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Cohabitation légale : y a-t-il dans le secteur public un droit à l’interruption de carrière pour s’occuper d’un parent du cohabitant ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 avril 2018, R.G. 2018/AB/329

Mis en ligne le mardi 12 février 2019


Cour du travail de Bruxelles, 5 avril 2018, R.G. 2018/AB/329

Terra Laboris

Dans un arrêt rendu le 5 avril 2018, la Cour du travail de Bruxelles conclut à l’absence de droit pour un cohabitant légal de bénéficier d’une interruption de carrière avec octroi des allocations, dans le cadre de l’arrêté royal du 19 novembre 1998 relatif aux congés et aux absences accordées aux membres du personnel des administrations de l’Etat, dans la mesure où cette hypothèse n’est pas prévue de manière expresse dans le texte.

Les faits

Une fonctionnaire ayant le statut de cohabitante légale fait une demande d’interruption de carrière complète avec paiement des allocations, et ce pour une période de trois mois. L’objectif est d’apporter des soins au père de son compagnon.

L’ONEm refuse, au motif que l’intéressée n’est pas mariée et n’a aucun lien de parenté avec le père son compagnon, qui ouvrirait le droit à des allocations pour interruption de carrière.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, qui le rejette.

Le premier juge considère en effet que le droit de bénéficier d’allocations d’interruption de carrière pour ce qui est des fonctionnaires fédéraux n’est pas réglé par l’arrêté royal du 7 mai 1999, mais par celui du 19 novembre 1998 relatif aux congés et aux absences accordées aux membres du personnel des administrations de l’Etat. Il examine la contestation à la lumière de cette réglementation et conclut qu’il n’y a aucun droit aux indemnités dans le chef de l’intéressée, se référant à l’article 117, § 2, qui vise l’assistance ou l’octroi de soins à un membre du ménage ou à un membre de la famille jusqu’au deuxième degré qui souffre d’une maladie grave. Le père du cohabitant légal n’est pas, sur le plan juridique, un parent.

Appel est interjeté et la cour est saisie de cette question de droit.

Moyens des parties devant la cour

L’appelante estime, quant au fond, que l’article 117, § 2, ci-dessus, doit être lu en parallèle avec l’article 2, § 3, 1°, du même arrêté (tel que modifié par un arrêté royal du 14 novembre 2011). En vertu de cette disposition, sont assimilés au mariage l’enregistrement d’une déclaration de cohabitation légale par deux personnes de sexe différent ou de même sexe qui cohabitent en tant que couple. Pour l’intéressée, la cohabitation légale est dès lors assimilée au mariage. Elle peut dès lors prétendre aux allocations d’interruption pour le congé demandé aux fins d’apporter des soins au père de son compagnon.

Quant à l’ONEm, il sollicite la confirmation du jugement, plaidant que la notion de parenté a une signification spécifique sur le plan juridique et qu’elle exige un mariage au sens strict du terme. Un parent est une personne consanguine du partenaire dans le mariage.

La décision de la cour

La cour reprend la règle applicable aux fonctionnaires fédéraux. En vertu de l’article 117, § 2, de l’arrêté royal, l’agent peut interrompre sa carrière en vertu des articles 100 et 102 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 portant des dispositions sociales pour l’assistance ou l’octroi de soins à un membre de son ménage ou à un membre de sa famille jusqu’au deuxième degré qui souffre d’une maladie grave, par périodes consécutives ou non d’un mois au moins et de trois mois au plus.

Pour l’application de cette disposition, est considérée comme membre du ménage la personne qui cohabite avec le fonctionnaire et comme membre de la famille, à la fois les parents et les alliés. Pour la cour, même si aucune définition précise n’est contenue dans le Code civil quant à la notion de parenté, il ressort de l’ensemble des dispositions en cause que l’on a voulu viser par là la parenté (à savoir les parents consanguins du partenaire) dans le mariage.

Quant à la modification de l’article 2, § 3, de l’arrêté royal par un arrêté du 14 novembre 2011, la cour en examine la portée.

Le texte prévoit en effet que, pour l’application de l’arrêté, sont assimilés au mariage l’enregistrement d’une déclaration de cohabitation légale par deux personnes de sexe différent ou de même sexe qui cohabitent en tant que couple (§ 3, 1°). Pour la cour, en présence d’un texte clair, il n’y a pas lieu à interprétation mais, lorsque celle-ci est rendue nécessaire, il y a lieu de rechercher l’intention du législateur, et ce dans les travaux préparatoires de la loi (ou de l’arrêté) permettant de déterminer le contexte de la modification décidée.

La cour relève qu’il n’y a pas de Rapport au Roi précédant cet arrêté, mais uniquement un avis du Conseil d’Etat (n° 50.291/3), qui s’est limité, vu l’urgence invoquée par le Roi, à des observations formelles et ne contient aucun commentaire en ce qui concerne l’interprétation de la disposition.

Celle-ci figure en début de texte, de telle sorte qu’elle trouvera son sens lors de l’examen des dispositions venant ensuite et qui sont susceptibles d’être affectées.

Il n’y a, pour la cour, qu’une seule référence à la question, étant celle figurant à l’article 15, qui concerne les congés de circonstance. Diverses hypothèses visent le mariage (de l’agent, d’un enfant de lui-même ou de son conjoint, ainsi que d’un frère, d’une sœur, etc.). Pour la cour, l’hypothèse de l’assimilation au mariage de l’enregistrement d’une déclaration de cohabitation légale doit être limitée à cette disposition. Il ressort de la lecture combinée des deux articles que la volonté du Roi, pour l’assimilation de la déclaration de cohabitation légale au mariage, vise les congés de circonstance, qui se trouvent ainsi élargis à cette nouvelle forme de vie commune. La cour constate qu’il n’est nullement précisé que l’assimilation vaudrait pour l’ensemble des dispositions de l’arrêté et que, si tel avait été le cas, la chose figurerait dans le texte de manière expresse.

Si l’on examine, par ailleurs, les règles issues du principe d’égalité contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution, la cour renvoie à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui a, dans divers arrêts, rappelé que la situation juridique dans chacune de ces deux hypothèses est distincte. Il s’agit d’un choix de vie commune fait par les personnes et ce choix entraîne des conséquences différentes, étant des avantages et des désavantages. Les personnes doivent assumer les conséquences de celui-ci.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Le principe est constant et il est régulièrement réaffirmé.

La Cour constitutionnelle avait, ainsi, notamment été amenée à se pencher sur l’article 12juncto, lu avec l’article 5 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail. Dans cet arrêt, elle devait vérifier si les indemnités allouées dans le cadre d’un accident du travail pouvaient viser également le cohabitant légal, en cas d’accident mortel.

Elle a statué par arrêt du 12 mars 2015 (n° 33/2015), examinant également la question de la violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Après avoir repris les obligations des parties telles que prévues dans cette forme de vie commune par les articles 1477, § 3, du Code civil, pour les cohabitants légaux, et 221, alinéa 1er, ainsi que 213 du Code civil pour les conjoints, la Cour avait souligné que le choix du législateur de n’octroyer une indemnité au partenaire qui cohabitait légalement avec la victime d’un accident du travail que lorsque ces partenaires avaient choisi d’établir contractuellement une solidarité qui soit comparable à celle qui découle du mariage repose sur un critère de distinction objectif et pertinent.


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