avaient été perçues. L’intéressé ayant eu deux périodes d’indemnisation, la solution ci-dessus valant pour la première, la cour retient que, pour la seconde, qui est intervenue quelques mois plus tard, il aurait fallu que la mutualité en soit informée et qu’elle laisse encore s’écouler un délai de 3 mois après la notification faite à son affilié, avant de pouvoir opérer la retenue – ce qui serait encore intervenu après la fin de la (seconde) période d’indemnisation.

Ce recouvrement apparaît dès lors comme aléatoire, voire même impossible.

A supposer même que la consultation systématique ait été faite, celle-ci n’aurait pas permis le recouvrement.

Intérêt de la décision

Dans ce bref arrêt, la Cour du travail de Bruxelles développe quelques considérations sur l’obligation d’anticipation de l’organisme assureur vis-à-vis d’autres institutions de sécurité sociale en vue de permettre la récupération de l’indu.

Cette obligation touchera essentiellement le secteur du chômage, dans la mesure où il s’agit d’un travailleur actif qui a connu des périodes d’incapacité de travail, de travail et de perte de travail.

La consultation de l’ONEm est dès lors souhaitée, comme la cour le souligne, mais son absence de caractère systématique en tout cas ne peut constituer une faute permettant le refus des dépenses en frais d’administration.

L’on notera également que la cour examine le sort de la récupération elle-même s’il avait été procédé à la consultation : ce recouvrement a lui-même un caractère aléatoire avéré, du fait de l’existence de deux courtes périodes de chômage et de l’obligation de laisser s’écouler le délai de 3 mois après la notification avant de procéder aux retenues elles-mêmes.


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