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Rémunération de base en cas d’accident du travail d’un jeune de plus de 18 ans en formation professionnelle agréée par les classes moyennes

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 mars 2018, R.G. 2016/AB/112

Mis en ligne le jeudi 13 décembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 26 mars 2018, R.G. 2016/AB/112

Terra Laboris

Par arrêt du 26 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles rejette l’application de l’arrêté royal du 18 avril 2000 fixant les conditions spéciales de calcul de la rémunération de base pour l’application de la loi du 10 avril 1971 à certaines catégories de travailleurs en ce qu’il fixe une rémunération inférieure pour ceux-ci, et ce au motif de l’absence d’habilitation du Roi pour ce faire.

Les faits

Une procédure a été introduite par une victime d’un accident du travail devant le Tribunal du travail de Nivelles, en vue de fixer les séquelles de celui-ci.

Il s’agit d’un accident grave, pour lequel l’expert judiciaire désigné a conclu à un taux d’I.P.P. de 80% et à la nécessité d’une aide de tiers de 26%, ainsi qu’à la nécessité d’orthèses, de traitements médicamenteux-physiques et d’un suivi médical.

Les conclusions du rapport d’expertise ont été entérinées. L’assureur-loi a cependant interjeté appel, d’une part sur le degré de nécessité de l’aide de tiers, mais également sur la détermination du salaire de base. Le tribunal a en effet écarté comme illégal et contraire à l’article 38 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, ainsi qu’aux articles 7 et suivants de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, l’article 4 de l’arrêté royal du 18 avril 2000 fixant les conditions spéciales de calcul de la rémunération de base pour les jeunes de plus de 18 ans qui suivent une formation de chef d’entreprise organisée par les classes moyennes. Cette disposition fixe, en effet, la rémunération de base de manière spécifique pour les jeunes de plus de 18 ans suivant une telle formation.

L’assureur considère que cette disposition ne doit pas être écartée et en demande l’application.

La décision de la cour

La cour se penche en premier lieu sur la question de l’aide de tiers. Il s’agit d’une discussion de fait, l’expert judiciaire ayant donné son appréciation sur la pénibilité pour l’intéressé d’accomplir certaines actions et certains gestes. La cour rejette l’appel de l’assureur, considérant que l’expert a parfaitement motivé son avis.

En ce qui concerne la rémunération de base, l’accident étant intervenu en 2002, le travailleur demande qu’il soit fait application du plafond existant à ce moment, étant de 25.386,29 EUR. Il s’agit du plafond général et la victime demande confirmation de la position du tribunal. Les attendus les plus importants du jugement sont repris dans l’arrêt. Le tribunal y avait considéré que l’arrêté royal, qui ajoute une nouvelle exception à une règle fixée par une disposition légale et qui, ce faisant, modifie celle-ci, excède les compétences attribuées au Roi par les articles 105 et 108 de la Constitution (avec renvoi à la jurisprudence du Conseil d’Etat).

Or, tel est le cas en l’espèce, puisque l’article 38 de la loi vise deux catégories particulières de travailleurs, étant les apprentis et les mineurs d’âge. Le régime applicable à ces derniers est repris, étant un calcul spécifique tant pour l’incapacité temporaire que pour l’incapacité permanente. Le tribunal relève que cet article n’attribue aucun pouvoir au Roi pour créer de nouvelles catégories de travailleurs, soulignant qu’en vertu de l’article 39, alinéa 4, LAT, le Roi peut seulement modifier les montants de rémunération après avis du Conseil National du Travail. Or, cet arrêté royal a fixé des plafonds sans que cet avis ne soit demandé et, en sus, pour une catégorie de travailleurs inexistante dans la loi, à savoir des jeunes de plus de 18 ans qui suivent une formation de chef d’entreprise organisée par les classes moyennes. Il écarte dès lors la disposition et admet le calcul de la rémunération de base de la victime.

La cour reprend, ensuite, les arguments des parties et les met en balance.

Pour l’assureur, l’article 3 de la loi permet au Roi d’étendre l’application de la loi à d’autres catégories de personnes, de telle sorte que la position du premier juge selon laquelle une nouvelle catégorie de travailleurs était visée n’est pas correcte. En outre, la même disposition permet de fixer des conditions spéciales pour l’application de la loi à certaines catégories de personnes. Pour ce qui est des articles 38 et 39, aliéna 3, de la loi, l’appelante considère qu’ils ne s’appliquent pas.

Pour la victime, comme le relève expressément la cour – qui reprend le texte de son argumentation à cet égard –, l’habilitation de l’article 3, qui figure au nombre des dispositions relatives au champ d’application ratione personae, vise en réalité le pouvoir donné au Roi d’étendre au-delà des catégories existantes son champ d’application à d’autres. En ce qui concerne les modalités spéciales, visées à l’article 3, 2°, elles concernent l’application de la loi à certaines catégories de personnes. Le texte est d’ordre public et ne souffre aucune forme d’interprétation. L’objet de l’habilitation se limite à étendre l’application à d’autres catégories de personnes, fût-ce par le biais de conditions spéciales, ce que ne fait pas l’arrêté royal du 18 avril 2000. Il souligne encore que les jeunes de plus de 18 ans suivant une formation de chef d’entreprise organisée par les classes moyennes ne constituent pas une catégorie, mais que ceux-ci sont directement visés par la loi au titre de travailleurs. Le Roi ne pouvait dès lors prendre la mesure critiquée.

Pour la cour, à supposer que l’article 4 de l’arrêté royal eut pu être appliqué, ce qu’elle rejette, constatant que l’analyse faite par le demandeur est pertinente et qu’elle n’est pas sérieusement contredite par l’assureur, il n’en demeure pas moins que l’application de cette disposition serait susceptible d’entraîner une discrimination injustifiée entre les apprentis visés par les articles 38 et 39, alinéa 1, et la catégorie des travailleurs de plus de 18 ans qui suivent une formation de chef d’entreprise organisée par les classes moyennes.

La cour fait dès lors droit à la position de la victime, admettant l’application des barèmes de la commission paritaire n° 124, étant que doit être retenu le barème supérieur de la convention collective, au motif qu’elle devait accéder à un travail de responsabilité et que ce barème correspondait à ses fonctions.

L’appel de l’assureur-loi est dès lors rejeté.

Intérêt de la décision

Cet arrêt nous semble être le premier à examiner la question de la légalité de l’arrêté royal du 18 avril 2000, en son article 4, puisqu’il y a ici dérogation en défaveur d’une catégorie de travailleurs nouvelle, s’agissant de jeunes majeurs en formation dans le cadre des classes moyennes.

Comme le tribunal, la cour a conclu à l’illégalité de la mesure, puisque le Roi n’avait pas été habilité à fixer des règles spécifiques pour cette catégorie particulière de travailleurs.

L’on notera encore que tant le premier juge que la cour ont rappelé l’interprétation à donner à l’article 3 de la loi du 10 avril 1971, étant que le Roi peut étendre les catégories de personnes visées par rapport à celles figurant dans les articles 1er, 2 et 5, 1°. Il s’agit d’une question de champ d’application ratione personae du texte et non d’une faculté donnée au Roi de modifier les règles d’indemnisation en défaveur de personnes qui ne sont pas reprises par la loi elle-même comme travailleurs se trouvant dans une situation spécifique.


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