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Notion de sécurité sociale dans le cadre de l’Accord euro-méditerranéen du 27 février 1996 conclu entre les Communautés européennes et les Etats membres d’une part et le Royaume du Maroc de l’autre

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2016/AB/1.188

Mis en ligne le vendredi 21 décembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2016/AB/1.188

Terra Laboris

Par arrêt du 5 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la notion de sécurité sociale au sens de l’Accord euro-méditerranéen, reprenant la jurisprudence de la Cour de Justice quant au contenu de l’article 65, étant qu’il couvre les allocations pour handicapés.

Les faits

Une personne de nationalité marocaine, inscrite au registre des étrangers depuis 2009, introduit une demande d’allocations dans le régime résiduaire des prestations aux personnes handicapées.

Elle a travaillé en Belgique, dans le courant de l’année 2010.

La demande est faite en juin 2015. Celle-ci est rejetée, le dossier n’étant pas documenté à suffisance. La décision administrative se fonde ainsi sur les conditions médicales, qu’elle considère comme n’étant pas remplies.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles et celui-ci déboute l’intéressée par jugement du 30 novembre 2016. Le recours est rejeté au motif du non-accomplissement de la condition légale de nationalité. Pour le tribunal, il n’est en effet pas satisfait à l’article 4 de la loi du 2 février 1987.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour reprend le libellé de l’article 4, § 1er, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées. Celui-ci pose une double condition : résidence réelle en Belgique et nationalité. Pour les ressortissants marocains, algériens ou tunisiens, dans la mesure où ils satisfont aux conditions du Règlement CE n° 1408/71, la condition de nationalité est remplie. L’arrêté royal du 17 juillet 2006 exécutant l’article 4, § 2, de la loi (qui permet au Roi, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, d’étendre l’application de la loi à d’autres catégories de personnes) permet l’octroi des allocations aux ressortissants d’autres Etats (Islande, Lichtenstein, Norvège et Suisse), de même qu’au conjoint, cohabitant légal ou autres membres de la famille d’une personne visée à l’article 4, § 1er (ou encore d’un ressortissant d’un Etat visé à cet article mais qui ne serait pas lui-même ressortissant de celui-ci), et qui ont leur résidence réelle en Belgique.

La notion de membre de la famille est précisée. Il s’agit des enfants mineurs, des enfants majeurs, des pères, mères, beaux-pères et belles-mères à charge du ressortissant, c’est-à-dire qui vivent sous le même toit et qui sont à charge au sens de la législation AMI.

Pour les ressortissants marocains, existe plus spécifiquement l’Accord euro-méditerranéen du 27 février 1996, accord d’association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres d’une part et le Royaume du Maroc, de l’autre. Il prévoit, pour les travailleurs de nationalité marocaine et pour les membres de leur famille résidant avec eux, la garantie de l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine de la sécurité sociale. Il s’agit des branches AMI (maladie, maternité et invalidité), vieillesse, droit des survivants en matière de risques professionnels, ainsi que pour les prestations de chômage et les allocations familiales.

La cour rappelle que le tribunal du travail avait par le passé posé une question préjudicielle à la Cour de Justice à propos d’un ressortissant marocain atteint d’une incapacité de travail consécutive à un accident du travail et qui, résidant en Belgique depuis plus de 5 ans, sollicitait le bénéfice d’une allocation pour handicapés. La Cour de Justice rendit un arrêt le 20 avril 1994 (C.J.U.E., 20 avril 1994, Aff. n° C-58/93, YOUSFI c/ ETAT BELGE), où elle précisa que l’accord (précédent) de coopération de 1976 ne pourrait avoir un contenu différent que celui du Règlement 1408/71 et que les allocations pour handicapés du type de celles de l’espèce relèvent du domaine de la sécurité sociale au sens de l’accord.

Elle a ensuite rendu une ordonnance, le 13 juin 2006 (C.J.U.E., 13 juin 2006, Aff. n° C-336/05, ECHOUIKH c/ SECRETAIRE D’ETAT AUX ANCIENS COMBATTANTS), concernant l’Accord d’association du 27 février 1996, où elle a décidé que, l’article 65 de celui-ci étant rédigé à l’identique de l’article 41 de l’accord de coopération du 25 avril 1976, la jurisprudence de la Cour de Justice quant à l’effet direct de ce dernier est pleinement transposable. De même, la jurisprudence de la Cour (la cour du travail renvoyant aux arrêts KZIBER et à une ordonnance ALAMI) pour ce qui est de la notion de travailleurs. Il s’agit à la fois des travailleurs actifs et de ceux qui ont quitté le marché du travail après avoir atteint l’âge de la pension ou après avoir été victimes d’un des risques ouvrant le droit à des prestations de sécurité sociale.

En l’occurrence, la cour du travail fait grief à l’intéressée de ne pas prouver qu’elle satisfait à la condition de l’article 4, § 1er, 3°, qui inclut dans le champ d’application de la loi les citoyens marocains (notamment) qui satisfont au Règlement n° 1408/71. En effet, il n’y a pas lieu d’appliquer les règles de coordination vu que l’intéressée n’a pas exercé son droit à la libre circulation. Les critères de rattachement en l’espèce n’existent qu’avec un pays tiers et un seul Etat membre. Dès lors que tous les éléments d’une situation se cantonnent à l’intérieur d’un seul Etat, ou lorsque la situation du travailleur présente uniquement des rattachements avec un pays tiers et un seul Etat membre, l’article 51 du Traité CEE et le Règlement de coordination ne s’appliquent pas. La cour du travail renvoie à la jurisprudence de la Cour de Justice sur la question.

La cour examine ensuite si l’intéressée répond aux conditions de l’Accord d’association, puisque celui-ci interdit toute discrimination fondée sur la nationalité. Se pose la question de savoir si l’intéressée a la qualité de travailleur au sens de celui-ci. La cour constate que cette qualité n’existe pas, dans la mesure où les conditions ci-dessus ne sont pas remplies, étant qu’elle n’a pas quitté le marché du travail après avoir été victime de l’un des risques ouvrant le droit à des prestations de sécurité sociale au sens de la jurisprudence de la Cour de Justice.

La cour rejette dès lors l’appel, vu ces constatations. Elle retient encore surabondamment l’absence de toute documentation du dossier.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles rappelle un principe important de la coordination en droit européen de la sécurité sociale, étant que les dispositions du Règlement 1408/71, ainsi que 883/2004, ne visent pas la situation d’un travailleur dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul Etat membre.

Dans plusieurs décisions (C.J.U.E., 20 octobre 1993, Aff. n° C-297/92, BAGLIERI ; C.J.U.E., 29 juin 1994, Aff. n° C-60/93, ALDEWERELD ; C.J.U.E., ord., 17 avril 2007, Aff. n° C-276/06, EL YOUSSFI c/ O.N.P.), la Cour a jugé que la même solution vaut en cas de rattachement avec un pays tiers et un seul Etat membre.

Ne remplissant par ailleurs pas la condition de l’Accord d’association quant à la définition des travailleurs rentrant dans son champ d’application (à savoir qu’il s’agit des travailleurs actifs et de ceux qui ont quitté le marché du travail après avoir atteint l’âge de la pension ou après avoir été victimes d’un des risques ouvrant le droit à des prestations de sécurité sociale), l’intéressée ne peut en l’espèce se fonder sur ce texte non plus. L’on notera qu’il devrait s’agir d’établir qu’il y a eu sortie du marché du travail et que celle-ci est intervenue après que le travailleur a été victime d’un des risques ouvrant le droit à des prestations de sécurité sociale.


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