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Lien de subordination entre concubins et assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 6 juillet 2018, R.G. 17/817/A

Mis en ligne le lundi 25 février 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 6 juillet 2018, R.G. 17/817/A

Terra Laboris

Un jugement du Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai) du 6 juillet 2018 reprend la problématique de l’existence d’un contrat de travail entre des personnes présentant des liens familiaux (ou affectifs) ainsi qu’entre une société et un de ses associés détenant une partie du capital.

Les faits

Une S.P.R.L. (secteur de la construction) est constituée en 2006 entre trois personnes, qui se partagent les parts sociales et sont désignées en tant que gérants. Le siège social est fixé à l’adresse d’une quatrième personne (demandeur dans la présente affaire), qui est en incapacité de travail (secteur salariés). Quelques mois plus tard, celui-ci demande à être autorisé par le médecin-conseil de sa mutuelle à exercer une activité professionnelle dans des limites bien déterminées, ce qui lui est accordé.

Ultérieurement, un des trois gérants démissionne et est engagé comme salarié.

Plus de deux ans plus tard, le demandeur rachète 75% des parts sociales à l’un des deux gérants fondateurs, une Dame S., qui va emménager dans l’immeuble qu’il occupe. Elle le nomme, parallèlement, et ce par acte notarié, mandataire général. Il s’agit pour lui du pouvoir d’accomplir tous actes d’administration et de disposition concernant les biens actuels et futurs de l’intéressée, ainsi que d’assister à toutes assemblées de sociétés et de prendre part aux délibérations.

Le dernier des fondateurs démissionne ensuite de son poste de gérant et devient également salarié.

Le demandeur sollicite, auprès de son organisme assureur A.M.I., de pouvoir exercer la fonction de gérant de la société. Ceci lui est refusé à diverses reprises.

Les parts sociales sont, peu de temps plus tard, rachetées par la Dame S. et celle-ci devient alors propriétaire de la totalité du capital.

Une enquête est menée par les services de contrôle de l’I.N.A.M.I., qui, après audition des deux intéressés, à savoir le demandeur et la Dame S., dresse un Pro Justitia en juillet 2015, suite auquel il sera décidé de mettre un terme à la reconnaissance de l’incapacité à compter de mai 2006, ainsi que des remboursements à intervenir. Une exclusion du droit aux indemnités pour une durée de 180 jours est également prononcée.

Suite au recours introduit par le demandeur, le Tribunal du travail du Hainaut (division de Tournai) est saisi de la question du lien de subordination.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle, avec force renvoi à la jurisprudence de la Cour de cassation ainsi que des cours du travail, le principe relatif à la qualification de la relation de travail, insistant, suite à ce rappel, sur les spécificités du litige. Pour ce rappel des principes, il reprend un arrêt de la Cour du travail de Mons du 7 mai 2014 (C. trav. Mons, 7 mai 2014, R.G. 2012/AM/465 – inédit). Il y a lieu en effet de repréciser les possibilités de conclusion d’un contrat de travail entre des personnes présentant des liens familiaux ainsi qu’entre une société et un de ses associés détenant une part du capital.

L’existence de liens familiaux ou (extra)conjugaux, ainsi que l’exercice d’un mandat dans une société, ne sont pas, en soi, exclusifs d’un lien de subordination entre membres d’une même famille ou entre le mandataire et la société à la gestion de laquelle il participe. S’il existe en jurisprudence une certaine réticence à reconnaître l’existence d’un lien de subordination en présence de liens familiaux ou affectifs, celui-ci doit être reconnu s’il y a autorité juridique exercée par une personne (le gérant ou l’administrateur de la société) sur l’autre (fût-il même gérant de droit ou de fait), l’autorité étant, par exemple, exercée par le Conseil d’Administration. Il est renvoyé à diverses positions doctrinales, dont celle de L. DEAR (L. DEAR, « Le statut social du dirigeant d’entreprise », J.T.T., 2013, pp. 373 et s.).

Cependant, la circonstance que l’administrateur doit rendre compte de sa gestion au Conseil d’Administration n’est pas révélatrice d’un lien de subordination. Si, par ailleurs, un travailleur détient une partie importante (ou non) du capital, ceci n’est pas exclusif du lien d’autorité. Il n’y a dès lors pas d’incompatibilité légale entre d’une part le mandat d’administrateur ou le statut d’associé et d’autre part la qualité de travailleur salarié. Il faut cependant que soit exercée, dans le cadre du contrat de travail, une fonction distincte d’ordre technique, commercial ou administratif et qu’une autorité effective soit exercée sur la personne du travailleur par un organe de la société. Renvoi est ici fait à l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 10 juin 2013 (Cass., 10 juin 2013, J.T.T., 2013, p. 321), selon lequel il appartient à l’O.N.S.S. qui entend procéder à la disqualification du contrat de travail de prouver l’inexistence du lien de subordination.

Reprenant les éléments du dossier, dont les auditions, le tribunal arrive rapidement à la conclusion que l’intéressé était en réalité le « véritable patron » de la société, de telle sorte qu’il ne pouvait travailler sous l’autorité de celle-ci.

Sont repris un ensemble d’indices convergents en ce sens, indices découlant soit d’éléments de fait (l’intéressé étant titulaire – vraisemblablement seul – du portable de la société, celle-ci étant par ailleurs établie à son domicile, et gérant seul la problématique du chômage temporaire notamment), soit des déclarations faites.

Il en découle pour le tribunal que l’intéressé avait tout pouvoir pour représenter la société vis-à-vis des tiers, qu’il hébergeait celle-ci depuis sa création, qu’il en avait détenu un temps la majorité du capital social et gérait le personnel.

Pour le tribunal, l’O.N.S.S. a à bon droit décidé de désassujettir l’intéressé de la sécurité sociale des travailleurs salariés, celui-ci n’ayant manifestement jamais travaillé dans le cadre d’un lien de subordination, dans la mesure où il « se confondait » avec la société.

Il en découle que, n’ayant jamais eu de contrat de travail, l’intéressé ne peut s’appuyer sur la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, ni sur l’arrêté royal du 7 juin 2013 pris en exécution de son article 337/2, § 3, relatif à la nature des relations de travail qui se situent dans le cadre de l’exécution de certains travaux immobiliers.

Enfin, le tribunal retient la prescription de sept ans, s’agissant d’un contexte de fraude à la sécurité sociale, étant le lancement d’une entreprise sans perte du bénéfice des indemnités d’incapacité.

Intérêt de la décision

Dans ce cas d’espèce, le tribunal reprend la question du lien de subordination entre époux ou en cas d’une relation affective entre personnes dont l’une est supposée représenter une société (employeur) et l’autre revendique le statut de travailleur salarié.

Le tribunal aborde également, par le rappel à la jurisprudence de la Cour de cassation et à la doctrine, les principes actuellement admis en ce qui concerne la possibilité de l’existence de ce lien dans l’hypothèse où une même personne est à la fois administrateur de la société et salarié de celle-ci. Pour la doctrine, il faut recourir aux indices révélateurs de l’absence de lien de subordination. Ainsi, la circonstance que l’administrateur doit rendre compte de sa gestion au Conseil d’Administration n’est pas révélatrice d’un lien de subordination. Par ailleurs, si un travailleur détient une part importante (ou non) du capital, ceci n’exclut pas le lien de subordination. Par contre, si l’intéressé est actionnaire majoritaire ou qu’il détient de très larges pouvoirs, à titre personnel ou par l’entremise d’un groupe familial, ceci constitue un tel indice révélateur de l’absence de lien de subordination.

On lira très utilement à cet égard la doctrine citée, étant celle de Ch.-E. CLESSE et celle de X. VLIEGHE (Ch.-E. CLESSE, « Aux frontières de la fausse indépendance », Ors., 2/2009, p. 8 et X. VLIEGHE, « Le lien de subordination entre une société et ses actionnaires ou mandataires », Ors., 4/1991, pp. 111 et s.).


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