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Contrôle de la régularité du licenciement en cas d’incapacité : CCT 109, discrimination, abus de droit ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 16 avril 2018, R.G. 17/120/A

Mis en ligne le mardi 20 novembre 2018


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 16 avril 2018, R.G. 17/120/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 16 avril 2008, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) rappelle que l’état d’incapacité de travail n’emporte pas une présomption de licenciement discriminatoire sur la base de l’état de santé, celui-ci pouvant par contre être considéré manifestement déraisonnable, dans la mesure où le motif invoqué n’est pas prouvé.

Les faits

Un couple constitue une SPRL en 2010. Celle-ci est remise deux ans plus tard à un ouvrier de la société et il est convenu à ce moment que l’épouse sera engagée comme secrétaire à temps plein (une clause particulière prévoyant l’octroi d’une indemnité de rupture spéciale – sauf faute grave – en cas de licenciement dans les trois ans).

L’intéressée passe à 4/5e temps trois ans plus tard.

Elle tombe ensuite en incapacité de travail. Un contrôle médical est effectué à son domicile.

Trois jours plus tard, la société lui notifie son licenciement au motif de « réorganisation ». Ce motif figure également sur le C4 et il réapparaît dans la lettre de la société en réponse à la demande de communication des motifs concrets de licenciement (CCT 109). La réponse est que la société ne travaillera plus qu’avec des indépendants et que l’épouse du gérant fera les tâches administratives pour lesquelles l’employée avait été engagée.

L’intéressée introduit une action devant le tribunal du travail, où elle réclame divers montants. Il s’agit des postes suivants :

  • indemnité de dix-sept semaines de rémunération (CCT 109) ;
  • indemnité de six mois de rémunération (licenciement discriminatoire) ;
  • indemnité pour licenciement abusif de 5.000 euros ;
  • chèques-repas ;
  • éco-chèques.

Elle estime en effet que le motif invoqué n’est pas réel, qu’elle a été licenciée en raison de son état de santé et qu’il y a eu abus de droit (manquement à l’article 16 de la loi du 3 juillet 1978 et absence d’audition ayant entraîné la perte d’une chance de conserver son emploi).

Pour la société, il y a une réorganisation véritable, dans la mesure où l’épouse (associée active) a repris les tâches de l’employée et que cette dernière ne prouve pas que ceci constituerait un motif déraisonnable de licenciement. La société fait valoir que la mesure a été prise dans le cadre d’une saine gestion de son entreprise.

La décision du tribunal

Le tribunal procède d’abord à un rappel très complet des principes en matière de contrôle du licenciement, reprenant dans un premier temps les contours des obligations de l’employeur dans le cadre de la CCT 109 ainsi que la protection contre le licenciement découlant de l’état de santé actuel ou futur du travailleur.

Elle procède ensuite à un rappel des principes classiques en matière d’abus de droit au sens de la théorie générale, appliquée aux relations de travail, accordant un intérêt particulier à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, n° S.05.0035.F), ainsi qu’à celui du 18 février 2008 (Cass., 18 février 2008, n° S.07.0010.F).

En l’espèce, pour ce qui est du licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal constate que la réorganisation n’est pas établie, la qualité de travailleur indépendant de l’épouse n’étant pas prouvée, la société se bornant à déposer une fiche de paie confirmant son statut d’associée active. La reprise des fonctions par cette dernière n’est ainsi pas avérée. De même, n’est pas établi le recours à d’autres travailleurs indépendants, de telle sorte que le motif apparaît inexact. Par contre, se confirme l’irritation du nouveau gérant quant à l’incapacité de travail de la demanderesse.

Les motifs n’étant nullement étayés par des pièces ou des éléments concrets, le principe de l’indemnité est acquis et le tribunal alloue le maximum autorisé, étant dix-sept semaines. Les critères pris en compte sont l’âge (57 ans à l’époque), les spécificités du secteur (distribution de mazout), le « know-how » (l’employée étant l’ancienne exploitante de la société), son ancienneté (quatre ans en tant qu’employée et beaucoup plus longtemps en réalité).

Pour ce qui est de la discrimination basée sur l’état de santé, par contre, après avoir rappelé la jurisprudence de la C.J.U.E. (arrêts CHACÓN NAVAS et DAOUIDI), le tribunal considère que le fait que la société ait licencié l’employée au moment où elle était en incapacité de travail ne suffit pas à faire naître une présomption de discrimination fondée sur le fait que le licenciement est intervenu en raison de l’état de santé. Par ailleurs, il n’y a pas handicap au sens du droit européen et, pour le tribunal, le licenciement serait davantage intervenu suite à la contrariété de l’employeur du fait de l’incapacité survenue en période de travail intense et du fait de l’obligation de payer le salaire garanti que par l’état de santé en lui-même. Pour le tribunal, cet état d’incapacité n’était pas récurrent et l’employeur n’était pas au fait de problèmes de santé plus sérieux de l’intéressée.

De même, pour le licenciement abusif, le tribunal rappelle l’exigence d’une faute dans le chef de l’employeur. Cette faute n’est pas retenue, la situation étant davantage attribuée à une détérioration des relations entre les parties depuis quelques mois (ayant été exacerbée par l’absence de l’intéressée, le fait qu’elle serait partie en vacances pendant son incapacité et qu’elle n’aurait pas été présente lors de la visite du médecin-contrôle).

Le tribunal ne retient pas d’abus de droit.

Pour ce qui est des avantages, la demanderesse n’établit pas son droit à des titres-repas. Par contre, pour les éco-chèques, le tribunal rappelle la CCT nationale n° 98 et l’existence de conventions collectives sectorielles (tant dans la CP 218 que dans la CP 200) sur la question. Il retient ici que la partie défenderesse ne soulève pas un argument de prescription (la demande ayant été formée par voie de conclusions plus d’un an après la fin des relations contractuelles). Il est fait droit à la demande, au motif que cette question n’est pas d’ordre public.

Intérêt de la décision

Dans cette affaire, sont une nouvelle fois soumises au juge diverses demandes d’indemnités, réclamées eu égard aux conditions et motifs du licenciement.

Le tribunal fait une application nuancée de chacune des analyses à faire eu égard aux textes et principes applicables.

Pour ce qui est de la CCT 109, qui ne vise que le motif du licenciement, la chose semble évidente, dans la mesure où des pièces ne sont pas déposées confirmant l’existence d’une réorganisation et, à cet égard, l’on ne peut que trop insister sur la nécessité pour l’employeur de constituer un dossier dûment étayé, afin de permettre la vérification par le tribunal de l’existence du motif invoqué.

Pour ce qui est de l’état de santé, le tribunal fait une distinction en l’espèce entre une période d’incapacité de travail (apparemment isolée ou en tout cas qui n’est pas de longue durée) et l’état de santé en lui-même.

IL retient les conséquences de l’absence de la travailleuse sur le fonctionnement de l’entreprise, ainsi que des questions purement factuelles (absence). Sur le plan des principes, il réaffirme que l’existence d’une incapacité de travail ne crée pas une présomption de licenciement discriminatoire.

Enfin, sur l’abus de droit, la solution est classique, étant que la travailleuse n’établit pas une faute dans les circonstances du licenciement, qui donnerait lieu à des dommages et intérêts de ce chef.

L’on notera – sur un point tout à fait spécifique – que le tribunal a soulevé une question de prescription annale. Nous renvoyons, sur cette question, à un jugement du Tribunal du travail du Hainaut (Trib. trav. Hainaut, div. Tournai, 15 juin 2018, R.G. 17/711/A – précédemment commenté), qui a retenu la prescription quinquennale en cas de non-paiement d’éco-chèques.


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