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Cotisations de sécurité sociale : délai de prescription et règles de débition sur les avantages rémunératoires

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 5 juillet 2018, R.G. 2017/AN/12

Mis en ligne le mardi 26 février 2019


Cour du travail de Liège (division Namur), 5 juillet 2018, R.G. 2017/AN/12

Terra Laboris

Dans un arrêt du 5 juillet 2018, la Cour du travail de Liège (division Namur) reprend les règles permettant de considérer qu’une lettre recommandée a un effet interruptif, au sens de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969. Elle statue également sur la notion de frais propres à l’employeur, dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.

Les faits

Une société fait l’objet d’un avis de régularisation de la part de l’O.N.S.S., qui rectifie les cotisations de sécurité sociale.

Il s’agit de sommes (frais propres à l’employeur) remboursées aux salariés qui n’ont pas été soumises à cotisations sociales. L’O.N.S.S. a adressé un courrier recommandé en août 2013, qu’il veut interruptif de prescription en application de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969, s’agissant de cotisations dues à partir du 3e trimestre 2007. La créance est à ce moment fixée par l’O.N.S.S. à 1 euro.

Un deuxième courrier recommandé est envoyé en janvier 2014, relatif à l’assujettissement de rémunérations (s’agissant de remboursements forfaitaires de frais, de pécules et de cadeaux) pour la période à partir du 4e trimestre 2007.

Les cotisations sont payées mais une procédure est introduite en vue d’obtenir l’annulation de l’avis de régularisation ainsi que de la rectification.

L’O.N.S.S. forme une demande reconventionnelle, sollicitant la condamnation de la société à ces sommes.

Le jugement rendu par le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) fait partiellement droit à la demande, condamnant l’O.N.S.S. à rembourser une partie des sommes.

La société interjette appel, afin qu’il soit fait intégralement droit à sa demande originaire.

Position des parties devant la cour

L’appelante fait en premier lieu valoir qu’il y a prescription des cotisations, considérant que, pour être interruptive de prescription, la lettre recommandée doit manifester la volonté du créancier d’exercer son droit et d’obtenir le paiement de sa créance. Tel n’est pas le cas des courriers envoyés, ceux-ci n’ayant pas le caractère d’une sommation. Le quantum de la créance n’est d’ailleurs pas établi. Ne peuvent davantage constituer des actes interruptifs des mesures de poursuite ou d’instruction éventuelle. En l’absence de fraude, le délai de prescription est de 3 ans. Pour le fond, la société fait valoir le caractère raisonnable des frais, ainsi que les accords qu’elle a obtenus avec l’administration fiscale à ce sujet, renvoyant encore à un contrôle qui avait eu lieu en 2008.

Pour l’O.N.S.S., sur le plan de la prescription, la lettre recommandée ne doit pas avoir le caractère de sommation ou de mise en demeure. Il fait également valoir les actes de poursuite et d’instruction comme actes interruptifs et, subsidiairement, considère que, en tout cas, la prescription ne serait pas acquise pour toute la période. Pour ce qui est du fond, il fait considère d’une part que le contrôle qui a eu lieu en 2008 ne peut valoir accord de l’administration sur le système mis en place, et ce vu le principe de légalité, et d’autre part qu’il n’est pas lié par les éventuels accords sur le plan fiscal.

La décision de la cour

La cour examine la question de la prescription, eu égard à l’article 42, alinéa 1er, de la loi du 27 juin 1969 (loi O.N.S.S.). Le délai de prescription est de 3 ans et débute à la date d’exigibilité des cotisations. Il sera de 7 ans s’il y a eu des régularisations d’office à la suite de la constatation dans le chef de l’employeur de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes.

En l’occurrence, c’est le délai de 3 ans qu’il convient de retenir.

La cour passe ensuite en revue les modes interruptifs de prescription aux termes de l’alinéa 6 de la même disposition. Pour ce qui est de la lettre recommandée (article 42, alinéa 6, 2), celle-ci ne doit remplir aucune condition de forme particulière, mais, pour les actes interruptifs de prescription émanant du créancier (dont certains sont soumis à des formes complémentaires – avec renvoi à la mise en demeure prévue par l’article 2244, § 2, du Code civil), elle doit constituer une manifestement de la volonté du créancier, qui relève, selon la Cour de cassation, de la teneur de l’acte plutôt que de sa simple existence, d’exercer son droit à l’égard de l’employeur et d’obtenir le paiement d’une créance, suffisamment identifiée pour qu’il puisse être vérifié qu’il s’agit de la même que celle qui fait l’objet de la procédure ultérieure au cours de laquelle la question de prescription se pose (arrêt de la cour du travail, 8e feuillet, point 21, renvoyant à Cass., 2 mai 2016, n° S.15.0115.F, et conclusions de l’avocat général GENICOT).

Elle doit, cependant, être signée par la personne compétente au nom de l’organisme ou de l’institution, sans avoir égard au fait qu’il apparaît que celui-ci en est l’expéditeur (avec renvoi à Cass., 22 septembre 2003, n° S.03.0014.N).

Pour la cour, les courriers adressés par l’Office rencontrent les exigences requises. Les sommes réclamées sont décrites comme étant des cotisations sociales sur des avantages énumérés de manière précise, ainsi que sur des pécules de vacances. La période est reprise et l’O.N.S.S. manifeste sa volonté d’exercer son droit à l’égard de la société. Même si la créance n’est fixée qu’à hauteur de 1 euro provisionnel, elle est déterminée.

Enfin, la cour constate que les signataires ont agi par délégation de l’administrateur général.

Il n’y a dès lors pas prescription.

Pour ce qui est du fond, l’arrêté royal d’application de la loi O.N.S.S. énumère en son article 19, § 2, les sommes qui ne sont pas considérées comme de la rémunération. Il en va ainsi du remboursement de frais de trajet (domicile-lieu de travail) ainsi que des frais dont la charge incombe à l’employeur. Il s’agit des frais réels que le travailleur doit supporter en raison de son occupation, et ce lorsque l’employeur est tenu de les rembourser (avec renvoi, ici, à Cass., 14 février 2000, n° S.98.0106.F). Tel n’est cependant pas le cas lorsque des frais supplémentaires réels sont exposés mais qu’ils ne sont pas inhérents à l’exécution du contrat de travail, et ce quelles que soient la source et les modalités de cette obligation (la cour citant ici notamment Cass., 15 janvier 2001, n° S.99.0074.F, et les conclusions du premier Avocat général LECLERCQ).

Il s’agit d’une matière d’ordre public. En conséquence, le contribuable ne peut se prévaloir de l’attitude antérieure de l’administration même si celle-ci a été constante pendant plusieurs exercices. Il en va de même pour ce qui est du fisc.

La cour en vient ensuite à l’examen point par point des postes en cause, étant des frais de documentation et de téléphonie (avec connexion à internet) pour un certain nombre de travailleurs avec des fonctions déterminées (directeur, chef de service, ingénieur, etc.). Pour ce qui est des frais de représentation externe, la cour admet ceux-ci uniquement pour les travailleurs dont la fonction justifie des activités représentatives (directeur, chef de service, ingénieur et chargé d’affaires). Pour les frais de représentation interne, étant les menus cadeaux faits entre collègues, l’on peut admettre qu’il s’agit de frais exposés à l’occasion et en raison de l’exécution du contrat de travail. La cour admet un forfait de 15 euros par mois, la partie qui excéderait ce montant forfaitaire ayant un caractère rémunératoire.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la cour du travail commenté contient un double enseignement d’importance.

L’on notera que, sur la question de la prescription, la cour, s’appuyant sur la position de la Cour de cassation dans divers arrêts ainsi que sur la doctrine (dont A. VERMOTE, La prescription en droit social, Waterloo, Kluwer, 2009, p. 12), admet que la lettre recommandée dont question à l’article 42, alinéa 6, 2°, de la loi O.N.S.S. ne doit remplir aucune condition de forme particulière mais doit constituer une manifestation de la volonté du créancier d’exercer son droit. Cette volonté relève de la teneur de l’acte plutôt que de sa simple existence.

En l’occurrence, la cour retient que satisfait aux conditions légales la lettre qui vise des cotisations sociales sur des avantages précisément énumérés ainsi que sur des pécules de vacances, de même que la période pour laquelle la réclamation est formulée. Il s’agit de manifestations de la volonté de l’O.N.S.S. d’exercer son droit et d’obtenir le paiement d’une créance d’argent. L’absence de détermination du quantum précis n’est pas retenue comme enlevant à la lettre recommandée son effet interruptif.

Par ailleurs, sur le fond, l’on notera l’examen fait des frais incombant à l’employeur, étant les frais réels exposés par le travailleur en vertu du contrat de travail et que l’employeur est tenu de rembourser. Dès lors que des frais ne sont pas inhérents à l’exécution du contrat de travail, même s’ils sont réels, l’employeur n’est pas tenu de les prendre en charge, et ce quelles que soient la source et les modalités de l’obligation.


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