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Procédure de règlement de l’accident du travail dans le secteur public : discrimination

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 27 février 2018, R.G. 2016/AL/599

Mis en ligne le mardi 12 février 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 27 février 2018, R.G. 2016/AL/599

Terra Laboris

Par arrêt du 27 février 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) écarte l’application de l’article 9 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, en ce qu’il ne subordonne pas la conclusion de l’accord de la victime à un contrôle de la description des lésions par son médecin.

Les faits

Une accompagnatrice de bus scolaire (Région wallonne) fait un faux mouvement en tentant de porter un enfant. Des cervicalgies sont diagnostiquées. Elle fera l’objet d’une opération chirurgicale (C5-C6).

Les faits sont reconnus par l’administration comme constitutifs d’un accident du travail. Suite aux conclusions du MEDEX (fixant les périodes d’incapacité temporaire, la date de consolidation et un taux d’I.P.P. de 9%), l’intéressée est invitée à marquer son désaccord éventuel, ce qu’elle ne fait pas. La conclusion définitive du MEDEX est alors adressée à la Région wallonne. Celle-ci forme une proposition de rente et l’intéressée marque accord sur celle-ci. L’incapacité est reconnue sur la base de 9%. La rente est fixée à un montant de l’ordre de 1.150 euros.

Deux ans après l’arrêté, l’intéressée (toujours en arrêt de travail) introduit un recours, produisant un rapport médical en vertu duquel la poursuite de l’incapacité temporaire doit être mise à charge de l’accident. Tout en considérant que la consolidation ne peut de ce fait pas encore être acquise, le médecin de recours estime qu’un taux d’incapacité permanente de 25% doit être réservé. Il précisera ensuite qu’il y a une décompensation psycho-affective des suites de l’accident et que celle-ci n’a pas été prise en compte.

Une autre procédure ayant opposé l’intéressée à son organisme assureur AMI, la persistance de l’incapacité temporaire est reconnue. Il ressort d’un rapport d’un sapiteur désigné par l’expert judiciaire dans cette procédure que l’intéressée présente un état dépressif marqué, lié notamment aux douleurs chroniques en rapport avec les séquelles de l’intervention cervicale.

Dans le cadre de la procédure en réparation des séquelles de l’accident, le tribunal du travail a rendu un jugement le 7 septembre 2016. Il estime que l’accord sur la proposition de rente est nul, et ce au motif que la nature des lésions, telle que reprise à l’article 9, § 3, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, n’est pas reprise dans celui-ci.

Un expert judiciaire est désigné.

Appel est interjeté par la Région wallonne. Elle demande que le recours originaire soit déclaré irrecevable ou, à tout le moins, non fondé.

L’intimée sollicite la confirmation du jugement et, à titre subsidiaire, demande à la cour de requalifier sa demande en demande de révision.

La décision de la cour

La cour reprend la procédure de détermination de l’incapacité de travail telle que fixée à l’arrêté royal du 24 janvier 1969 (articles 7 à 9). Rappelant le rôle du MEDEX (fixation du pourcentage de l’I.P.P. résultant des lésions physiologiques, notification au Ministre de la décision motivée relative au pourcentage déterminé), ainsi que de l’administration (vérification des conditions d’octroi, examen des éléments du dommage et proposition d’une rente mentionnant la rémunération de base, la nature de la lésion, la réduction de capacité et la date de consolidation). En cas d’accord de la victime, la proposition faite est reprise dans un arrêté ministériel, qui est notifié à cette dernière.

La cour reprend également le texte de l’article 17, § 2, de la loi du 3 juillet 1967, selon lequel toute convention contraire aux dispositions de la loi est nulle de plein droit.

Elle examine ensuite la question d’une éventuelle discrimination avec le mécanisme existant dans le secteur privé, l’intéressée considérant que celle-ci existe et qu’elle est au détriment des travailleurs du secteur public. Dans le secteur privé, en effet, la décision médicale de l’assureur-loi est soumise à un double contrôle, étant d’une part l’intervention du médecin de la victime, qui doit signer pour accord, et d’autre part le contrôle administratif et médical du Fonds des Accidents du Travail (FEDRIS). La procédure est, dans le secteur privé, fixée à l’article 4 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 fixant les modalités et les conditions de l’entérinement des accords par le F.A.T. et il est prévu à cette disposition que, lorsque le projet d’accord est adressé par l’assureur à la victime, reprenant les indemnités dues en raison de l’accident, celle-ci renvoie un exemplaire signé et joint une déclaration du médecin consulté, dont il ressort qu’il approuve ou non la description des lésions ou les éléments repris dans le rapport de consolidation.

La déclaration du médecin de la victime relative à la description des lésions doit, en vertu de l’article 5 du même arrêté, être jointe obligatoirement à l’envoi du dossier au F.A.T. en vue d’entérinement. Le Fonds intervient alors, informant la victime de la réception de l’accord et lui donnant un délai d’un mois pour réagir. Il procède à toute enquête qu’il estime nécessaire, dont, le cas échéant, l’examen médical. Il peut également informer les parties de la nécessité d’apporter des ajouts ou des modifications et les inviter à présenter un nouvel accord.

Il en découle, pour la cour, que, dans le secteur privé, le médecin de la victime est systématiquement associé à la procédure qui précède la conclusion de l’accord et qu’il doit prendre position par rapport à la description des lésions.

La cour ne peut que constater qu’une telle garantie n’existe pas dans le secteur public.

L’autorité publique faisant valoir certaines différences objectives entre les deux secteurs, la cour renvoie à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur la question, celle-ci ayant à diverses reprises retenu qu’il y a une logique propre aux deux systèmes de réparation et que ceci justifie que des différences existent, mais qu’il y a lieu de vérifier que chaque règle est conforme à la logique du système auquel elle appartient.

Si ceci peut par exemple justifier l’existence de la procédure d’entérinement dans le secteur privé par FEDRIS, la cour signale ne pas apercevoir la raison pour laquelle seuls les travailleurs du secteur privé bénéficient de l’intervention systématique de leur médecin au stade de la conclusion de l’accord. La présence du médecin dans la procédure, dans le cadre de la loi du 10 avril 1971, constitue une véritable garantie et celle-ci ne peut pas être remplacée par une simple pratique administrative, toujours révisable, qui consisterait à inviter la victime, dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967, à faire participer son médecin.

L’intéressée n’a dès lors pas bénéficié des mêmes garanties que celles existant dans le secteur privé. La cour constate qu’il s’agit d’une personne particulièrement vulnérable et qu’il fallait vérifier si elle avait accepté les conclusions du MEDEX et marqué accord en pleine connaissance de cause.

Elle conclut que, dans le cadre de son contrôle de légalité, elle doit vérifier tous les vices de légalité, tant interne qu’externe. Renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 15 mars 2012, R.G. 2008/AB/51.642), elle précise qu’il relève de sa mission de vérifier si, en appliquant la réglementation dans un cas particulier, l’autorité administrative n’a pas violé une norme qui s’impose à elle, notamment le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination.

L’intéressée a, en l’espèce, fait l’objet d’un traitement sensiblement moins favorable que celui auquel ont droit les travailleurs du secteur privé. L’article 9 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 viole dès lors le principe d’égalité et de non-discrimination contenu aux articles 10 et 11 de la Constitution. Cette disposition est écartée et la cour conclut qu’il ne peut être donné aucun effet à la proposition de rente adressée à l’intéressée par l’administration, non plus qu’à l’accord qu’elle a marqué sur celle-ci.

Intérêt de la décision

La comparaison des règles d’indemnisation des accidents du travail dans les deux secteurs a donné lieu à plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle, dans la mesure où les procédures (qui peuvent déjà varier dans le secteur public lui-même) peuvent s’avérer très différentes. La cour du travail renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 21 janvier 2016 (C. const., 21 janvier 2016, n° 9/2016). Il s’agissait d’une question posée par le Tribunal du travail de Gand (division Bruges) en ce qui concerne le plafond de la rémunération de base.

Rappelant dans cette décision sa jurisprudence sur la question, la cour y avait repris l’objectif du législateur (loi du 3 juillet 1967), qui était de donner au personnel des services publics le bénéfice d’un régime comparable à celui qui était déjà applicable dans le secteur privé. Était cependant précisé qu’il n’avait pas été jugé possible ni souhaitable de soumettre les agents des services publics aux mêmes dispositions que les ouvriers et employés du secteur privé, le statut des fonctionnaires comportant des particularités dont il convient de tenir compte et justifiant, dans certains cas, l’adoption de règles propres.

En l’espèce, s’agissant d’une garantie d’importance dans le cours de l’instruction administrative du dossier, la cour du travail dit ne pas apercevoir la justification de l’absence de cette garantie dans le secteur public.

C’est ainsi un très bel arrêt qui est rendu par la Cour du travail de Liège et qui peut certes faire jurisprudence.


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