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Prestations familiales garanties et ressources exonérées

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 mai 2018, R.G. 2017/AB/280

Mis en ligne le vendredi 15 mars 2019


Cour du travail de Bruxelles, 3 mai 2018, R.G. 2017/AB/280

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 mai 2018, la Cour du travail de Bruxelles fait une étude comparée de la loi du 26 mai 2002 relative au droit à l’intégration sociale et de celle du 20 juillet 1971 instituant les prestations familiales garanties et conclut que, s’agissant de deux mécanismes autonomes tant dans les conditions d’octroi que dans les modalités de calcul, il n’y a pas lieu de puiser dans la loi relative au droit à l’intégration sociale les ressources pouvant être exonérées pour l’octroi de prestations familiales garanties.

Les faits

Des prestations familiales garanties sont accordées par FAMIFED à un père, pour son enfant. Celui-ci bénéficie du revenu d’intégration sociale, les prestations familiales garanties étant ajoutées à celui-ci. Le revenu a été supprimé le 1er avril 2011, l’intéressé n’établissant pas suffisamment sa disposition au travail. Il lui est également fait grief de ne pas avoir déclaré certains revenus. Les prestations familiales sont ultérieurement payées à nouveau, sur la base de l’enquête trimestrielle.

Il s’avère que, pour le dernier trimestre 2013, les ressources étaient de 5.200 euros, soit 4.000 euros provenant de la vente d’instruments de musique et 1.200 euros étant les recettes d’un concert. Ce montant excède les ressources autorisées, alors d’un montant de 4.062,82 euros.

FAMIFED notifie dès lors un indu de 591,51 euros. L’intéressé introduit un recours devant les juridictions du travail et se défend seul.

Le jugement du tribunal du travail

Le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles rend un jugement le 21 février 2017, faisant droit au recours de l’intéressé.

Il considère que les 4.000 euros proviennent de la vente d’actifs mobiliers (des violons) et que ce montant ne peut pas intervenir au titre de ressources. Il souligne le caractère résiduaire du secteur, ainsi que de celui du droit à l’intégration sociale tel qu’organisé par la loi du 26 mai 2002. Il relève une très importante différence entre l’un et l’autre en ce qui concerne les ressources exonérées. Celles-ci sont moins nombreuses dans le cadre de la législation sur les prestations familiales garanties que dans la loi du 26 mai 2002. Il considère, dès lors, devoir écarter le texte restrictif et appliquer la liste reprise dans l’arrêté royal du 11 juillet 2002 d’exécution de la loi du 26 mai 2002. Dans ce texte, sont en effet exonérés les capitaux mobiliers jusqu’à un montant de 6.200 euros. Le tribunal décide d’appliquer cette exonération en l’espèce. Il considère dès lors qu’il ne faut pas tenir compte du produit de la vente de ces violons.

Position des parties devant la cour

FAMIFED plaide que la vente d’instruments de musique ne fait pas partie des ressources exonérées au sens de l’arrêté royal du 25 octobre 1971 et que, dans l’ensemble des secteurs résiduaires (auxquels on peut ajouter la GRAPA et les prestations pour personnes handicapées), le législateur a pu fixer des conditions d’octroi spécifiques. Il plaide également la différence de nature de la législation sur le droit à l’intégration sociale et de celle relative aux prestations familiales garanties. Dans la première, est fixé un plafond des ressources et, en-deçà de celui-ci, la prestation est allouée en fonction de la situation familiale. Les ressources du demandeur (ainsi que celles des personnes avec qui il cohabite) ont une incidence sur le montant qui sera finalement perçu. Par contre, le régime des prestations familiales garanties, qui vaut uniquement pour les enfants pour lesquels aucun droit à des allocations familiales n’existe, en Belgique ou à l’étranger, ou du fait d’une réglementation internationale, ne dépend pas in se, des revenus. Il s’agit d’allocations destinées à l’enfant, qui constituent une intervention dans les coûts d’entretien et d’éducation de celui-ci.

Quant à l’intimé, il postule la confirmation du jugement. Il expose que c’est par hasard que ses instruments, qu’il avait mis en dépôt, ont été vendus en même temps, au cours du quatrième trimestre 2015. Pour les autres trimestres, il n’a pas bénéficié de revenus de ce type, ses ressources étant en-deçà du plafond. Pour ce qui est de la recette du concert, il expose également que le coût relatif à celui-ci a été supérieur aux rentrées.

La décision de la cour

La cour reprend les textes, étant à la fois l’article 3 de la loi du 20 juillet 1971 et l’article 6 de son arrêté royal d’exécution du 25 octobre 1971. Elle souligne que les deux législations ont une finalité différente, celle relative au droit à l’intégration sociale visant la réintégration des personnes concernées dans la société, tandis que la législation en matière de prestations familiales garanties vise une contribution dans l’éducation et les frais des enfants. Elle ajoute que les conditions d’octroi ainsi que les règles de calcul sont distinctes.

Elle reprend ensuite les conditions d’octroi proprement dites, dans chacun des deux régimes, et elle en conclut que les deux dispositifs ne sont pas suffisamment comparables pour que le principe d’égalité de traitement puisse être invoqué aux fins d’appliquer aux prestations familiales la liste prévue quant aux ressources exonérées dans le secteur du droit à l’intégration sociale.

La cour souligne encore la différence des règles de calcul dans les deux législations, étant qu’il n’est pas tenu compte, pour les prestations familiales garanties, du revenu cadastral de l’immeuble dont le demandeur est propriétaire, ce qui est le cas en R.I.S. Elle relève que l’intéressé est propriétaire de son habitation, dont le revenu cadastral est de 2.179 euros, montant qui aurait dû être pris en compte à concurrence de 3.912 euros par an en R.I.S. selon les règles applicables. Par ailleurs, en matière de prestations familiales garanties, les ressources sont toujours prises en compte à concurrence d’un trimestre déterminé, ce qui n’est pas le cas en R.I.S., où, pour les biens immobiliers, le délai est de 10 ans précédant la demande. La cour souligne encore d’autres différences, étant notamment que la fixation du revenu d’intégration sociale intervient en base annuelle, divisée ensuite par 12 pour obtenir le montant mensuel à percevoir. Les montants exonérés sont également pris en compte sur base annuelle. L’on ne peut dès lors comparer le mode de calcul des ressources en matière de revenu d’intégration et de prestations familiales garanties.

Pour ce qui est des règles en matière de R.I.S. concernant les capitaux mobiliers, celles-ci ne peuvent dès lors être appliquées telles quelles aux prestations familiales garanties (sans tenir compte des différences dans les deux systèmes) pour conclure que le droit à ces prestations familiales par trimestre pourrait être calculé avec des revenus issus de biens mobiliers à concurrence du montant applicable en R.I.S., soit 6.200 euros.

La disposition de l’arrêté royal du 25 octobre 1971 (article 6, § 7), ne pouvait dès lors être écartée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait un beau rappel sommaire des deux législations, dont il souligne qu’elles ont un caractère résiduaire. Ceci au même titre que la garantie de revenus aux personnes âgées et les prestations aux personnes handicapées d’ailleurs.

Le fait qu’il s’agisse de systèmes résiduaires ne permet pas d’appliquer certaines règles existant dans une législation à une autre. La cour rappelle, outre la finalité distincte de chacune, dont vont découler des modalités spécifiques d’octroi et de calcul notamment, que la position du premier juge reviendrait, en fin de compte, à ne pas tenir compte des modalités d’octroi et de calcul de ces prestations spécifiques, soulignant notamment qu’en revenu d’intégration, la référence est annuelle (le revenu étant ensuite divisé par 12), alors que, pour les prestations familiales garanties, la période prise en compte est le trimestre. Ceci non seulement au niveau de la périodicité des enquêtes et du suivi administratif, mais également pour la prise en compte des ressources. L’on soulignera l’attention que la cour a accordée à cet égard à la question du revenu cadastral.


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