Terralaboris asbl

Contrôle judiciaire des motifs d’ordre économique ou technique de licenciement dans le cadre de la loi du 19 mars 1991

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 avril 2018, R.G. 2016/AB/1.168

Mis en ligne le mardi 29 janvier 2019


Cour du travail de Bruxelles, 10 avril 2018, R.G. 2016/AB/1.168

Terra Laboris

Par arrêt du 10 avril 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les étapes du contrôle judiciaire dans la reconnaissance de l’existence de motifs d’ordre économique ou technique invoquée à l’appui d’une demande d’autorisation de licenciement de travailleurs protégés au sens de la loi du 19 mars 1991.

Les faits

Suite à la reprise d’un grand hôtel bruxellois, une société décide 2 mois plus tard d’une restructuration avec licenciement collectif. La procédure Renault démarre, avec la phase de consultation. Un incident intervient au cours d’une réception et la société entame parallèlement une procédure de demande de reconnaissance de motif grave dans le chef de trois travailleurs protégés. Le tribunal n’accorde pas l’autorisation de licencier (et sa décision sera confirmée par la cour). L’arrêt date du 14 février 2014.

Dans le cadre de la procédure Renault, un protocole d’accord a entre-temps été signé avec les trois organisations syndicales, avec un plan social. Deux accords d’entreprise sont conclus, l’un fixant les modalités du plan pour les travailleurs et l’autre concernant les conditions de travail en vigueur dans l’entreprise.

Une demande de reconnaissance de motifs d’ordre économique et technique est introduite par la société concernant notamment un des travailleurs faisant l’objet de la demande de reconnaissance de motif grave.

Les motifs d’ordre économique sont retenus par la commission paritaire et les travailleurs visés sont licenciés, à l’exception notamment du demandeur (vu la procédure judiciaire pendante).

En avril 2014, la société est reconnue comme entreprise en restructuration pour la période du 27 février 2013 jusque et y compris le 31 décembre 2014.

Dans le cadre du licenciement collectif et eu égard à l’obligation de mettre sur pied une cellule pour l’emploi (prévue dans le plan social), le demandeur est invité à un entretien individuel. Il ne s’y rend pas. La société lui transmet l’information légale par voie recommandée. Il est ensuite licencié le 21 mars 2014. L’intéressé demande sa réintégration, mais celle-ci est refusée au motif que la fonction a été supprimée.

Il introduit alors une procédure devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, réclamant notamment une indemnité de protection et des dommages et intérêts pour abus de droit de licencier.

Le tribunal du travail rejette sa demande par jugement du 3 octobre 2016, jugement contre lequel il interjette appel.

La décision de la cour

Sur la reconnaissance des motifs d’ordre économique ou technique, la cour reprend l’article 3, §§ 1er, 2 et 3, de la loi du 19 mars 1991. Vu que la disposition légale ne vise pas la possibilité d’un recours judiciaire contre une décision de la commission paritaire (admission ou rejet) des motifs invoqués par l’employeur, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt le 8 juillet 1993 (C. const. 8 juillet 1993, n° 57/93), où elle a conclu qu’existe une disproportion en ce que, lorsque l’organe paritaire se prononce dans le délai légal, aucun recours juridictionnel n’est prévu contre sa décision. Elle a considéré qu’il est ainsi porté atteinte de manière discriminatoire au droit qu’a toute personne, en vertu de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à ce qu’une décision déterminant ses droits civils puisse être soumise au juge.

Cette motivation est reprise expressément dans l’arrêt de la cour du travail, qui précise que cette situation est celle de l’espèce, puisque l’intéressé réclame notamment le paiement d’une indemnité de protection, étant une demande touchant à un droit subjectif qui doit pouvoir être présentée au tribunal du travail.

En ce qui concerne la mission du juge dans le contrôle judiciaire des raisons d’ordre économique ou technique, doctrine et jurisprudence considèrent qu’il peut uniquement vérifier la réalité de ceux-ci et non l’opportunité de la mesure prise par l’employeur (référence étant faite à D. VOTQUENNE et C. WANTIEZ, Beschermde werknemers – 10 jaar toepassing van de wet van 19 maart 1991, Bruxelles, Larcier, 2002, n° 64, pp. 92-93, et, pour la jurisprudence, à C. trav. Bruxelles, 10 octobre 2014, R.G. 2014/AB/839).

Pour la cour, le mécanisme de l’article 3, §§ 2 et 3, implique de procéder en trois étapes, sur le plan de la preuve, étant que la société doit établir (i) qu’au sein de l’entreprise existent des motifs de cette nature qui imposent une diminution du personnel, (ii) que la décision de licenciement est la conséquence des motifs invoqués et n’est pas influencée par le fait que le travailleur est représentant du personnel et (iii) qu’il n’y a pas eu de discrimination dans la mesure prise, du fait de la mission exercée, et ce eu égard à la situation des autres travailleurs.

La cour procède, ainsi, à la vérification des éléments de preuve requis. Elle conclut en l’espèce à la réalité des motifs invoqués, ainsi qu’au fait que la décision de licenciement est la conséquence de ceux-ci. Elle vérifie, en outre, la question de la discrimination par rapport aux autres travailleurs. Elle constate que certains avaient également la qualité de travailleur protégé et que, de ce chef, il ne peut y avoir de discrimination liée au mandat. Pour ce qui est de la comparaison avec les travailleurs non protégés qui ont été licenciés, l’intéressé n’établit pas l’existence d’une discrimination.

La cour conclut à l’absence de droit à une indemnité de protection ainsi qu’à l’absence de caractère abusif du licenciement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, du 10 avril 2018, reprend les étapes du contrôle judiciaire dans la vérification de l’existence de motifs d’ordre économique ou technique. Il rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle (alors Cour d’arbitrage) du 8 juillet 1993, qui avait admis le droit de saisir le juge de la contestation.

L’arrêt de la cour du travail est légèrement postérieur à un récent arrêt de la Cour de cassation sur la question (Cass., 12 mars 2018, n° S.15.0060.N). La Cour y a jugé qu’il découle de l’arrêt n° 57/93 du 8 juillet 1993 de la Cour constitutionnelle que le travailleur ou l’employeur doivent pouvoir soumettre la décision de l’organe paritaire au juge. Lorsque, dans le cadre d’une demande formée par le travailleur d’obtenir une indemnité de protection eu égard à l’irrégularité du licenciement pour des motifs économiques ou techniques, la juridiction du travail doit examiner la décision de l’organe paritaire qui a admis ceux-ci, elle exerce un contrôle de pleine juridiction sur l’existence de ces motifs. Ce contrôle n’implique pas d’apprécier l’opportunité des mesures prises par l’employeur pour les rencontrer. Les mesures à prendre dans de telles situations ne doivent par ailleurs pas être limitées aux hypothèses de fermeture de l’entreprise ou d’une division de celle-ci ou de licenciement d’une catégorie déterminée de personnel.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be