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Prestations aux personnes handicapées : un nouveau rappel des obligations contenues dans la Charte de l’assuré social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/419

Mis en ligne le vendredi 14 décembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/419

Terra Laboris

Dans un arrêt du 5 mars 2018, reprenant sa jurisprudence constante, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à l’enseignement de la Cour de cassation du 23 novembre 2009, quant à l’obligation pour une institution de sécurité sociale de communiquer d’initiative à l’assuré social un complément d’information nécessaire, sans que l’assuré ait préalablement fait par écrit une demande d’information concernant ses droits et obligations.

Les faits

Une bénéficiaire d’une allocation de remplacement de revenus et d’une allocation de d’intégration de catégorie 1 sollicite, trois ans après l’octroi de celles-ci, une carte de stationnement. La décision médicale du médecin-délégué de l’Etat belge conclut à une réduction d’autonomie de 10 points.

Le SPF notifie, en conséquence, une décision à l’intéressée dans laquelle il constate qu’elle satisfait aux critères requis, la réduction de capacité de gain étant admise pour une durée indéterminée, de même que la réduction d’autonomie de 10 points.

Le détail de ces points est donné.

Treize mois plus tard, l’intéressée introduit une nouvelle demande de prestations. Le SPF notifie sa décision, suite à cette demande, deux mois plus tard et admet le nouveau calcul au 1er du mois précédant la décision elle-même.

L’intéressée introduit un recours devant le tribunal, considérant avoir droit à des arriérés d’allocations d’intégration. Elle est en effet passée de la catégorie 1 à la catégorie 2.

Le tribunal la déboute dans un jugement du 19 février 2017, considérant qu’elle ne peut puiser dans l’attestation précédemment délivrée (à propos de la carte de stationnement) le droit à des arriérés, aucune demande d’allocation n’ayant été formellement introduite à l’époque.

Appel est interjeté.

L’avis de M. l’Avocat général

Dans son avis, M. l’Avocat général renvoie au principe de la polyvalence des demandes, ainsi qu’au devoir de conseil du SPF et à son obligation d’examiner d’office le droit aux différentes prestations lorsque c’est possible. Il met ces règles en parallèle avec le principe dispositif et le principe du préalable administratif, concluant que ceux-ci ne sont pas incompatibles et que le SPF aurait dû examiner la question.

Il suggère à la cour de permettre à l’Etat de ce faire et subsidiairement, il suggère une question préjudicielle à poser à la Cour constitutionnelle, étant de savoir si l’article 2, alinéa 1er, 1° de la Charte viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il ne s’applique pas aux avantages sociaux et fiscaux aux personnes handicapées, s’agissant en l’espèce de la carte de stationnement visée à un arrêté royal du 1er décembre 1975 en matière de police de la circulation routière.

La décision de la cour

Après avoir rejeté un incident vu un désistement d’instance exprimé par l’intéressée précédemment, désistement que la cour rejette vu le caractère d’ordre public de la réglementation, le problème de fond est abordé.

Pour la cour, la demande de carte de stationnement ne vaut pas comme demande d’allocations. Cependant, se tournant une nouvelle fois vers les obligations d’information mises à charge des institutions de sécurité sociale par la Charte de l’assuré social, elle pose la question de savoir si l’Etat belge n’aurait pas dû informer l’intéressée de la nécessité d’introduire une nouvelle demande, puisque l’examen médical pratiqué à l’époque faisait apparaître une réduction d’autonomie plus importante.

Pour la cour, s’applique à toute personne et à toute institution de sécurité sociale, ce qui est le texte de son article 1er. Le SPF sécurité sociale est une institution de sécurité sociale et l’intéressée est bénéficiaire d’allocations dans ce régime.

Après le rappel de l’article 3, qui prévoit une obligation d’information dans le chef des institutions de sécurité sociale, la cour renvoie à l’arrêt capital de la Cour de cassation du 23 novembre 2009 (Cass., 23 novembre 2009, C.07.0115.F), où celle-ci enseigne qu’un complément d’information doit être donné, dans la mesure où il est nécessaire à l’examen de la demande ou au maintien des droits de l’assuré social, celui-ci n’étant pas subordonné à la condition que l’assuré social ait préalablement demandé par écrit une information relative à ses droits et ses obligations.

La cour rappelle qu’existe également une obligation de conseil, celle-ci étant contenue à l’article 4. Il découle de ce texte qu’à partir du moment où la décision du médecin-délégué de l’Etat belge a été rendue et que celle-ci concluait à la possibilité d’une prestation plus élevée, l’Etat belge avait l’obligation d’informer l’intéressée de la nécessité d’introduire une nouvelle demande d’allocation d’intégration. L’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière d’allocations aux personnes handicapées prévoit en effet que, si une nouvelle demande est introduite dans les trois mois suivant la survenance d’un fait qui justifierait l’octroi ou la majoration de la prestation (ou la date à laquelle le demandeur en a eu connaissance), la nouvelle décision à intervenir peut produire ses effets immédiatement, étant le premier jour du mois qui suit la date visée en premier lieu et au plus tôt le premier jour du mois qui suit la même date que celle de la décision à modifier.

Pour la cour, la question de savoir si la carte de stationnement rentre ou non dans le champ d’application de la Charte n’est pas pertinente, puisque l’intéressée est bénéficiaire des allocations et que de ce fait elle bénéficie également des dispositions de la loi.

La cour rejette également l’argumentation de l’Etat belge selon laquelle une demande de stationnement ne vaut pas demande d’allocations. Il y a lieu de retenir une faute dans le chef de l’état ainsi qu’un dommage et un lien de causalité. Le préjudice est la perte des allocations d’intégration majorées depuis la date à laquelle celles-ci auraient pu intervenir. Ces allocations sont accordées, par voie de conséquence.

Intérêt de la décision

C’est une nouvelle fois la combinaison des dispositions de la Charte (avec le rappel de l’arrêt capital sur la question rendu par la Cour de cassation le 23 novembre 2009) qui reçoit une stricte application dans cette espèce.

Rappelons ici une autre espèce (relative à une demande d’allocations d’interruption dans le cadre d’un crédit-temps), la Cour du travail de Bruxelles a également jugé dans un arrêt du 14 mars 2018 (C. trav. Bruxelles, 14 mars 2018, R.G. n° 2015/AB/1186 - précédemment commenté) que, même si le droit à une prestation n’existe pas - la réglementation du secteur ne le permettant pas vu le non accomplissement d’une des conditions légales -, il peut s’avérer que l’institution de sécurité sociale n’a pas respecté le principe de bonne administration (principe de prudence et devoir de minutie), dont l’essence a été transposée dans la Charte de l’assuré social. L’existence d’un manquement à ces principes généraux ou au texte de la Charte peut néanmoins ouvrir le droit à la prestation en cause, si est retenue une faute en lien de causalité avec le dommage.

Si, dans l’espèce tranchée le 14 mars 2018, il s’agissait d’une récupération d’allocations d’interruption – décision dont la cour a prononcé l’annulation – l’on notera que dans la présente espèce, ce qui est alloué au titre de réparation du dommage est la prestation elle-même, la cour du travail condamnant l’Etat belge à octroyer à l’intéressée les arriérés d’allocations en cause, étant la différence entre le montant de l’allocation d’intégration en catégorie 1 et celui en catégorie 2 pour la période litigieuse.


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